De
l'expression libre corporelle
au Jeu dramatique
et à la Fête enfantine
De même que la première forme d'expression des primitifs fut le rythme et la danse, la première expression enfantine, celle par laquelle le bébé, qui ne sait pas encore parler, communique avec son entourage, est l'expression gestuelle.
Gestes des mains tendues vers l'objet désiré, gestes du corps qui se meut maladroitement dans l'espace, gestes de la tête qui se penche ou se lève vers l'être ou le bruit, gestes éloquents dans leur simplicité et déjà porteurs de langage, de désirs de communication.
Les rites et les danses à caractère magique des peuples primitifs ne témoignaient-ils pas du même désir de s'approprier le monde, de communiquer avec les êtres vivants et morts par le moyen d'un rythme envoûtant auquel corps et esprits étaient soumis jusqu'à s'y perdre.
Cependant, chacun de nos petits possède son rythme de vie propre, son rythme naturel, sa respiration particulière avec laquelle il va vers le monde.
Ce rythme, nous le retrouvons dans chacun de ses gestes, dans chacune de ses oeuvres, dans sa façon de parler comme dans ses jeux.
C'est à travers lui que l'enfant va prendre conscience de ses pouvoirs de création et d'imitation, qu'il va traduire ses émotions, éprouver la vie des êtres et des choses qui l'entourent.
Ainsi des jeux spontanés naissent-ils, sans que nous y prenions garde, chaque fois que des enfants sont laissés à eux-mêmes, sans une direction contraignante d'adultes :
On joue seul : par gestes et bruitage approprié, à l'auto, à l'avion, au cheval, au chien, etc...
A plusieurs : au train, à la course, à la bagarre, au papa et à la maman, au coiffeur, au docteur, etc...
En classe si l'éducatrice est accueillante, si elle sait valoriser les apports enfantins, les jeux spontanés s'amplifient et se diversifient.
Par le geste, la mimique, l'enfant s'identifie au personnage invoqué tout en projetant sur l'objet sa propre personnalité, Ce curieux phénomène de dédoublement, si naturel à l'enfant, est une véritable expérience tâtonnée, tout à la fois physique et mentale, d'autant plus enrichissante qu'elle aide l'enfant à la fois à sortir de lui-même et à se trouver en tant que créateur de situations nouvelles.
Dans le climat communautaire d'une classe d'école moderne, la première mimique assez fruste, s'enrichit des trouvailles des camarades, et de leurs critiques.
Lorsque « l'histoire » ou « l'événement » jaillissent d'intérêts collectifs puissants, lorsqu'ils sont l'expression de moments de vie profondément éprouvés par la classe entière, de véritables jeux dramatiques peuvent naître, s'organiser, s'épanouir jusqu'à l'aboutissement spectaculaire de la fête enfantine. Dans ces jeux collectifs, les possibilités d'expression, d'invention, le rythme naturel de chaque enfant, non seulement se font spontanément jour, mais encore sont multipliés, valorisés par l'obligation où chacun se trouve de regarder les autres, de tenir compte de leurs apports, de collaborer avec eux, de les rejoindre dans le jeu. Ainsi les liens de cette communauté vivante qu'est la classe s'y resserrent-ils. Maîtresse et enfants vivent une même création. Le vivant dialogue des gestes, des émotions, des sensibilités qui se répondent et s'étayent, provoque et soutient la construction du jeu. Cependant, celui-ci, pour valable et riche qu'il soit dans le cadre de la classe, n'est accessible aux spectateurs les plus éloignés du milieu enfantin, qu'à la condition d'être véritablement un jeu dramatique. C'est-à-dire de présenter certaines exigences d'unité d'action, un « drame » qui se noue et se dénoue en sa durée. C'est ici que la « part du maître » se révèle à la fois délicate et importante : Pour organiser le spectacle et lui faire « passer la rampe » l'éducatrice doit choisir parmi les nombreux apports enfantins spontanés, les arguments du jeu et leur enchaînement. Le canevas étant cerné de façon assez large, il faut alors introduire l'élément musical qui donnera au jeu enfantin le soutien d'une émotion vivifiée, clarifiée, ordonnée par la ligne mélodique, aux gestes une ampleur, une plénitude qui débordent infiniment le cadre de l'improvisation première. Voyez notre jeu des 4 saisons dont nous vous présentons, en photos, quelques moments : Il est né, chez les éducatrices, du désir de montrer à un public non averti, le véritable visage de la petite enfance, sa joie de vivre et de créer, sa prodigieuse faculté de métamorphoses, son élan vers la vie sous ses multiples formes. |
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Des apports enfantins au cours des quatre saisons de l'année, de l'observation sympathique et attentive des jeux spontanés des enfants, de leur émerveillement devant la première neige, de leurs offrandes fleuries au printemps, de l'attirance solaire si vivement ressentie, des plaisirs de l'automne ; courses dans les bois, chasse, cueillettes, nous avons tiré les arguments de quatre jeux dramatiques représentant chacun une saison.
