Alors, j'ai pris un parti énergique et quasi chirurgical : j'ai dit à la cantonade que je ne voulais plus voir les éternels chats moustachus, les tulipes et les châteaux crénelés archi-vus depuis des mois, j'ai interdit le décalquage. Un silence médusé a suivi. Jamais je n'avais donné un ordre en Art... Cette fois les choses étaient claires ! Je ne me suis fait, cette fois, aucun scrupule,pour dire qu'en copiant ou en décalquant, on n'inventait rien mais qu'on faisait uniquement preuve d'adresse. Je ne pense pas qu'il y ait eu là-dedans aucun jugement de valeur. La preuve pour moi était faite, qu'en laissant les enfants faire leur pain quotidien de ce genre de travaux, on les abandonnait à leurs conditionnements et on en faisait des prisonniers. On me dira peut-être que cette tendance à la copie, au décalquage, dénote quelque besoin profond. N'est-ce pas déjà la manifestation de la soumission au modèle donné et au respect du critère de ressemblance véhiculés par la famille ? Les gens ont été formés à l'école du passé tout entière basée sur la reproduction servile. Paul Klee disait en 1912 : « Les enfants ne sont pas moins doués et il y a une sagesse à la source de leurs dons. Moins ils ont de savoir-faire et plus instructifs sont les exemples qu'ils nous offrent... et il convient de les préserver très tôt de la corruption. » Et c'est justement à Paul Klee que se référait un professeur de faculté, formateur de futurs professeurs de dessin en regardant les toiles de jute de mes anciens élèves de C.E.2 (voir Art enfantin n°72). Il se demandait comment ces enfants avaient pu redécouvrir les lois que Klee a dégagées lui-même des formes géométriques de ses oeuvres Or, ni ces enfants, ni leur maîtresse, à ce moment-là, ne connaissaient Paul Klee ! Alors, s'il est indispensable par l'Art d'essayer (par ce moyen-là aussi) de libérer l'enfant et de faire œuvre psychologique, ne peut-on, par surcroît. dans ce domaine bien spécifique, lui faire se découvrir une esthétique personnelle ? L'expérience de « grattage d'encre de Chine noire sur fond de crayon gras de couleurs » (voir n°67 d'Art enfantin et créations) qui s'est enchaînée dans ma classe sur l'illustration de l'exposition du « Cœur » a été très positive. - Les enfants ont fait durer leurs travaux quatre longs mois. - Ils les ont enrichis de trouvailles techniques et graphiques. - Ils ont « gratté pour gratter » (pointes, plumes, gouges, etc.) avec acharnement mais ils ont aussi maîtrisé pour organiser les motifs avec des retours en arrière au stade du grattage frénétique, après avoir recouvert d'encre noire, parfois entièrement, des grattages terminés. Ce qu'il est essentiel de comprendre, c'est que les maîtres sont différents et qu'ils ne peuvent absolument pas avoir des comportements identiques dans leur classe. Je ne l'avais pas compris. Il faut d'abord être authentiquement soi. |
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-Avez-vous eu le courage tenace, d'assurer vous-mêmes le fastidieux et constant entretien des ateliers ? Tâche impossible à demander (temps) à de jeunes enfants de C.P.-C.E. (sans femme de service qu'il faudrait peut-être envisager ?) -Avez-vous eu souci de l'expérience vécue des camarades par la fréquentation assidue du groupe départemental ? -Avez-vous, toutes ces conditions réunies, eu la possibilité et le désir de permettre le tâtonnement commun de la classe et du maître avec chez ce dernier, l'attente passionnée de ce qui doit naître ? Et si on m'écoute encore, je dirai qu'il y a en Art des moments dont certains enfants ont besoin. Foin à ces moments-là d'interdisciplinarité, de liaison avec d'autres modes d'expression, de vie du groupe, etc. qui sont des incitateurs d'une expression différente et sûrement utile, spectaculaire souvent, mais fugace et superficielle pour l'éveil artistique car trop collée au réel et n'engageant pas l'être en profondeur. Il faut que l'enfant ait l'occasion de rester seul avec son matériau ou ses instruments et qu'après avoir profité du groupe-classe, il échappe à certains aspects maternants et oppressants du groupe pour jouir de son autonomie. Il doit être mis en situation de laisser monter ce qu'il peut y avoir en lui d'informel, d'imprévisible, d'unique. C'est la grande rêverie interdite à l'enfant moderne corseté dans un emploi-tue-temps : en classe, le mercredi, en vacances et qu'on ne laisse jamais à ses rêves. « Heureux l'enfant qui a possédé, vraiment possédé ses songes » dit Bachelard. Jeannette LE BOHEC (1975) |
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