Korda - Studios

Enfants de la Sierra Maestra

Ce sont quatre élèves de la Cité Scolaire Camilo Cienfuegos, quatre élèves pareils aux autres. Ce sont de braves garçons, trempés par le dur travail des champs.

Ces récits sont le résultat de conversations soutenues avec chacun de ces garçons, enregistrées sur une bande magnétique et puis transcrites.

LE PETIT CHARBONNIER DE LAS COLORADAS

Je m'appelle Clodovaldo Herrera. Je suis né à Las Coloradas. C'est la plage où les rebelles avaient débarqué. Ma maison est toute proche de cette plage.

Quand j'accompagnais mon père à la montagne, je me levais à l'aube, à quatre ou cinq heures du matin. Maman préparait déjà le café. L'eau de la cuvette était tellement froide que je me lavais tout juste le bout des doigts et me frottais les yeux. Après cela, je buvais un peu de café et j'allais jusqu'au ravin. De là on pouvait voir la mer.

Une fois nous sommes allés pêcher avec un ami de papa qui avait un chaland. Ce que nous avions pris de poissons ! Des merlans, des carpes, des barbillons ; le chaland en débordait et un poisson était même retourné à la mer d'un seul bond. Mon frère et moi pêchions avec un hameçon et une cordelette, mais nous ne pouvions presque pas le faire parce qu'il nous fallait vider l'eau du fond du chaland avec un récipient en fer-blanc. En plus nous devions surveiller l'appât.

   

Mon frère et moi allions avec papa pour faire le charbon de bois. Mon père taillait les troncs d'arbres et nous deux les rangions au bord du chemin. Parfois, nous aussi coupions des troncs, mais pas les gros, C'était toujours papa qui se chargeait des gros. Il y en avait souvent de si durs qu'ils ébréchaient la lame de la hache.

Les bois les plus durs sont ceux que nous appelons à Cuba jocuma, yaya et hueso. Le hueso (os) porte ce nom parce que son centre est très dur. Il y a aussi un autre arbre que l'on appelle cueriduro. Pour tailler ces arbres il faut se servir d'une vieille hache au tranchant épais.

Les bois de manglier, casigua, ocuje, carolina, hueso blanco et almendrillo sont également bons pour faire du charbon. Il suffit au charbonnier de les regarder pour savoir lesquels il peut employer. Moi aussi, je suis capable de les reconnaître au premier coup d'oeil. Ici, à la Cité Scolaire, il y a plusieurs ocujes.

Après avoir entassé les troncs, nous les recouvrions avec de l'herbe et puis avec de la terre. Ensuite nous allumions le tout à travers un orifice supérieur. Après cela on bouchait bien tout avec de l'herbe et de la terre et encore de l'herbe et de la terre. C'est ainsi qu'on fait le four à charbon. Pour que le bois brûle bien, il faut découvrir chaque deux heures, ajouter du feu et percer un nouveau trou.

Oui, il faut faire ceci chaque deux ou trois heures. Jour et nuit. Nous faisions un petit abri à côté du four et nous veillions à tour de rôle. Moi, je dormais dans un hamac que maman m'avait fait. Quand c'était mon tour, je surveillais le four. Il ne fallait pas s'endormir et les moustiques nous aidaient à rester éveillés. Il fallait faire attention à ce que l'extérieur du four ne prenne pas feu. Quand ceci arrivait, on bouchait de suite le trou parce qu'autrement tout serait abîmé.

Ceci dure à peu près vingt jours. Après vingt jours, le charbon est fait et on peut le sortir avec un outil qui s'appelle crochet ou râteau. Mais d'abord il faut enlever toute la terre.

Nous obtenions cent ou cent cinquante sacs de charbon, selon la grandeur du four. Combien nous payait-on pour chaque sac ? Eh bien, c'est selon... 80 ou 90 sous. Nous vendions le charbon au même marchand qui nous achetait le bois. A son tour il le vendait à Manzanillo ou par là...

Avant la Révolution, je n'étais jamais allé à l'école. Après la Révolution, j'ai vécu chez une de mes soeurs qui habite à Santa Cruz. Là, j'ai fréquenté l'école, mais pendant très peu de temps.

Je suis très content ici, à la Cité Scolaire. Je mange très bien. Chez moi, je ne mangeais pas trop mal. Mon petit déjeuner était composé de bananes ou de patates bouillies. Parfois je buvais du café au lait... c'est-à-dire quand on pouvait descendre à l'épicerie. A midi, je déjeunais de n'importe quoi, ce que maman cuisinait : des légumes, du riz, des haricots, de la viande de porc quand on avait tué chez nous un petit cochon, et parfois un potage de toutes sortes de légumes. De la viande de boeuf ? Bon, on mangeait de la viande de boeuf pendant la Révolution parce que les rebelles tuaient du bétail et distribuaient la viande aux paysans. On m'a dit que l'on allait distribuer des vaches du côté de chez nous. Sans doute l'a-t-on déjà fait.

Quand nous sommes arrivés à la Cité Scolaire, nous n'aimions pas beaucoup la viande de boeuf. Voyez-vous nous n'y étions pas habitués. Maintenant nous commençons à y prendre goût. Je n'aimais pas le poulet non plus, mais maintenant je le trouve bon. Le poisson ? Pas beaucoup. Quand j'étais chez moi j'en ai trop mangé. Ma maison était juste en face de la plage. Les rebelles et Fidel ont débarqué par là, par la Plata Colorada. Non, je me trompe ; c'était près de la plage, par la lagune, entre les mangliers. Moi, je les ai vus. A l'aube ils sont passés devant ma maison. Alors la canonnière est arrivée et a tiré sur leur bateau, mais les rebelles n'y étaient plus. Ils se dirigeaient vers la montagne.

On a tiré sur eux du côté d'Aguafina et un avion les a aussi attaqués du côté d'un bois de cocotiers près du lieu de débarquement. C'était à peu près à trois kilomètres de ma maison. Ce que j'ai eu peur !

Après cela, quand les gardes venaient, papa allait se cacher. Il était en faveur des rebelles.

Textes recueillis par H. Almendros

   

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