Ecole d'Orbec (Calvados)

Nos circuits de dessins

C’est la rentrée... J'y pense, moi aussi, à vous tous... Joyeux ou mélancoliques sont les aînés, anxieux toujours les débutants.

J'évoque des souvenirs... C'est curieux comme sont chez moi, vivaces et ancrés, les parfums et les émotions, alors que les chiffres filent dans les mailles relâchées de ma mémoire.

Un matin de rentrée, alors que mes grands étaient partis fièrement vers la première classe et son cours moyen, nous reprenions le contact en « racontant » et en bavardant, Marie-Noëlle, 6 ans, grands yeux sombres pleins d'extase s'écrie : « Notre classe est toute fleurie de dessins ». Première phrase de poète, Marie-Noëlle ! Je fus charmée et m'en souviens ! C'est que bien sûr, tout le jour précédent, j'avais cueilli « ces fleurs » dans mes cartons pour vous saluer dès l'arrivée, mes nouveaux de 5 ans, nous retrouver chez nous, mes anciens de 8 ans, et que le bouquet de ces « fleurs » choisies vous imprègne l'âme de son parfum, les yeux de son éclat. « Fleurs » simples en vérité, mais de couleurs hardies, de traits audacieux comme sont les vrais sauvages fleurs des prés et des bois.

Je revois aussi Josette, remuant sans cesse, inquiète et nerveuse et qui à la table de peinture se calme soudain et me regarde les yeux perdus foncés de passion, cherche, trouve, défait et refait, inlassable et heureuse.

Non, vraiment nous ne pouvons priver les enfants du plaisir de peindre ! Et les résultats sont si beaux souvent, que nous autres, les adultes, en restons perplexes quelquefois.

   

C'est à la faveur d'une jolie exposition qu'est né, chez nos camarades du groupe Val-de-Loire, le désir d'entrer dans la ronde d'un circuit de dessins, ainsi que le suggérait Elise Freinet, et d'accéder eux aussi à l'euphorie de cette création artistique. Un cahier accompagne le circuit. Je mets 2 dessins, chaque camarade au passage en ajoute 2 ou 3. C'est donc une petite exposition boule-de-neige qui circule entre 6 camarades. (Dans l'une d'elle Elise Freinet a puisé cette année une partie de l'exposition n°2 du Congrès de Caen - récompense appréciée par nos débutants !). Je demande à chacun de ne pas garder l'envoi plus de 3 ou 4 jours, le temps de le montrer aux enfants, de choisir les dessins à ajouter et de noter sur le cahier, au fil de la pensée les quelques commentaires indispensables - conditions de travail, réussites, échecs - d'expliquer les difficultés très sincèrement car de cette sincérité, dépend le résultat futur.

Nos camarades ont tout de suite été dans l'atmosphère. Je note une trouvaille :

« La plupart des pots sont en double (moitié sur la partie gauche de la table, moitié sur la droite). Avantage : les enfants trouvent devant eux la couleur qu'ils désirent. Cela évite les déplacements, donc les pots renversés et les coudes bousculés ! »

- des réflexions :

« J'ai trop voulu faire dessiner tous les élèves. J'ai maintenant changé. Seuls dessinent ceux qui le désirent. L'enthousiasme est plus grand ! ».

« Ce cahier est une heureuse initiative. C'est pour nous le vrai moyen de progresser par l'enrichissement mutuel qui fait la force de notre Mouvement Ecole Moderne ».

« Je suis très contente d'être accrochée à ce train de dessins. Merci pour la joie qu'il nous a apportée. Mes petits CP-CE en admirant les peintures les plus travaillées, ont donné une leçon à leur maîtresse en déclarant qu'ils ne pouvaient pas faire aussi joli, car ils n'avaient pas assez de couleurs. Je me suis donc exécutée... ».

« J'ai la certitude que mes gosses ont les mêmes aptitudes que les autres, mais je n'arrive pas à leur donner la possibilité de se réaliser ».

- et des questions.

« Doit-on tout afficher ? ».

« Oh ! le beau violet ! Comment en fabriquer du pareil ? ».


