Ecole maternelle des Mouillères Lons-le-Saunier - Jura |
DENSITE D'UNE AME Dans notre enseignement primaire voué aux connaissances rudimentaires du lire, écrire et compter, il est certainement encore beaucoup d'instituteurs et de parents qui trouvent superflues les techniques culturelles du dessin, de la danse, du théâtre et du chant. Le temps de scolarité est court, les classes surchargées, les élèves énervés et les examens pressants : il n'y a pas de temps à perdre en fantaisies qui ne sont pas indispensables aux enfants du peuple. Demain ouvriers, manoeuvres ou paysans, ils auront à travailler dur pour « tirer leur paye » et leurs existences seront sans superflu... La plus grande misère d'un éducateur est peut-être de se résigner d'avance à la pauvreté et au malheur ; de ne point voir que jusque dans les milieux prolétariens les plus déshérités, demeure le besoin de la joie exceptionnelle et nécessaire porteuse d'espérance et de rédemption. Quand l'enfant peint une belle image du monde il y enclôt plus que de la couleur et des lignes. Quand il improvise une danse, son coeur est au-delà du jeu de ses pieds glissant, légers, sur le parquet. Quand il module un chant ou un poème, son rêve est plus haut que les mots, accordé au chant du monde. Ces états de faveur ne servent de rien, en apparence, dans une existence sans horizon, mais du moins, ils préserveront la part d'illusion qui toujours empêche l'isolé de sombrer dans le mauvais destin. Si, dès l'enfance, l'habitude était prise d'avoir avec soi-même des exigences qui exaltent le coeur et l'esprit, l'homme, dans sa maturité, serait présent aux somptuosités de la vie et peut-être le monde en serait changé. C'est parce que depuis tant d'années, nous avons fait compagnonnage d'amitié et de travail avec l'enfant, que nous savons, peut-être plus et mieux que les parents parfois, tout ce qui serait à sauvegarder pour l'avenir de leur enfant. Et tout d'abord, cette joie d'exister, au départ inexplicable et qui progressivement, trouve dans le rêve et dans le travail des points d'appui qui sont les relais de la plus merveilleuse expérience car cette expérience est désormais communicable aux autres. C'est la raison première de notre revue d’ART ENFANTIN qui voudrait faire la preuve que l'enfant n'a pas de limites qui le maintiennent dans une situation mineure par rapport à l'adulte. Il est sa propre vie et c'est une vie prodigieuse. C'est cela que nous avons mission de dire et de crier, à une heure où pour la première fois dans l'aventure des hommes, le passé n'est plus garant de l'avenir. |
Nous voici en effet à l'aurore d'une nouvelle civilisation. Si elle passionne la petite équipe des grands cerveaux de ce monde, elle plonge l'immensité des peuples dans une grande inquiétude : de quoi sera fait l'avenir quand déjà, sous nos yeux, une science sans âme tente de nous déraciner d'un passé qui, à tout prendre, nous était cher puisqu'il était la somme de la grande expérience humaine. Une nostalgie nous vient au souvenir des temps révolus encore soumis aux pouvoirs des bienfaisantes ignorances. Aussi bien, les savants qui sont à « la belle pointe » du progrès ne sauraient nous rassurer. Les plus lucides d'entre eux ne cachent pas leurs craintes devant l'accélération de découvertes de plus en plus sensationnelles, les projetant vers un nouveau savoir auquel ils ne sont pas préparés. C'est ainsi que parlant à Tokyo, le plus célèbre des atomistes américains Oppenheimer, exprimait l'angoisse du savant au seuil d'une connaissance devant laquelle l'homme ne compte plus. Pour situer mieux encore une science apocalyptique et déshumanisée, il citait une réflexion de Niels Bohr, réflexion qui a de quoi bouleverser les ignorants que nous sommes : « Quand il me vient une idée, il me vient aussi une envie de suicide ». S'il est exact, comme l'affirmait Einstein « qu'une grande théorie physique n'est pas déterminée par les faits de la Nature, mais qu'elle est une libre création de l'esprit » l'on ne peut qu'être épouvanté du sens nouveau donné au plus émouvant des vocables qui jalonnent l'aventure des hommes: la liberté. Et l'on comprend les réflexions amères d'Oppenheimer devant la tragique solitude du savant coupé des hommes : « Je le dis, nous nous sommes appauvris sur les plans élevés, ceux de la spiritualité d'où un homme tire sa vraie force et sa vraie perspicacité. » Et le grand savant exprime avec sincérité et émotion, l'obligation de rester en contact avec la grande simplicité instinctive, avec les impératifs éthiques « sans lesquels il n'y a pas de vrais hommes ». Voilà qui fait du bien et voilà qui redonne à notre vocation éducatrice un sens et une portée dont peut-être jusqu'ici nous n'avions pas senti toute la valeur et toute la responsabilité. Et nous nous sentons heureux d'être les premiers à prendre en charge ce que la créature humaine a de plus précieux et de plus émouvant : la densité d'une âme. |
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