Disque I.C.E.M. n°22 (ECOUTER LE DISQUE)

MUSIQUES D'AILLEURS

Des enfants immigrés font de la musique dans nos classes

Réalisation : Patrick Laurenceau, Eliane Pineau et la commission musique de l'I.C.E.M.

Des enfants d'origine étrangère, il y en a dans nos classes. Certains arrivent tout droit de leur pays, d'autres n 'y sont jamais allés, certains parlent deux langues, d'autres une seule (la nôtre, ou la leur...).

Comment faire pour ne pas nier leur culture d'origine ?

Comment faire pour que, si différence culturelle il y a, elle ne soit pas source d'incompréhension, voire de racisme (problème malheureusement toujours d'actualité) ?

Dans ce disque, nous vous présentons quelques exemples d'enfants immigrés osant un jour pratiquer leur musique, devant et pour leurs camarades de classe.

Surprise ! Pas de « réaction de rejet ». Au contraire, ces aperçus d'autres cultures, par l'intermédiaire d'enfants du même âge, semblent exercer une certaine séduction. On prend conscience des similitudes culturelles (chansons de quête, fêtes villageoises, style d'une comptine...) et aussi des différences (aspect guttural de telle langue pour des oreilles françaises...), on bénéficie des savoir-faire de camarades étrangers, etc.

La « différence-source-d'enrichissement-mutuel » tend à n'être plus seulement un slogan.

Le plus dur en cette affaire est peut-être de favoriser l'instauration d'un climat de confiance sans lequel on n'ose pas s'afficher différent de la majorité. Puisse ce disque contribuer à créer ce climat.

Gérard PINEAU

Mohammed (classe de 5e VII, année 79-80, origine marocaine) retient autour de lui un groupe important de camarades, attirés par sa personnalité en général, mais aussi par son savoir-faire aux percussions. Mais très vite des conflits naissent dans ce groupe : jalousie de voir Mohammed monopoliser l'un des deux bongos de la classe et surtout parce qu'il « Joue tout le temps et trop fort » (sous-entendu aussi : « on n'arrive pas à jouer si vite que lui ! »). Dans ce groupe, la plupart veulent jouer avec des baguettes et si possible retrouver des rythmes de batterie accompagnant les majorettes ! Le groupe va donc se scinder et Mohammed se retrouvera tout seul (Percussion, face 1 n° 5). Plusieurs semaines après, une étonnante association va se créer entre Mohammed, turbulent, cherchant constamment à se faire remarquer, à faire rire, à briller devant la classe et Pascal, timide, très peu sûr de lui, très secret (je l'ai rarement entendu parler !). Bref les deux personnalités les plus opposées et contrastées de la classe. Quel plaisir, quel rayonnement pour Pascal, lorsqu'ayant réussi à surmonter son manque de confiance en lui, il arrivera dans un morceau (face 1 n° 3) à accompagner Mohammed au tambourin (non sans quelques difficultés audibles dans l'enregistrement) ! Il a profité là du savoir-faire de son camarade tout en sortant celui-ci de son isolement.

Il y a deux ans (78-79) nous avions construit en 6e et 5e des « sanzas » et des mirlitons. Ces derniers sont d'excellents masques pour qui n'ose pas s'exposer à faire quelque chose avec sa voix (chanter, parler, crier, susurrer, etc.).

S'étant formé par affinité, chaque petit groupe doit présenter « son morceau ». Je suggère que ça peut être une invention collective et que tous les bruitages faisables avec notre voix sont les bienvenus, mais aussi bien sûr, sketches, mélodies (inventés ou inspirés d'un début de chanson connue transformée ensuite, etc.). Pourvu qu'il y ait une certaine organisation dans l'agencement du morceau !

