Ecole maternelle de Niort (Deux-Sèvres)

Cours de poésie enfantine

Je ne l'écris pas pour apprendre aux enfants à être poètes – ils le sont tous naturellement. J'écris à l'intention des éducateurs et des parents aussi, pour qu'ils n'étouffent pas à sa naissance cette lueur de sensibilité et de beauté qui est, à notre avis, une des richesses essentielles de la vie.

« On dit communément que tous les enfants sont des poètes, écrivait Jacques Charles dans l'Ecole Libératrice, Si l'on désigne par là quiconque éprouve, ou peut éprouver une émotion poétique, il est vrai que tous les enfants, comme d'ailleurs tous les hommes, sont des poètes... Et si tous les instituteurs de France aimaient la poésie, art du langage, l'aimeraient aussi l'immense majorité des enfants ».

Or, pour si paradoxal que cela paraisse, le don poétique et la valeur culturelle de la poésie restent encore très discutés. Nos adhérents eux-mêmes n'en sont pas toujours persuadés, et les poèmes d'enfants sont loin d'avoir la place qui leur reviendrait dans les milliers de journaux scolaires qui sont publiés sous le signe des Techniques Freinet.

Mais pour discuter utilement de ces diverses questions il serait bon de nous mettre d'accord au préalable sur la signification exacte de ces vocables de poèmes et de poésie qui n'ont, dans la généralité des cas, qu'un désuet contenu scolaire. On nous a fait étudier La Fontaine et Florian, Vigny ou Verlaine et Victor Hugo. On a commencé par nous en infliger l'étude par coeur, ce qui est sans conteste une façon peu engageante de nous faire aimer et sentir les belles oeuvres d'autrefois et d'aujourd'hui. La scolastique, qui se défendait d'ailleurs de faire de nous des poètes, nous a imposé une lecture expliquée et une analyse qui ne sont que dissection dogmatique de la pensée des auteurs. Suivaient ensuite les considérations sur les strophes, le rythme et les rimes. Et quand nous savions tout cela l'Ecole était fière d'avoir rempli sa mission. Elle n'avait oublié que l'essentiel : la communion spirituelle et sensible avec la pensée des poètes. Mais entre temps nous avions perdu tout sens poétique. Nous n'étions plus que des rabacheurs de poèmes.

   

Comme on nous avait appris, et imposé, que ce qui primait dans les poèmes c'était la forme et non le sens ou l'expression mystérieusement sensible, nous avons mis exclusivement l'accent sur cette forme, l'aspect artistique n'étant que l'accessoire.

Si nous sommes quelques-uns à avoir péniblement dépouillé cette scolastique, nombreux sont encore les collègues qui se méprennent radicalement sur le sens et la portée de la poésie et qui publient dans leurs journaux scolaires ces caricatures de poèmes qu'il faut à jamais éliminer de nos productions

« L'automne est triste
Avec son vent
Qui parcourt les champs
Teints d'améthyste
Tous les arbres sont nus
Le coeur des fleurs poilu
Se couche du côté du vent
Assez tristement ».

« Par la poésie sous toutes ses formes, dit encore Jacques Charles, nous combattrons les effets d'un enseignement primaire obligatoirement dogmatique ; nous ménageons dans cet édifice d'intellectualité, lumineux et froid par définition, des ombres et des échappées d'âmes ; nous donnons à l'enfant, des heures privilégiées où peuvent se donner carrière ce sens du mystère et du merveilleux qui lui sont si naturels et dont il tire tant de joies ».

Non, les enfants ne parlent pas, ne sentent pas, ne chantent pas ainsi. Seule une scolastique dévitalisée et déshumanisée est capable de produire ces horreurs.

Sentir que ce sont des horreurs sera le premier stade de notre redressement.

D'abord, qu'est-ce au juste que la poésie ?

Pour le comprendre, il nous faut dépouiller tout ce que cette scolastique a déposé en nous d'anormalement formel et froid. Il nous faudra faire effort pour penser et parler comme le commun des mortels.


Ecole maternelle de Villeurbanne (Rhône)
   

n) Dessin de Popol - Ecole Freinet

 

L'enfant s'exclame : « Il est beau mon kaki avec ses fruits rouges comme des fleurs ».

