|
Un atelier
de musique libre
Bruits et traces de Mioches de cours moyen
LES MIOCHES
COURS MOYEN
ÉCOLE JEAN-ZAY
VENDÔME 4110
|
J'ai connu des enfants qui prenaient plaisir... à marcher sur les pieds
de leur piano.
Erik Satie
Encore faut-il avoir
un piano à se mettre sous le pied !
Depuis mon enfance,
les quelques pianos que j'ai rencontrés étaient fermés à clef, ou enfermés,
ou réservés à ceux et celles qui savaient en jouer ou dont les parents payaient
pour que leur(s) progéniture(s) sache(nt).
A l'image de cet
instrument, la musique était pour moi un domaine réservé, un monde à part, jusqu'au
jour où...
Je m'ennuie à l'harmonie municipale. Que du solfège, que du solfège...
Un Mioche (1)
Deux ans durant,
cet élève devait supporter cet apprentissage «initiatique» fastidieux avant
de pouvoir toucher à un instrument.
A l'image du solfège,
la musique était pour lui soupirs d'ennui, jusqu'au jour où...
... Jusqu'au jour
où lui et moi nous nous retrouvions, en ce début d'année scolaire 1977-78, avec
seize autres filles et garçons, sur un même banc d'école à Vendôme, et de nous
écrier : «Si nous faisions musique !»
Notre musique «creva»
l'école.
S'ébruiter dans une
école de ville à neuf classes - sans locaux annexes ou insonorisés - n'est pas
acte facilement admis. Tous les matins, nous étions embruités par le klaxon retentissant de marchands ambulants,
toutes les récréations (2), par la cloche puis par les cris stridents d'élèves
«décagés»... Personne ne trouvait rien à dire à cela
: la normalité bru-i-tale, le quotidien sonore urbain
et scolaire ! Mais que certains jours, des mioches et leur maître choisissent
de s'exprimer volontairement par le son - corporellement et instrumentalement
- et non dans le cadre de la radio scolaire-bras croisés, cela sentait la déraison, l'irresponsabilité,
la paresse...
Oui, à l'école, il
y a bruit et BRUIT : le bruit licite, admis et le bruit singulier, étrange-étranger.
Ce bruit-là dérangeait...
... Jusqu'au jour
où, le mépris et la jalousie cédant le pas à la curiosité, nous avons joué l’ « ouverture»
avec nos voisins.
Depuis notre plaisir
est mieux partagé.
La musique, c'est
l'oreille : on a l'oreille musicale (ou on ne l'a pas). Et l'oeil ? «L'oeil
écoute», disait Claudel.
«Et la main ?»
dit Jean-Pierre, un prof de dessin qui participait à plusieurs de nos activités.
La main ? Elle frappe, elle tape, elle caresse.
ELLE BRUITE et ELLE
TRACE.
Et si elle traçait
ce qu'elle bruitait ?
Et de la trace à
l'écriture... Voyez... Écoutez (3)...
Patrick LAURENCEAU
(1) Les
Mioches est le titre de notre journal de classe. Très vite, il
est devenu le surnom des élèves et de la classe
(2) Souvent lors
des récréations, les Mioches restent en classe pour mener une activité de leur
choix.
(3) La bande son
que nous avons réalisée n'était pas de qualité suffisante pour constituer le
disque I.C.E.M. qui accompagne cet Art enfantin. Néanmoins, ceux qui désirent se la procurer peuvent s'adresser à Patrick
Laurenceau, école publique Jean-Zay, 41100 Vendôme.
Un atelier de
musique à pas cher !
A côté,
y'en a qui
disent
qu'on fait
trop de BRUIT !
Pour sûr,
on a ce
qu'il faut pour faire du BRUIT.
mêlé
à d'autres
instruments
moins bruts
moins bruits
plus finis
plus définis
comme objets
sonores :
flûtes,
métallophone,
bangos...
Même qu'un m'sieur
de la mairie
a dit au
directeur
en montrant
notre classe
« Vous avez la chance de posséder
un débarras... »
On s'est monté
tout un
ATELIER
de BRUIT
et de broc
gamelle
bassine
couvercle
plaque de
machine à laver
baril de
lessive
tonneau
de vin
fil de fer...
le tout
suspendu
étalé
tendu
bricolé
|
« Avec
le bruit que vous faites, vous ne devez pas travailler lourd !!! »
UN VOISIN JALOUX
Ce qui gênait
nos voisins en vérité
ce n'était
pas le bruit
- coopérativement nous avions décidé de jouer aux bruits pendant
les récréations ou en fin d'après-midi -
C’était que nous pouvions
CHANTER
SIFFLER
SOUFFLER
TAPER
GRATTER
librement
jouer à plusieurs
écouter
l'autre
jouer
à plaisir
créer
des résonances
avec son corps
dans son corps
|
|
Un jour
de juin nous avons tracé NOS BRUITS
LES UNS JOUAIENT
AUX BRUITS...