Au début j'ai droit surtout aux derniers « tubes » à la mode, mais à force de solliciter l'invention, de petites réalisations plus personnelles font leur apparition. Le petit groupe formé autour de Nabil (d'origine marocaine), garçon le plus âgé et le plus grand de la classe, présente le morceau n° 4 de la face 1. Très peu expansif, Nabil finit par me concéder qu'il s'est inspiré d'une musique de chez lui et, semble-t-il, de variété nord-africaine. Malgré la structure rythmique qui effraierait plus d'un solfégiste militant, il a réussi à l'apprendre oralement à ses camarades. Ils font circuler la mélodie unique, très syncopée, d'un mirliton à l'autre, tantôt dans le grave, tantôt dans l'aigu, ou en polyphonie (avec un essai, vers le milieu du morceau, d'une deuxième voix chantée deux fois par Nabil, dans le grave). Ce morceau a énormément plu à la classe et le prestige de Nabil s'en est accru. Il augmentera encore lorsque, plus tard, Nabil présentera seul au bongo (face 1 n°6) une sorte de « pot-pourri » de rythmes de musique traditionnelle marocaine, enchaînés à sa manière. Certes, au début il se précipite à vouloir tout dire à la fois sur le bongo de la classe (qui par chance est très proche du « tabla » marocain) mais la maîtrise gestuelle et rythmique de Nabil trahit une autre culture musicale et une pratique déjà ancienne.

En effet Mohammed (face 1 n° 5) comme Nabil et également sa cousine Nadia (face 1 n° 1) participent souvent aux fêtes qui restent vivantes, même en France, du moins dans leurs familles. Fêtes occasionnées par une naissance, un anniversaire, etc., où, entre Marocains de Brive, femmes, hommes, enfants revivent « comme au Maroc » toute une nuit de rythmes, chants et danses.

Malgré toutes les difficultés que ces élèves rencontrent sur le plan scolaire, relationnel, et au dire des collègues, sur le plan de la discipline, ils s'adaptent bien à notre musique occidentale, sans totalement abandonner la leur. Ils font, comme les autres élèves, des recherches sur les instruments de la classe, accordés à l'occidentale. Recherches souvent plus abouties que celles des autres élèves qui partent souvent de zéro. C'était le cas dans le disque Art enfantin n° 95 : Hassen Mansar à la guitare, Abdallah Karamy à l'harmonium électrique. C'est le cas dans ce nouveau disque de Nadia Bousselham au carillon diatonique (face 1 n° 1) où là encore, l'habileté gestuelle antérieure au cours de musique permet l'éclosion de ce petit morceau original.

Eliane PINEAU C.E.S. Tujac, Brive

Dans la classe, chaque matin en rentrant (et parfois en début d'après‑midi), les enfants - moi aussi de temps à autres - présentent le produit de leur activité personnelle de recherche et de création libres, menée auparavant en classe ou chez eux. Si, au commencement de l'année scolaire, dessins et textes libres abondent très rapidement, c'est rarement le cas des productions sonores. C'est ainsi que l'an passé, après leur avoir fait remarquer qu'une recherche pouvait aussi prendre d'autres formes que celles du dessin ou du texte, quel fut mon étonnement de voir, un matin, Sadok se lever et entonner un chant de pure création (paroles et musique). Si Sadok ouvrait la « voix » au chant libre en classe, il ne chantait cependant pas dans sa langue d'origine (l'arabe) et ne faisait aucune référence à son vécu de gosse immigré. Néanmoins il était le premier chanteur de l'année, et depuis, il est considéré par ses camarades, au vu de sa production, comme le chanteur « professionnel » de la classe.

