Aérium de Saint-Palais - Charente-Maritime

Le dessin facteur d'équilibre

Ce passage extrait de la thèse présentée par Maurice Pigeon pour le Doctorat d'Université, servira d'entrée en matière pour une grande enquête sur le dessin facteur d'équilibre dans le milieu familial, scolaire et social. Dans le prochain numéro, notre camarade Pigeon exposera les données d'une recherche collective à laquelle parents et éducateurs doivent collaborer. Nous aurons ainsi une rubrique permanente sur un aspect plus psychologique du dessin qui doit intéresser tout éducateur.

Chez l'enfant, le cri évolue insensiblement vers le langage articulé, parce qu'il a été perçu comme un moyen affectif d'expression par le bébé qui réussit ainsi, d'emblée, à assurer son influence sur le milieu et à augmenter son action et sa puissance.

Cet autre langage qu'est le gribouillage, puis le dessin, prendra place parmi les outils dont l'enfant dispose pour s'exprimer et exprimer sa manière d'être au monde. Puisqu'il y a langage, il faut qu'il y ait des interlocuteurs ou des témoins intéressés.

 

 

   

Si les adultes ne marquent aucune attention à cette forme d'expression qu'ils ne connaissent plus, l'enfant l'abandonne auprès d'eux, et passe à d'autres expériences plus efficaces. Si, au contraire, une réussite graphique suscite de la part du milieu compréhensif un encouragement, de nouveaux graphismes surgissent pour faire plaisir, amorçant une réaction circulaire dont nous possédons bien le schéma. Le dessin s'affirmera, se précisera, s'affinera dans la mesure où l'enfant y percevra un moyen authentique d'expression et un moyen d'action sur le milieu.

Arrive l'âge de la scolarité. En général, l'enfant sait déjà que, dans le milieu des adultes, on utilise un autre langage mystérieux : l'écriture. Il tracera volontiers les signes qu'on lui enseignera, il s'imprégnera plus ou moins vite de leur valeur et du sens de leurs associations. Il saura lire et écrire. Si, dans le même temps, le dessin n'est pas en honneur à l'école, si donc il ne lui semble plus d'aucune utilité expressive, il ne l'utilisera plus comme moyen légal, surtout si le milieu familial n'accorde aucun intérêt à cette manifestation ou s'il exige trop tôt la reproduction quasi-photographique des choses, impossibles cet âge. Dans la pratique, l'enfant, même déformé scolastiquement, tant la puissance du dessin est considérable, conservera avec ses camarades ce mode irremplaçable d'expression, en particulier dans les jeux.

Alors, les mêmes éléments de base reviennent, et le dessin ne constitue plus qu'un procédé pauvre, sans avenir, limité et imparfait, comme le demeure le langage habituel dans les milieux de médiocre apport intellectuel où les échanges ne sont et ne peuvent être ni étendus, ni profonds.

Pour s'enrichir, l'expression graphique doit avoir dominé les précédentes acquisitions les avoir intégrées et automatisées. Cette maîtrise n'est pensable que dans un milieu affectivement et intellectuellement riche, que si des gammes importantes de graphismes se sont amassées, et souvent mobilisées afin de traduire les besoins d'expression de la sphère affective-émotive et ceux de l'intelligence.

Seule, la liberté d'expression permet le déploiement de telles ressources pour de tel besoins créateurs.

Par parenthèse, et bien loin de l'enfance, on peut noter combien il est étrange que de grands écrivains ont éprouvé dans leur maturité, voire dans leur vieillesse, le besoin invincible de parfaire leur expression totale par le dessin ou la peinture. Ainsi, le grand poète et littérateur indien RABINDRANATH TAGORE, Prix Nobel de littérature en 1913, fut attiré irrésistiblement vers l'art graphique et l'art pictural à 67 ans. Il dessina, grava et peignit jusqu'à sa mort à 81 ans. Son oeuvre comptait alors plus de 2000 productions de valeur. Nombre d'auteurs littéraires, des poètes, des musiciens ont recherché cette voie d’expression, de Hugo à Federico Garcia Lorca, Kipling, Goethe, Marc Twain, etc. Ainsi cultivaient-ils de nouvelles puissances d’évasion leur permettant sans doute de sublimer des désirs latents mal orientés, afin de rétablir ou de tenter de créer en eux, un équilibre (1).

Maurice Pigeon

(1) cf « Le Courrier » Ed UNESCO Paris août 1957 «  Peintures et dessins des grands écrivains ».

 

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