Ces jeux n'étaient à l'origine que des jalons dans la trame même de la vie de nos petits au long d'une année, les saisons étant vécues en profondeur dans toutes les activités de nos classes maternelles : il n'est pour s'en convaincre que de contempler les merveilleuses peintures d'arbres et de fleurs au printemps, de soleils flamboyants, d'animaux perdus dans les forêts d'automne, de bonhommes de neige, que de lire le délicieux florilège de textes et de réflexions enfantines sur les plaisirs et les jeux aux quatre saisons.
Délibérément, nous avons adopté la voie de la « commune mesure », celle dans laquelle tous nos enfants et toutes nos éducatrices (160 enfants de 15 écoles différentes participaient au spectacle) pouvaient le mieux s'épanouir et se joindre.
La musique choisie « les 4 saisons » de Vivaldi, nous a contraintes par la forme même de chaque concerto (allegro et andante alternés) à une construction assez rigoureuse de chacun des jeux.
Cette exigence aiguisa et affina la sensibilité musicale des éducatrices et des enfants, chacun des mouvements musicaux étant écouté, dansé librement, historié en collaboration.
Les enfants ayant vécu spontanément chacun des jeux avant toute proposition musicale, les recréèrent sur chacun des concerti en soumettant leurs corps aux rythmes musicaux qui enrichirent, assouplirent, amplifièrent les gestes naturels.
Aucun pas ne fut imposé ni appris.
Par contre, les personnages de chaque jeu furent choisis en fonction des thèmes musicaux : soleil, épis, oiseaux, feuilles mortes, vent, flocons de neige s'identifièrent bientôt si parfaitement à « leur musique » que celle-ci se mit à palpiter, à se colorer sous nos yeux, à se vêtir de douceur et de rires, de chaleur et de tendresse. Une éducation rythmique naturelle, à base d'inventions enfantines, avait déjà donné à nos petits aisance et souplesse.
Leurs corps déliés accueillirent la musique et inventèrent la danse ; la répartition des formes et des volumes dans l'espace fut l'oeuvre du jeu ; les entrées et les sorties furent réglées par nous dans le cadre imparti.
Mais surtout, cette expérience dramatique et musicale si riche et diverse, nous révéla l'étonnant pouvoir d'expression gestuelle enfantine, lorsque la sensibilité vibrante des petits est mise en branle par des émotions simples et profondes et soutenue par une oeuvre musicale qui amplifie, prolonge, multiplie cette petite musique intérieure qui chante en chacun d'eux.
Et nous nous sommes émerveillées de voir chacun des gestes de nos petits s'inscrire dans une courbe pleine, significative d'un accord secret avec les rythmes naturels et d'une transposition instinctive du monde qui est déjà de l'art.
Et plus encore d'éprouver l'équilibre, l'harmonie nés du dépassement de l'expression individuelle par le dialogue des gestes tendus vers l'oeuvre commune, des regards qui se répondent, des pas qui s'accordent à travers ce rythme universel de joie qui illumine les « nourritures terrestres ».
Tout se prépare à l'organisation de la joie et voici bientôt qui prend vie, qui palpite inconsidérément dans la feuille, qui prend nom, se divise et devient parfum dans la fleur, saveur dans le fruit, conscience et voix dans l'oiseau.
