Si les adultes ne marquent aucune attention à cette forme d'expression qu'ils ne connaissent plus, l'enfant l'abandonne auprès d'eux, et passe à d'autres expériences plus efficaces. Si, au contraire, une réussite graphique suscite de la part du milieu compréhensif un encouragement, de nouveaux graphismes surgissent pour faire plaisir, amorçant une réaction circulaire dont nous possédons bien le schéma. Le dessin s'affirmera, se précisera, s'affinera dans la mesure où l'enfant y percevra un moyen authentique d'expression et un moyen d'action sur le milieu. Arrive l'âge de la scolarité. En général, l'enfant sait déjà que, dans le milieu des adultes, on utilise un autre langage mystérieux : l'écriture. Il tracera volontiers les signes qu'on lui enseignera, il s'imprégnera plus ou moins vite de leur valeur et du sens de leurs associations. Il saura lire et écrire. Si, dans le même temps, le dessin n'est pas en honneur à l'école, si donc il ne lui semble plus d'aucune utilité expressive, il ne l'utilisera plus comme moyen légal, surtout si le milieu familial n'accorde aucun intérêt à cette manifestation ou s'il exige trop tôt la reproduction quasi-photographique des choses, impossibles cet âge. Dans la pratique, l'enfant, même déformé scolastiquement, tant la puissance du dessin est considérable, conservera avec ses camarades ce mode irremplaçable d'expression, en particulier dans les jeux. Alors, les mêmes éléments de base reviennent, et le dessin ne constitue plus qu'un procédé pauvre, sans avenir, limité et imparfait, comme le demeure le langage habituel dans les milieux de médiocre apport intellectuel où les échanges ne sont et ne peuvent être ni étendus, ni profonds. Pour s'enrichir, l'expression graphique doit avoir dominé les précédentes acquisitions les avoir intégrées et automatisées. Cette maîtrise n'est pensable que dans un milieu affectivement et intellectuellement riche, que si des gammes importantes de graphismes se sont amassées, et souvent mobilisées afin de traduire les besoins d'expression de la sphère affective-émotive et ceux de l'intelligence. Seule, la liberté d'expression permet le déploiement de telles ressources pour de tel besoins créateurs. Par parenthèse, et bien loin de l'enfance, on peut noter combien il est étrange que de grands écrivains ont éprouvé dans leur maturité, voire dans leur vieillesse, le besoin invincible de parfaire leur expression totale par le dessin ou la peinture. Ainsi, le grand poète et littérateur indien RABINDRANATH TAGORE, Prix Nobel de littérature en 1913, fut attiré irrésistiblement vers l'art graphique et l'art pictural à 67 ans. Il dessina, grava et peignit jusqu'à sa mort à 81 ans. Son oeuvre comptait alors plus de 2000 productions de valeur. Nombre d'auteurs littéraires, des poètes, des musiciens ont recherché cette voie d’expression, de Hugo à Federico Garcia Lorca, Kipling, Goethe, Marc Twain, etc. Ainsi cultivaient-ils de nouvelles puissances d’évasion leur permettant sans doute de sublimer des désirs latents mal orientés, afin de rétablir ou de tenter de créer en eux, un équilibre (1). Maurice Pigeon (1) cf « Le Courrier » Ed UNESCO Paris août 1957 « Peintures et dessins des grands écrivains ». |
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