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Le pinceau va, vient, Un bleu, Le pinceau va, vient, Un trait, Le pinceau va, vient, Une ombre, Claude BELLEUDY |
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L’ADOLESCENT typique, celui qui s'impose à l'imagination lorsqu'on nous parle d'âge bête ou d'âge ingrat, c'est un grand garçon efflanqué, aux bras trop longs et aux pieds immenses - et nous le reconnaissons de loin, dans la rue, avec sa démarche incohérente, ses gestes brusques et inadaptés, ses vêtements toujours trop courts qui soulignent comme à plaisir la disgrâce des formes. Ephèbes citadins ou villageois ont, au milieu de nous, l'allure gauche de nouveau-venus, Pierrots éblouis par le grand jour ou truands évadés de quelque solitude. Et l'impression se précise que ce sont bien des étrangers lorsque nous les entendons parler. Ils ont une voix rauque et discordante ; des syllabes se heurtent et éclatent bizarrement à l'angle d'une phrase ou d'un mot ; ils ont parfois des tonalités de basse qui nous surprennent, tant les contours et les reliefs de leur visage sont restés enfantins, malgré la gravité de l'expression, à certaines heures, et la profondeur nouvelle du regard. Et soudain, quelque chose se brise dans leur accent, une note cuivrée leur écorche la gorge et se livre sans espoir au monde des hommes où nul ne l'attend, La solitude de l'adolescent est d'abord une solitude corporelle - celle d'un corps qui ne trouve aucun lieu où s'insérer harmonieusement - et qui se voit condamné à pérégriner vainement vers un inaccessible bien-être, hors des prises de la pesanteur : le thème de la marche, de l'errance, de la course sans achèvement précis, de la lévitation même, revient constamment dans les poèmes d'adolescents : « ... Sans espoir il est parti Loin de la ville Et des passants Les nuages doucement L'ont voilé... » Avec son corps en train de grandir et sur lequel il ne peut trop compter, avec ses membres étirés et comme à la démesure de ses désirs, l'adolescent se crée un espace libre, un espace illimité qui le sauve de l'étouffement. Il s'agit, en effet, de respirer plus largement, de se mouvoir à l'aise ; de se dilater aux dimensions de l'univers cesser de se heurter à tous les angles, de se cogner aux meubles et aux gens, de briser tout ce que l'on déplace. L'adolescent, dans sa profonde incomplétude, est celui qui refuse tout complément qui serait délimitation, frontière et fixation. Il voit, dans les quatre murs de l'espace familial, l'expression d'une évidente pauvreté et méprisables sont ceux qui s'en contentent… C'est pourquoi l'adolescence est l'âge des randonnées, des expéditions et des grandes aventures à travers monts. C'est l'âge de la course en plein vent, l'âge de la bicyclette et du camping. On part de grand matin, on fuit la maison, on fuit la ville. On se livre à l'espace sans bornes, corps perdu et âme saoule. On est à deux ou à trois des amis, Mais il importe peut-être beaucoup moins de parler que de respirer ensemble. La conversation reprendra ses droits plus tard, lorsque le jeune homme se sera stabilisé, lorsqu'il sera devenu capable de prendre du recul vis-à-vis de lui‑même et de juger sa propre aventure, de la situer parmi celles des autres hommes - lorsqu'il se sera rapproché de la cité. |