Chaque animal n'est qu'un paquet de joie
Le ramier qui exulte parmi les branches
Les rameaux qui se balancent dans le vent
Le vent qui penche les barques blanches
Sur la mer luisant à travers les branches
Les flots dont la crête blanchit
Et le rire et l'azur et la clarté de tout ceci
Ma soeur, c'est mon coeur qui se raconte
Qui raconte au tien son bonheur ».
Offrande reçue et partagée, « poésie qui vient de la tête, du coeur, du ventre, des mains, des pieds », don d'enfance.
Ce soleil des quatre saisons,
Ces gros bouquets qui sentent doux,
Ce soleil en épis,
Ces oiseaux posés sur le vent,
Ces feuilles envolées, ces feuilles rouillées
Et ce flocon tout fin, tout léger, tout mouillé
Qui tombe pour notre joie sur la terre
La terre tout court
La terre toute ronde
La terre toute seule
Au travers du ciel
La terre.
POINT DE DÉPART. A l'école maternelle comme dans toute école du premier degré, toute création est chose de spontanéité et de recherche permanente. Il s'en suit que toute oeuvre d'une certaine envergure n'est pas exclusivement oeuvre enfantine mais aussi apport presque permanent de l'expérience quotidienne sous la direction de la maîtresse. Sûres des buts à atteindre, nos éducatrices sont restées à l'écoute de tous les événements familiers ou extraordinaires, concrétisés par les récits des enfants au cours des instants favorables où l'enfant, en confiance, raconte ce qui le passionne. Tout naturellement, nous sommes donc arrivés ainsi à des centres d'intérêts naturels pour chaque saison, chacun de ces centres d'intérêts étant progressivement enrichi de l'apport des enfants pas les divers moyens d'expression. |
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DÉCORS ET COSTUMES Rien d'artificiel ne fut introduit dans le décor et les costumes. DECOR : Le soleil - Décor qui centrait la scène symbolisait tout l'élan et l'enrichissement apportés par les petits pour la préparation de cette fête si profondément vécue. Nous l'avions construit à partir du dessin d'un de nos petits, qui, un beau jour d'été alors que toute la classe peignait à qui mieux mieux des soleils entourés d'épis, de fleurs, de feuilles, d'oiseaux, nous avait donné, sans invitation ni suggestion d'aucune sorte, un étonnant soleil des quatre saisons à douze rayons portant les uns des bourgeons, des feuilles ou des fleurs, les autres des fruits ou des arbres enneigés. Les rayons cernés de noir, se détachaient sur un fond alternativement gris, mauve, vert, jaune et bleu. Lorsque le rideau s'est levé sur ce décor mobile et d'une facture si inattendue, d'un éclat si chatoyant, toute la salle a éclaté en applaudissements. LES
COSTUMES : |
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LES ARGUMENTS DE L'AUTOMNE Nous retenons trois arguments qui correspondent aux trois mouvements du concerto : a)
Promenade dans la forêt et au verger (1er) allégro. (Rideau : fin de l'automne) |
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LE PRINTEMPS « Avant, c'était l'hiver, on marchait sur les feuilles mortes, les fleurs dormaient, les oiseaux pleuraient... « Tout à coup, voilà que les arbres poussent, grands, grands et il y a des pâquerettes, de l'herbe et des petits lapins... Alors, les enfants arrivent pour cueillir les fleurs et ils chantent et ils dansent et c'est la fête du printemps ». « Un arbre joli du printemps, ses branches tournent en bas. En haut, elles s'enroulent, se ramassent comme des escargots et le vent les remue, le vent du printemps ». (Textes d'enfants) Le, printemps est très certainement la saison la plus profondément vécue : l'éclatement des bourgeons, l'éclosion des fleurs, la confection des nids, les promenades à la campagne, tout y est sujet d'émerveillement pour nos petits. Leurs récits sont sans cesse inspirés par ces sujets. Voici quelques images qui traduisent cette joie du renouveau à laquelle les enfants sont si sensibles : |
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