LES AUTRES EN FIXAIENT LA TRACE
SUR DU PAPIER
CHACUN ACCROCHAIT
DE SON DOIGT DES SONS
ET CES SONS-LÀ
PRENAIENT COULEUR
SE FORMAIENT
SE DÉFORMAIENT
S'ASSEMBLAIENT
S'INSCRIVAIENT LÀ
en «gribouillis»
et gestes entremêlés
Sons improvisés transmis
sons réfléchis
au regard du joueur
Patricia seule au sol
Reflet de sa propre image
Apposés
transcrits en signes
Petit à petit un va-et-vient
s'instaurait
entre L'ATELIER BRUIT et LE PAPIER TRACÉ
sons
tressés
sons
entremêlés
sons
étirés
|
|
|
|
PAUSE DISCUSSION
- Je
trouve qu'il y avait trop d'instruments
Christophe
- II
y en a qu'on entendait trop et d'autres pas assez
Patricia
- On n'a pas eu le temps d'écouter
la musique. C'était trop fort !
Laurent
- On
n'a pas le temps de dessiner sur la musique.
Florence
- Au
début ça allait bien parce qu'il y avait des couleurs assez vives. Ça
ressortait. Après c'était trop fouillis !
Patricia
- Si on a envie de faire des
gribouillis, on a le droit.
Philippe
- On n'est pas des petits bébés
!
Isabelle
- Au début, des images passaient
devant moi.
Céleste
- Pour les sons aigus, j'ai
fait des petits traits.
Christophe
- II y a des couleurs qui ne
vont pas avec la musique.
Céleste
- C'était
mieux que toujours les mêmes couleurs marron, jaune, noir.
Valérie
- Un
moment, j'ai cru que c'était un peu !a jungle, alors j'ai continué un
peu gribouillis.
Céleste
- Moi
j'dis qu'il faudrait dessiner chacun dans son
coin et qu'on regarde celui qui a le mieux représenté la musique.
Manuel
- Oui
mais si chacun est dans son coin, comme Patricia, c'est trop réaliste
!
Philippe
- Ce
n'est pas du dessin sur de la musique.
Céleste
- II
y avait des sons joyeux et des sons tristes, des sons longs et des sons
brefs.
- Jean-Pierre peignait avec les
doigts comme s'il maniait des boutons.
Christophe
- Parce qu'il ressentait peut-être
la musique comme un trait long.
Patricia
|
|
|
|
Quelques
jours plus tard,
NOUVEAUX BRUITS
NOUVELLES TRACES
CETTE FOIS-CI,
moins de
joueurs,
MOINS DE TRACEURS,
TROIS INSTRUMENTS FRAPPÉS :
un bouteillophone
un métallophone
un xylophone.
CONSIGNE DE DÉPART :
RÉPÉTER DES BRUITS
(consigne décidée coopérativement)
CELA DONNAIT LE TEMPS
DE CHOISIR LES COULEURS
D'ÉCOUTER LA MUSIQUE
DE REPÉRER LES SONS
DE TRANSCRIRE LE RYTHME
POUR LES TRACEURS.
MAIS CELA DEMANDAIT
DE LA RÉGULARITÉ DANS LE RYTHME
D'INTERCALER LES FRAPPES
POUR LES JOUEURS.
|
|
|
|
PRÉSENCE DES REGARDS
ÉCOUTE DES AUTRES
BRUITS-LITANIES
EMPREINTES RÉPÉTÉES
J’AIME BIEN ENTENDRE JOUER
Puis, quelques Mioches décidèrent
de tracer,
chacun dans
son coin,
sur une
feuille, à plat
sur la table
ou sur le sol
LES BRUITS RÉITÉRÉS
que leurs
oreilles et leurs doigts ACCROCHAIENT
Alors les traits et les points
- sons longs, sons brefs –
SE SUCCÉDAIENT
colorés
selon les sons
- sons tristes, sons joyeux –
et RETROUVAIENT
réminiscence
ou habitude du «canevas scolaire» peut-être
LE GESTE TRACE DE L'ÉLÈVE
sur son
cahier rayé, ligné, aligné.
LE GESTE NE GRAVAIT PLUS DES TRACES,
IL TRAÇAIT.
L'ÉCRITURE COMMENÇAIT...
C'est ainsi que la semaine suivante,
priorité
fut donnée à l'écriture linéaire :
- pas sur une feuille
non
sur le tableau
noir
- pas avec le doigt chargé de peinture
non
avec un
bâton de craie blanche
comme si
le doigt trop gavé de peinture
ne supportait
plus ni papier, ni couleur,
comme si
le papier punaisé jusqu'alors là
ne suffisait
pas à faire oublier
« l'ombre noire du tableau » |
|
|
|
|
|
QUAND J'AI
JOUÉ LA PREMIÈRE FOIS,
J'AVAIS UN PEU HONTE, PLUS MAINTENANT !
Dernier jour d'école de l'an 77-78.
Nous revenons de pique-niquer.
II est dix-sept heures.
Tandis que les élèves des autres
classes s'échappent vers les vacances comme "des fauves libérés de
leur cage",
les Mioches,
une dernière
fois,
jouent leur
oeuvre
avant de
«s'ébruiter» en une longue improvisation,
dernière
trace pour la plupart d'entre eux d'une musique libre
dans le
cadre de l'école.
LES MIOCHES
COURS MOYEN (1 et 2)
ÉCOLE JEAN-ZAY
VENDÔME
41100
|
|
|
Télécharger
ce texte en RTF
Retour au
sommaire