Et l'institutrice traduit, comme texte à imprimer : « Dans mon jardin, il y a des kakis rouge ».

Il a dit en secouant ses doigts :

« Oh ! la la, elles piquent les châtaignes... Méchant vent, laisse-les mûrir !… »

Et vous avez écrit, avec une logique désespérante :

« La pluie et le vent ont fait tomber les premières châtaignes ».

C'est ainsi qu'écrivent, formés par l'école, le policier ou l'agent d'assurances rendant compte d'un accident, le secrétaire d'un Conseil d'administration ou le rédacteur des « chiens écrasés » du journal quotidien. Et cela parce que l'Ecole n'a considéré qu'un aspect, et pas le plus majeur de la vie : l'observation objective du milieu extérieur, la mesure, condition essentielle de la « Science ». Et cela nous vaut, même dans les journaux scolaires la généralisation des thèmes courants : Mon jouet préféré - Au jardin zoologique - A Versailles - Les chasseurs - Dans le jardin - Dans les bois - Promenade à Paris - La souris - La mante religieuse.

Comment l'enfant voit-il, comment nous-mêmes voyons-nous ce milieu ; quelles sont nos réactions profondes - et pas seulement intellectuelles - comment vibre notre être, comment bat notre coeur au contact de ces réalités ?

Il s'agit là d'une autre face de la vie, celle qui conditionne directement notre comportement et nos actes et que nous négligeons pourtant totalement parce qu'il s'agit là d'une zone encore inconnue, qui ne scrute pas par des mots ou des formules, qui ne s'apprend pas, pour laquelle on n'a pas encore prévu d'exercices, qui ne se mesure ni ne se codifie.

Cette zone de l'ombre et des échappées d'âme, c'est l'immense domaine de la poésie.

Les portes en sont grandes ouvertes chez le petit enfant pour lequel le milieu extérieur n'existe qu'en fonction de la sensibilité personnelle. On le dit égocentrique parce qu'il n'a pas encore appris à séparer arbitrairement son moi du milieu extérieur, alors que tout ce qui fait notre supériorité humaine se passe en nous, et non en dehors de nous.

   

L'école ferme ces portes. Nous ne saurons plus jamais les cheminements de la vie derrière ces yeux éteints, ces gestes commandés, ce langage stéréotypé, Il a fallu, récemment, la psychanalyse pour tenter de briser la digue gardienne d'un monde qui n'est souvent subconscient que parce que nous n'avons pas la possibilité de l'exprimer et qui cherche en vain de ce fait, ses points d'affleurement.

Il est quelques adultes qui, on ne sait au juste pourquoi, ont gardé entr'ouvertes ces portes qui mènent à l'être intime. Ce sont en général, et il ne saurait guère en être autrement, ceux qui se sont plus ou moins violemment rebellés contre une scolastique qui murait l'essentiel d'eux-mêmes et qui n'ont pas voulu périr.

Avec le texte libre, avec la nouvelle vie de la classe, nous rouvrons ces portes. Ce qui s'en échappe est certes souvent indécis, énigmatique, presque incommunicable. N'en soyons pas étonnés puisqu'il s'agit d'un univers dont nous avons souvent perdu la trace, et qu'il nous faut redécouvrir et déchiffrer, comme le font ces savants qui fouillent l'emplacement naguère insoupçonné des villes étrusques.

La nuit, je rêve.
Le jour
Je pense.
Ma tête est
Pleine de
Fleurs et
D'images.

Catherine.

L'AUTOMNE

La nuit vient à pas de géants.
Le vent souffle dans les grands arbres.
Les oiseaux migrateurs passent par bandes
Et dansent dans l'air frais,
Le hibou pleure sous la lune.
La chauve souris vole à ailes feutrées.
Les feuilles tombent sur la terre
Comme des morts, une à une.

Pierre SENICOURT, 12 ans



Ecole des Costes Gozon
   

Ecole de Pontex-les-Forges (Landes)

CIEL GRIS

Ciel gris
Ciel pleureur
Hiver triste
Mauvais temps
La grande forêt
D'un air de dégoût
Secoue ses branches
Mouillées de boue.
Un oiseau passe
Sans logis
Un chat d'égout
Se réfugie
C'est l'univers
Qui s'alanguit.

