Ecole du Vieux Calonne, Liévin - P.de C. |
Il existe une voie royale Le dessin n'a jamais été pour moi un moyen d'expression. Comme tous les enfants, j'ai barbouillé des murs de grafittis, fait « des caricatures » pour taquiner ou ridiculiser mes camarades et mes maîtres, mais dessiner pour le plaisir de créer une belle oeuvre n'a jamais été un agréable passe‑temps ni un besoin réel. L'Ecole Normale ne changea rien à cet état de choses. Quelques dessins à vue de vases grecs ou romains, les bustes en plâtre des personnages illustres de l'antiquité, les feuilles d'acanthe ou les colonnes doriques n'ont en rien éveillé en moi le sens artistique. J'en conserve plutôt un souvenir de difficulté, de lassitude, d'ennui et les séances de dessin ne se présentent à ma mémoire que comme des prétextes favorables au libre jeu des taquineries adolescentes. Je me suis donc retrouvé, jeune instituteur, inapte à tout enseignement du dessin, ne soupçonnant même pas que le primaire que j'étais pouvait avoir quelque prétention à une culture artistique, même la plus modeste. Que faire en classe pendant les séances de dessin consacrées par l'emploi du temps ? Illustrer des récitations ou des textes d'auteurs, faire copier ou laisser copier des gravures de manuel scolaire ou une « belle » frise de Nathan était le programme de nos travaux artistiques. Tout allait bien ainsi et sans remords, jusqu'au jour où, venu à l'Ecole Freinet pour un stage pédagogique, je me rendis compte qu'il existait au monde des oeuvres d'enfants d'un tel éclat, d'une facture si émouvante que j'en reçus comme un choc affectif. Je n'avais jamais vu pareilles merveilles et ne me lassais pas de regarder les grandes peintures d'Alain Gérard, les albums, les céramiques, les bas-reliefs si humbles dans leur matériau initial, mais si émouvants par leur signification d'un monde qui allait tellement plus loin que celui dans lequel je vivais jusqu'ici ! Je quittai Vence fermement décidé à faire entrer cette lumière dans ma classe, à me saisir moi aussi de ce talent des enfants que je ne soupçonnais même pas. Mais hélas ! du désir à la réalité, le chemin est difficile ! J'avais été habitué à m'instruire avec l'aide des pédagogues qui donnaient des règles à suivre. J'avais subi les leçons d'exposés méthodiquement offerts à l'attention des élèves. J'imposais une discipline bien dosée qui plaçait chaque enfant sous mon autorité nécessaire… |
Il fallait changer tout cela. La revue L'Art Enfantin venait de paraître. Je m'y abonnai et, sans trop d'appréhension, je fis démarrer le dessin libre dans ma classe. Les résultats ne furent pas brillants. Le « Pompier » fleurissait sans doute avec la prodigalité des herbes folles. Mais qu'était le « pompier » qu'Elise dénonçait avec tant de sévérité ? Je m'en souciais fort peu jusqu'au jour où je devins, moi aussi, élève d'Elise Freinet. Alors je me rendis compte que je nageais avec béatitude dans les eaux dangereuses du pompier sclérosé ou boursouflé, et qu'il était temps d'employer la thérapeutique adéquate pour sauver mes élèves des dangers de la banalité et du conformisme... C'est parce que nous avons appris qu'il existe une voie royale du dessin que nous avons compris ensuite qu'il existe aussi une voie royale qui est l'enseignement des grands Maîtres. Chemin faisant, nous avons appris à aimer Van Gogh et ses « ciels énervés » Cézanne que nous ne savons pas encore bien comprendre, Matisse qui est comme un frère aîné de nos gosses et Picasso qui nous donne le courage d'aller toujours plus loin dans nos inventions car l’Art est peut-être le seul domaine où la Liberté ne fait pas peur. Je viens de voir à St-Céré les admirables oeuvres de Lurçat. Nos enfants sont de petits Lurçats qui s'ignorent. J'ai enfin appris à voir. Je passais dans la vie et je ne voyais pas. Les beaux couchers de soleil les feuilles si différentes dans l'épaisseur de la ramée, les paysages si nuancés et changeants, les jeux de la lumière sur la fleur la plus humble et les mille aspects de notre vie familière. Cette richesse nouvelle de ma vision du monde, je veux la donner aux enfants, la prodiguer sans cesse pour que leur vie en soit embellie et que ce besoin d'une culture simple, à leur portée, éclaire sans cesse les humbles existences des travailleurs. JEAN LE GAL |
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