Ecole de Pardaillan (L.-et-G.)

NOUVELLE EXPÉRIENCE

Changer de poste et de classe n'est peut-être pas pour la majorité des instituteurs un événement de grande importance mais je suis sûre que les maîtres de notre Ecole Moderne restent longtemps attachés aux élèves qu'ils ont quittés et à l'atmosphère de leur classe, celle qu'ils avaient personnalisée et qui faisait partie de leur vie.

En prenant une classe qui m'était étrangère, je n'ai rien voulu brusquer. Je n'ai même pas parlé trop longuement et avec regret des enfants que je venais de quitter, pour ne pas montrer mes regrets.

J'ai pris une succession et j'ai fait de mon mieux pour ne pas briser trop brutalement le passé qui ne m'appartenait pas et le présent que je devais préparer, sans rien bousculer.

Les enfants, au demeurant, étaient faits aux pratiques traditionnelles. Ils se sentaient dans l'obligation de m'initier aux pratiques scolaires qui leur étaient familières. Les enfants du C.P. ont déjà des habitudes et ils entendent les garder :

- Madame, nous, on fait du piquage...

J'ai laissé faire du piquage sur carton mais, en même temps, j'ai apporté de la toile de sac et des laines de couleurs et j'ai montré la belle tapisserie de Pardaillan. Le piquage a conservé ses farouches adeptes pendant que ceux qui se laissaient séduire allaient vers la tapisserie en laines brodées. On comprend aisément que le piquage apportait moins d'enthousiasme et de joie que la belle tapisserie devenue chaque jour plus riche et chatoyante.

- Madame, on faisait du tissage de bandelettes...

Les plus amorphes des enfants tenaient à leurs occupations de tout repos tandis que les plus audacieux se lançaient dans les divers travaux d'Art mis en honneur par les techniques d'expression libre : poterie, gravures diverses, étoffes appliquées, etc... Et le tissage fut à son tour relégué dans un placard avec les chiens à roulettes et autres figurines imposées par une scolastique que les grandes librairies de France maintiennent à l'encontre de tout souci de nouveauté.

Les tapisseries tout spécialement ont passionné les enfants. Trois garçons, Claude, Michel et Guy (7 à 8 ans), étaient acharnés à l'ouvrage. Cet hiver, ils emportaient la tapisserie collective à tour de rôle à la maison et je vous assure que le travail avançait :

- Madame, Maman m'a donné de la laine avec du poil pour faire mon poussin. Elle m'en donnera encore !

En effet, la laine donnait plus de duvet au poussin frileux que le garçonnet arrivait difficilement à étoffer.

Les mamans même se piquaient au jeu, suivaient le travail des gamins et se sentaient une certaine responsabilité dans l'entreprise.

- Mon fils, disait une maman, ne sera jamais assez adroit pour faire une aussi belle broderie que Guy.

C'était une autre maman qui veillait à son tour pour épauler son petit garçon et qui, le matin, le conduisant en classe, me disait :

- Vraiment, quand il apporte la tapisserie, nous ne savons plus nous coucher… Il faut se gendarmer pour lui faire plier bagage.

Ce qui s'est passé pour les travaux d'art s'est passé aussi pour la peinture. Je n'ai rien brusqué au début, mais je dois dire que je n'ai pas non plus encouragé les dessins pompiers à colorier, les pointillés à réunir en lignes conventionnelles pour aboutir au chien le plus académique ou à la poule la plus schématique. J'ai simplement disposé les pots de peinture, les pinceaux, les papiers de formats variés et j'ai montré les beaux dessins venus de nos écoles correspondantes.

- Madame, qu'est-ce qu'on fait avec ça ?

J'ai répondu simplement :

- Tout ce que vous voulez...

Mais justement, ils ne voulaient rien car ils ne savaient pas encore quelles étaient leurs possibilités d'invention et de création. Les uns cependant ont été ravis de cette occasion de s'exprimer librement et de suite ils ont réalisé des graphismes plus ou moins schématiques mais qu'ils avaient plaisir à réaliser tout de même. La couleur ajoutée à ces premiers essais leur donnait le sentiment d'une totale réussite. Pour les autres, il a fallu aider, suggérer et même prendre le crayon pour mettre en route un oiseau, une fleur, tout ce que pouvaient proposer les enfants qui n'avaient jamais exercé en classe leur imagination.


Bouzite 12 a. Centre départemental
Les Cadeneaux - Marseille
   

Les dessins de nos correspondants nous ont beaucoup aidés et aussi les dessins de Pardaillan ramenés précieusement dans mon nouveau poste. Ils étaient de temps en temps affichés aux murs près des créations nouvelles et leur présence semblait donner encouragement et sécurité aux plus hardis.

Maintenant, tous les enfants sont heureux de dessiner et de peindre. Ils n'ont plus d'hésitation devant la feuille blanche et ils dessinent même deux dessins à la fois, car ils n'ont pas la patience d'attendre que la couleur sèche ce qui est long pour un seul dessin.

Comme dans toutes les classes pratiquant le dessin libre, les enfants travaillent dans une ambiance de sympathie qui autorise les critiques et les conseils. Les peintures sont posées au fond de la classe, chacun admire et dit son avis.

Nos progrès en français (du moins ce que l'on nomme français), ont suivi le même processus, de tâtonnements d'abord hasardeux puis devenus de plus en plus judicieux, justifiés par les circonstances et les exigences de la vie scolaire ou de la vie tout court. Ces enfants qui n'avaient pas la moindre idée de ce que pouvait être un texte libre, ont appris à démêler leurs propres pensées au jour le jour. Ils se sont aperçus que leur vie était intéressante, digne d'être racontée et ils ont osé dire ce qui les touchait, les remuait car on les écoutait et on proposait même leurs récits ou leurs textes pour l'imprimerie. Je garde toujours tous les textes libres, chacun a une chemise qui les contient et qui va s'enrichissant. Ainsi quand son texte n'est pas imprimé, l'enfant a au moins le sentiment de n'avoir pas perdu son temps d'autant plus que nous reprenons souvent des textes intéressants comme thèmes d'albums. Les textes réunis, bien écrits, peuvent d'ailleurs être agrafés et envoyés aux correspondants, après illustration.

L'expérience que je viens de faire dans une classe traditionnelle me prouve que les techniques de libre expression sont vraiment les plus appréciées par les enfants car c'est seulement par elles que l'âme enfantine se sent créatrice et enrichie de la pensée des autres.

Ecole de Madame LOUBIC

Virazeil (L.-et-G.)

Télécharger ce texte en RTF
Retour au sommaire