B.Chaline

PRINTEMPS

Il est là dans mon coeur.
Il vient pour mon bonheur
Vivant dans mes cahiers,
Doux secret de beauté,
Comme la pierre luisante,
Au miroir de mon coeur,
Chaque soir il se meurt,
Chaque matin renaît.
Tout là-bas dans les bois.
Le soleil me sourit.
Et les vignes mûrissent,
Comme mûrit ma joie.

Maryvonne Besnard

   

N'est-ce pas ce même trouble mystérieux que chante, avec des éléments similaires, le grand poète espagnol Federico Garcia Lorca ?

Le soleil s'est brisé
Parmi des nuées de cuivre.
Des monts bleutés arrive
               un air sonore.
Dans la prairie du ciel
Parmi des fleurs d'étoiles
Va le croissant de lune
Ainsi qu'un crochet d'or.
Dans la campagne (qui attend
  les troupeaux d'âmes)
Sous mon fardeau de peine
Je vais seul en chemin
Mais le coeur, mais mon coeur
Chante l'étrange rêve
D'une passion cachée
Dans un lointain sans fond.
Echos de blanches mains.
Sur le froid de mon front,
Passion qui a mûri
Grâce aux pleurs de mes yeux !

Que ce que nous disent les poètes - enfants ou adultes - soit essentiel, qui pourrait en douter. Encore faut-il faire rentrer cet essentiel dans la pratique d'une vie qui en sera enrichie et sublimisée.

Ecole Saint-Marc - Brest

   

Ecole de Chemiré-en-Charnie (Sarthe)

Lisez ce beau poème de Josette V. de Costes-Gozon (Aveyron) et vous comprendrez à quels sommets peut atteindre cette poésie qui, par delà les mots d'une étonnante simplicité, nous parle une langue à laquelle nul ne saurait rester insensible.

MON PÈRE

Quand tu rêves
Pourquoi tes mains
Jouent-elles dans la clarté de l'âtre ?
Pourquoi toujours au même coin
Te chauffes-tu ?
Et pourquoi tes rides,
Parfois
Rient sur ton visage.
Oui, tu te vois, demain,
Guidant la charrue,
Ecoutant le chant de tes pas
Sur les pierres des champs
Pourquoi n'es-tu pas resté
Jeune comme moi ?
Tu es si beau quand tu racontes !
Il sourit et n'ose répondre.


Josette V. Costes Gozon (Aveyron)

   

Comment accueillir cette expression poétique des tout petits, comment la retrouver et la faire s'épanouir chez ceux que la scolastique a inhibés, c'est ce que nous étudierons aussi.

Dès maintenant habituez vos enfants à regarder en eux, à écouter les yeux fermés le bruissement des aiguilles de pin qu'agite le vent, le choc régulier des gouttes tombant dans la mare, cet aboiement lointain, et nostalgique, et même, pourquoi pas, les battements de leur coeur. Entraînez-les à s'analyser à suivre l'écho proche ou lointain de leurs pensées et de leurs rêves, Vous exhumerez alors les vraies richesses.

Suivant l'exemple du spéléologue, Siffre, nos élèves ont creusé, à même la terre un abri souterrain hermétiquement clos. Richard voulait y descendre tout un jour pour analyser ses réflexes dans la solitude et la nuit. Et ce que nous rapportera d'original de son expédition. G. de Caunes, le Robinson français, ce ne sera ni le spectacle de ses chasses et de ses pêches ni la construction de sa maison mais cette, conscience nouvelle d'un homme qui, face à son destin, scrute les profondeurs de sa personnalité.

Si la poésie connaît aujourd'hui un tel regain d'intérêt, c'est parce que le secteur extérieur et mécanique de notre vie s'est dangereusement hypertrophié aux dépens de notre être propre. Notre vie même est menacée et nous ne sommes plus les seuls à tirer le signal d'alarme.

La poésie enfantine tient aujourd'hui une place d'honneur dans notre oeuvre de sauvegarde et de rénovation.

(à suivre)

C. Freinet

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