Le geste graphique à l’origine du dessin
Nous le savons d'expérience courante les premières expressions psycho-motrices du bébé se manifestent par le cri et par le geste. Si le cri évolue, sous l'influence du milieu, vers le langage articulé et socialisé le geste se prolonge, entre autres, par l'activité graphique conditionnée par l'évolution psycho-motrice de l'enfant. L'obtention d'un tracé exige, en effet, un développement psycho-moteur convenable pour permettre la coordination de la main, mobile en principe qui tient l'objet traçant et celle qui maintient l'objet sur quoi s'exerce le tracé.
Prudhommeau (1), en particulier, a pu vérifier en étudiant le développement de son fils Claude, la coïncidence de la production des premiers graphismes volontaires et du début de la marche. Ce même auteur considère le gribouillage et le dessin, non plus comme un jeu, comme l'avaient vu des psychologues aussi différents que Luquet (1913), Gattegno (1948) et Jean Château (1948), mais comme une activité sérieuse qui permet de suivre une courbe évolutive de même sens que le geste et que le langage articulé.
Cette observation est importante si l'on s'en rapporte au psychologue américain Arnold Gesell : « Un enfant échoue dans l'aspect moteur de ses tâches scolaires pour la même raison qu'il échoue au cours de ses premiers efforts pour se tenir debout et trottiner ». (2)
Sans s'appesantir sur les hypothèses d'autres chercheurs et leurs conclusions, on doit pouvoir avancer que la fonction graphique s'enracinerait encore plus profondément que le langage dans les potentialités expressives de l'être humain, dans une conception générale de la motricité affective (cf. les travaux de Pierre Naville, Henri Wallon, Jean Piaget, Juliette Favez-Bontonier).
Alain bloqué par l'épreuve désastreuse
de ses deux prmières années scolaires, retrouve, grâce
au dessin les processus normaux d'évolution
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Les très récents travaux du Docteur Roger Mucchielli sur la genèse et la structure de l'affectivité comme niveau psychosomatique (3) ont mis en lumière cette protoconscience qui « s'exprime gestuellement dans un jeu incessant et complexe de figures métaphoriques, riches de signification concrète ».
Le simple gribouillage chez le petit enfant, prolongement du geste et son témoin, n'est donc autre que la rencontre du besoin de s'exprimer et de la possibilité de le faire. Cette trace se caractérise par son rythme, par un emplacement particulier sur la feuille, par sa direction, son ampleur, son allure générale. Pendant des semaines, tout se maintient à peu près identique et constitue l'expression d'une personnalité qui s'élabore, se dégage et se différencie du milieu ambiant.
Plus tard, le dessin spontané manifeste et révèle l'enfant dans sa personnalité totale, sensibilité profonde, intelligence et action. Tant il est vrai que l'évolution du graphisme libre de l'enfant, du geste à la tache, de la tache au trait, témoigne des lents avatars de l'affectivité, pensée aveugle et immédiate, vers la pensée intellectuelle. Albert Burlond, il convient de le rappeler, voyait dans l'intelligence, un épanouissement de la sensibilité.
Pour Freinet, la loi d'évolution générale veut que l'enfant découvre ses premières réussites, les améliore et s'en rende maître par répétition. Le dessin retrace le même processus : graphisme accepté comme réussi selon l'enfant lui-même et son milieu, répétition mécanique de ce graphisme pour l'intégrer dans l'automatisme, étape nouvelle entreprise à partir de ce palier, nouvelle réussite, nouvelle répétition... (4)
Plus l'intelligence de l'enfant est vive et sa sensibilité aiguisée, plus les mécanismes s'acquièrent rapidement tandis que le progrès s'assure à un rythme accéléré, l'expérience affrontant aussitôt de nouvelles difficultés. S'il se présente retardé ou anormal, l'enfant répètera longtemps la même réussite avant d'entreprendre une action de sens nouveau. Ainsi, la permanence des types plus ou moins réussis témoignent du retard mental ou d'un barrage d'ordre affectif.
Ensemble et avec votre aide, nous le vérifierons et nous tenterons d'aller plus loin dans la perspective de notre pédagogie de l'Ecole Moderne.
(à suivre)
MAURICE PIGEON
Docteur es‑lettres
(1)
Prudhommeau « Le dessin de l'enfant »
Ed. P.U.F. 1947
(2) A. Gesell « L'enfant de
5 à 10 ans » Ed. P.U.F. 1949
(3) R. Mucchielli « Philosophie
de la médecine psychosomatique » Ed. Montaigne 1961
(4) Freinet : Méthode naturelle de dessin Ed. C.E.L.
1951.