Spontanéité et art enfantin |
LA spontanéité ! Que voici un mot décrié, vidé par une critique malveillante de tout contenu intellectuel et chargé par contre de tous les maléfices de l'instinct. Comme si toute attitude naturelle devait être inflexiblement bannie du monde artificiel où nous vivons et si la tâche de l'éducateur était d'édifier autour de ce redoutable élan vital un savant rempart d'habitudes, de mécanismes, de tabous qui rendent enfin l'enfant capable de vivre au milieu des hommes. Cependant, à l'école maternelle, pendant ces années heureuses où l'enfance garde le privilège d'être elle-même, nous ne redoutons pas la spontanéité. Mieux même, aidant l'enfant à vivre en profondeur ses émotions, nous l'amenons peu à peu à en prendre possession et à découvrir «cet accord secret du cœur humain avec les harmonies cosmiques» qu'Elie Faure donne comme base de tout art. Alors, il nous arrive parfois de saisir sur le vif les relations intimes et profondes entre la spontanéité en son sens le plus large de manière d'être et de vivre, et l'art en tant qu'expression du «bonheur de respirer», d'être un souffle de l'univers. C'est ainsi qu'un matin d'hiver heureux, la neige s'étant mise à tomber, nos enfants se sont élancés vers elle, certains avec un ravissement craintif, d'autres avec la fougue de la possession, d'autres enfin avec la retenue des natures tendres et contemplatives. Chez tous, l'émerveillement s'est d'abord traduit par des gestes : petites mains tendues, courses légères au-devant des flocons, glissades, confection de boules de neige et de bonshommes, batailles. Nous avons enrichi ces émotions premières en les revivant par le récit, la peinture, la danse. Nos petits, rendus sensibles par l'émotion et l'expérience spontanée à la nature de la neige, ont transposé cette émotion et cette expérience sur le plan artistique grâce au verbe, à la couleur et à la musique. |
Seul un de nos petits, poussé par quelle étonnante vision intérieure, créait d’un seul jet, sans la moindre rature, ce soleil des quatre saisons, raccourci saisissant et symbole de toute la vie du monde.
De quels cheminements intérieurs cette œuvre est-elle sortie ?
Nos petits Brestois, sans ignorer totalement la nature, sont loin de se trouver dans le vivifiant contact quotidien avec elle un aliment constant à leur rêverie.
Il a fallu la chaude atmosphère de la classe, son climat fervent de création et d’accueil, et la valorisation apportée par la musique aux moments privilégiés d’élans vers la nature pour qu’un petit garçon de cinq ans, timide et doux, porté par l’élan d’une spontanéité créatrice heureusement contenue et guidée, nous offre joyeusement cette image éternelle du monde.
Madeleine PORQUET (1961)