L’enfant artiste

La parution de l'Enfant artiste, ce livre né des ferveurs des enfants et des maîtres, est pour nous, en ce début d'année scolaire, le signal d'un nouveau départ. Non pas que nous ayons à innover tellement, mais tout à coup, c'est pour la majorité de nos camarades, une prise de conscience soudaine des immenses possibilités de l'enfant dans un climat de simple et grande liberté.

Notre fonction d'éducateurs primaires nous place au coeur des éclosions étonnantes de l'enfance, là où l'alchimie des âmes pures livre et délivre ses pouvoirs comme la fleur sort du bouton, comme le poussin brise sa coquille : 'a y est ! me voilà !

Non, ce n'est pas difficile, Et c'est cela qu'il faut redire pour que les indécis et les sceptiques ne croient pas que ce livre aux belles images est une cueillette exceptionnelle de fruits exceptionnels ; pour que l'on sache qu'il n'y a pas de choix prémédité au jeu de l'innocence, mais simplement pulsations de vie au niveau, peut-être, du biologique qui ignore les orientations et les hiérarchies, au niveau des genèses confuses qui ne se posent pas de questions car la vie ne se donne pas de raisons quand elle est à son comble et à son content.

 

   

Comment sont nées ces oeuvres étonnantes ? nous demandent les esprits « conséquents » qui espèrent tant de la bonne méthode. Comment elles sont nées ? Allez-y voir, vous qui êtes malins ! On n'explique pas la pureté d'un visage ou l'éclat d'une rose au plus haut de sa splendeur, pas plus qu'on n'explique l'irrégularité du rythme qui engendre le monstre faisant irruption dans la lignée des sages hérédités. On ne peut séparer d'un trait de plume la beauté de la laideur, le bien du mal, l'intelligence de la bêtise : la vie va d'une seule coulée. Elle ne se fait pas par des initiatives calculées ; elle est de tout venant et il faut la prendre comme elle est pour ne pas la trahir au départ.

Les belles images de nos enfants sont faites de cette vie‑là. Ici, tout se donne sans préméditation, calcul ou duperie. Il n'y a rien qui importe, il n'y a rien qui puisse être abandonné, tout s'écoule dans la minute d'un présent qui peut avoir signification d'éternité. Qui sent cela est artiste, poète et philosophe, car il pressent la grande unité du monde dans laquelle les brumes du biologique montent lentement jusqu'aux lisières d'une conscience aussi vive que le soleil. C'est du haut et subtil raffinage. Les psychologues « peuvent y venir » ! Leur science est mise en déroute par la virtuosité d'une petite main d'enfant, sûre d'elle comme l'oeuf est sûr de lui.

Et au seuil de l'immensité de l'énigme qui nous domine, voici le moment de prendre en considération les saintes ignorances rejetées sans appel aux arcanes de l'obscurantisme par une dialectique en apparence de bon aloi. Voici le moment de dire que toute créature vivant dans l'ordre de la création est une somme de vérité qui nous enseigne. Quand nous constatons que l'enfant est sûr de lui, nous adultes qui ne sommes plus sûrs de nous‑mêmes, nous nous devons d'avoir des égards pour lui, d'être pleins de respect et de sollicitude pour une manière de vivre authentique qui garde encore toutes ses potentialités et ses secrets. Et c'est parce que nous sommes restés humbles devant l'enfant que sont venues à nous les vraies richesses, celles qui sont ouvrages de vie proposés à l'audience de tous et qui sans cesse nous replongent aux sources de la grande unité cosmique.

Il faut avoir le courage de le dire: tout est à recommencer. Notre Enfant artiste, c'est simplement un acte de bonne volonté, de confiance et de courage: la preuve vérifiée que nous sommes dans la bonne veine et qu'il faut aller de l'avant.

Alors, comme disait Maïmouna, la petite enfant noire du Tchad : « Je te le prends ce chemin qui me mène au bout du monde »...

ELISE FREINET


Photo Paul Delbasty

Ecole de Crouy-sur-Cosson - Loir et Cher - Mme Vrillon
 

Télécharger ce texte en RTF

Retour au sommaire