Méthode naturelle de musique
Nous avons montré par l'expérience, par l'éclosion de nos 6000 journaux scolaires, par la publication de nos Gerbes, de nos Enfantines et de nos Albums, que l'enfant, dès qu'il est soustrait à la sujétion des adultes et à la momification des méthodes, dès qu'il peut s'épanouir et s'exprimer, nous offre des bouquets d'une richesse et d'une originalité auxquelles seuls les grands poètes peuvent parfois prétendre. Et ces oeuvres, même si elles sont techniquement imparfaites, possèdent une autre qualité majeure dont on a trop souvent négligé la puissance : elles explosent, toutes chargées de subjectivité et de vie ; elles sont le torrent qui déferle avec ses eaux jaillissantes bondissant parmi les splendeurs des sommets. Elles sont une promesse et un commencement. A nous d'en faire une grande et définitive réalité.
Il n'y a pas de raison qu'une méthode de travail qui nous a si bien réussi pour le langage, ne nous apporte pas les mêmes avantages et les mêmes succès dans le domaine de l'expression musicale. Seulement, il nous faut comme pour le langage :
Aller chercher la fraîcheur originelle chez les jeunes enfants non encore déformés et pervertis par la répétition de la musique et des chants adultes ; et aussi, désintoxiquer les élèves plus âgés, les aider à retrouver leur source, les intéresser à une production et à une oeuvre dont ils seront les auteurs. C'est là aussi toute l'histoire du bouquet de fleurs et de la boîte d'allumettes que dessine l'écolier perverti par les vieilles méthodes et qui doit retrouver la vie, première étape indispensable de l'art.
Retrouver, expérimenter dans le cadre de notre école laïque une méthode qui, partant de l'expression libre musicale, nous haussera, sans dangereux hiatus, jusqu'à la culture.
Fixer expérimentalement, pour ce qui nous concerne, nous éducateurs, les voies nouvelles de cette pédagogie à base de vie et d'expression libre et mettre au point coopérativement la technique qui rendra naturelle et permanente l'expression musicale, qui nous vaudra tous les matins une Gerbe émouvante de chants libres comme notre technique de la rédaction nous enrichit tous les jours d'une moisson insoupçonnée de textes libres.
Ajuster, expérimentalement et coopérativement, sur cette expression enfantine, une part du maître heureusement dosée qui nous permettra la mise au point individuelle, en commun ou en groupes, des motifs retenus, leur utilisation et leur diffusion ; par le chant individuel et collectif en classe, hors de la classe, au cours des fêtes scolaires, par l'intégration permanente de ces chants aux autres modes d'expression enfantine : pipeaux, rythmique, théâtre, marionnette ; par la réalisation dans nos classes d'un climat d'expression musicale qui se traduira notamment, et dès les mois à venir, par l'insertion régulière dans le journal scolaire, au même titre que les textes littéraires et les dessins, de une ou plusieurs pages de chants libres mis au point en classe, pédagogiquement exploités, et que les camarades correspondants pourront reprendre, chanter, jouer, critiquer.
Prévoir de bonne heure aussi l'exploitation pédagogique du chant libre par l'audition de morceaux adultes qui seront comme la résonance, à l'échelle du vaste monde, de l'originelle création enfantine. Seulement, nous savons qu'alors nos enfants ne se contenteront plus d'imiter et de répéter passivement. L'oeuvre adulte deviendra pour eux le prolongement de leur propre expérience, l'engrais spécifique qui nourrit la jeune plante déjà gonflée de sève qui s'est élancée hardiment vers le ciel.