Il a fallu attendre la fin du premier trimestre pour qu'il compose « Je suis né en Tunisie » (face 1 n° 2), le premier de ses chants qui aborde sa condition d'immigré en France et qui met aussi en évidence l'idéologie véhiculée par le mâle arabe (rôle de la mère, du garçon...). Mais toujours pas dans sa langue d'origine : il faut dire que si Sadok parle chez lui tunisien, il va à l'école Jean‑Zay depuis son C.P. Ce n'est qu'après la venue de Mohammed, lors du second trimestre, et parce que Sadok lui servait d'interprète et de « conseiller » qu'il se mil à nous présenter une chanson de son pays, puis deux, dans sa langue. Il faut dire aussi que chaque année, en novembre, alors que son père Farouk, ouvrier à la fromagerie de Vendôme, prend ses congés (ce qui permet à l'ouvrier français de les prendre en été...) il repart avec ses parents, sa soeur et son frère à Gabès. Novembre, c'est le mois de la fête des enfants là‑bas. Ils font le tour du village en chantant:

(face 2 n° 2)

Les adultes visités leur offrent surtout de la nourriture (pommes de terre, viande, pain, oranges... ) et les enfants vont alors pique-niquer ensemble, tout heureux de leur quête. Tradition analogue à ce qu'était notre Mardi-Gras, avec ses chansons de quête. Sadok illustre sa chanson d'une introduction à la flûte, en l'utilisant comme une sorte de « cazou » (mirliton), car en fait il ne sait pas jouer avec ses doigts.

Cependant, son répertoire de chansons tunisiennes s'arrête là. Depuis, il tenta bien de créer un chant (paroles et musique) dans sa langue (je le lui avais suggéré) mais il fut très court et je sentais bien qu'il préférait composer et chanter en français. Cette année, Sadok se retrouve dans la classe en compagnie d'enfants de son pays : Adel (et non Abdel) et Naïla.

Adel (10 ans) avoue ne comprendre que très peu le tunisien ; Naïla, par contre, soeur aînée de Mohammed (13 ans) arrivée en France comme son frère cette année, parle et écrit sa langue.

La chanson ayant démarré « sur les chapeaux de roues », grâce à Sadok, dès le début de l'année, et parce que Naïla y trouvait, avec le dessin, un terrain plus facile pour s'exprimer, elle se mit très vite à chanter, dès octobre, dans sa langue, ne connaissant pas les chansons françaises : chants sur les femmes, ou de femmes (face 2 n° 4 et 5), chants d'école et récemment chansons de variétés du dernier hit-parade de Tunis, enregistrées sur cassettes.

Qu'une fille arabe, qui n'est en France que depuis à peine un an, se mette à chanter librement devant les autres, et à leur demande, dans sa langue, je n'en croyais pas mes « oreilles ». Il est vrai, mais ça c'est difficile à écrire sur du papier, que les moments d' « expression libre » sont ceux du temps scolaire qui sont les plus attendus (les plus sacrés), et que l'atmosphère y est telle que le produit de chacun et chacune, quel que soit son niveau d'élaboration, est accueilli avec chaleur, même si la critique est là, Naïla a dû se sentir à l'aise dans cette atmosphère, d'autant que la langue arabe, avec sa « gutturalité », son chant d' « ailleurs », l'originalité de l'autre est pour les gamins de la classe, comme pour moi, à l'image de ses signes écrits, quelque chose d'étonnant, de fascinant, d'émouvant.

 

La correspondance que nous pratiquons en langues différentes, avec des pays étrangers, comme le Portugal, y est peut-être aussi pour quelque chose, mais elle ne suffit pas : Maria et Hizette qui parlent portugais n'ont su nous chanter qu'une seule fois (face 1 n° 1) dans leur langue, préférant comme Sadok, créer en français. Le poids de l'environnement culturel et social, sans aucun doute, où le droit à la différence n'existe pas, ou si peu !

Patrick LAURENCEAU école publique Jean-Zay

C.M.1-C.M.2 Vendôme

N.B. - Les chants de Sadok, Maria et Naïla ne sont pas pris sur le vif, c'est-à-dire lorsqu'ils les ont chantés la première fois en classe, lors d'un moment-expression libre (car je n'ai pas toujours le magnéto à ma disposition ou parce que je n'ai pas toujours le réflexe de le brancher). Aussi le questionnement spontané des gosses ne figure pas sur ces bandes. C'est dommage. Alors c'est moi qui questionne.

 

 

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