Ecole de Pont-de-Lignon (Haute-Loire)

   

Ecole maternelle de la République -Brest

- quelquefois des discussions

« Je me refuse à faire refaire une peinture si l'enfant ne le fait pas de son plein gré ! ».

Alors j'essaie de me mettre à. la place de ces camarades et à la faveur d'une expérience un peu plus longue de leur donner quelques conseils très simples : ne prépare pas tout un paquet de poudre à la fois... Pense aux couleurs intermédiaires. Lavez chaque jour vos pinceaux et ne les laissez pas dans les pots, les poils se coudent. Quelquefois les ratés ne proviennent que de cela !

Faites critiquer les peintures par l'ensemble de la classe. Dans chacune on trouve quelque chose de bon, mais seules les réussites sont affichées.

Le circuit est émulation et encouragement. Les maîtres l'attendent et les petits préparent l'envoi. Et si, pour avoir une réussite vous les encouragez à reprendre une idée, à la traiter plus soigneusement, si vous faites raconter afin que le prolongement de l'histoire fasse surgir des détails nouveaux pour enrichir le dessin primitif - si vous les aidez à venir à bout d'une difficulté pour passer un fond sans empiéter sur le graphisme - et bien ils seront heureux, ce ne sera point du « travail forcé », contre lequel nous sommes d'accord dès le départ.

Dans ce domaine, plus que partout ailleurs, il est impossible de faire travailler l'enfant contre son gré, c'est pourquoi tous les enfants ne peignent pas. Proposons plusieurs activités. Le petit choisit celle qui lui convient. Et quelques uns s'y mettront plus tard quand ils verront des réussites.

« L'artiste cherche le monde dont il a besoin » dit Focillon. N'est-ce pas une formule qui convient particulièrement aux enfants ?

N'interdisez rien, ni audace de forme, ni rapprochement insolites de couleurs.

« L'art n'est pas un sépulcre... il appartient à la vie, s'adaptant aux surprises qui l'assaillent... explorant des sanctuaires de réalité inconnus au long de son pèlerinage vers un futur aussi différent du passé que l'arbre est différent de la graine ». Rabindranath Tagore.

- Il faut valoriser les oeuvres, repasser, encadrer, revoir une finition, au besoin aider à la netteté d'un trait qui salit...

Et quand un de vos petits aura créé une belle peinture qui vous donne une bouffée de satisfaction - un grand élan de joie - un besoin de s'écrier : Oh ! c'est beau !... laissez-vous porter par l'enthousiasme et ses manifestations spontanées : admirez, et faites admirer, aux enfants, aux parents venus vous voir, à vos amis... Communiquez votre foi ! Elle éduquera et portera toute la classe vers de nouveaux sommets.

   

« L'art est la plus haute joie que l'homme se donne à lui-même ». K. Marx

Et vous éprouverez le besoin de la comparaison et du contact fréquents avec les oeuvres des maîtres. C'est un enchaînement, vos petits parfont votre culture artistique !

Je reprends le cahier et ses résultats :

« Les voilà qui se montrent plus exigeant : ils comprennent qu'une peinture est une oeuvre de longue haleine ! ».

« C'est à moi que cela donne des idées pour les aider, pour oser les aider ! ».

Eh bien, c'est justement là que nous voulions en venir. Je suis tout heureuse que vous ayez bien voulu me le dire et je lance avec courage 6 nouveaux circuits.

Le temps des récoltes arrivera... Je reviens du clos où septembre mûrit les dernières Williams dorées qui mettent l'eau à la bouche tant on les sent prêtes et gonflées. Mais ne cueillons pas déjà la Passe-crassane grise encore et si modeste... Octobre doit finir la maturation avec son doux soleil insinuant et tenace. Certains fruits sont précoces, d'autres plus tardifs. Mais soyons confiants. Vos soins ardents et attentifs seront leur soleil d'octobre !

Et le Val-de-Loire ne trahira pas à Niort son destin d'être un beau jardin tout épanoui des « fleurs » et des « fruits » de nos réussites.

Jeanne VRILLON

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