UN COLLOQUE SUR L'ART ENFANTIN Le groupe régional ICEM Ardèche – Drôme - Vaucluse organisait, le 30 mai 1963 à Dieulefit, une rencontre sur le thème « L'Art Enfantin ». Une centaine de camarades et de collègues participèrent à ce débat qu'animèrent Mlle Soubeyran, Directrice de l'IMP de Beauvallon, Mme Monnier, psychologue, MM. Chaudière, Instructeur « Arts plastiques » à la jeunesse et aux Sports, Pouchain, peintre, Small, représentant « L'Académie du jeudi ». M. E. Bertrand dirigeait le colloque. Pourquoi cette rencontre ? Présenter, tout d'abord, le livre d'Elise Freinet : L'Enfant Artiste. Répondre ensuite à de nombreux camarades ou collègues qui, sentant l'importance de l'art dans l'éducation, tentent des expériences mais n'osent pas toujours aller aussi loin qu'ils le voudraient. Profiter enfin de l'expérience de spécialistes, d'éducateurs ne partageant pas, forcément nos principes. Nous avions hésité à organiser une telle rencontre. C'est un sujet pour lequel on se passionne vite, et d'une discussion passionnée jaillit rarement la lumière. Nous avions tort. Le débat fut animé, certes, mais en fin de compte nombreux furent les points d'accord. Peut‑être, tout simplement, à cause de la grande confiance que l'on peut accorder aux voies de l'enfant en ce domaine. R. LONCHAMPT

De cette discussion empreinte de sympathie, de responsabilité éducative et de confiance en l'enfant, nous retiendrons quelques points essentiels qui pourraient servir ultérieurement de thèmes de discussion.

(Nous nous excusons de ne pouvoir reproduire en entier les interventions les plus intéressantes relatives à la formation de la personnalité de l'enfant).

Mme Bascou: Est‑ce qu'il y a vraiment un art enfantin et un art adulte ?

Est‑ce que l'adulte ne devient pas artiste du moment qu'il se rapproche de l'art de l'enfant ?

M, Chaudière : Je crois que l'enfant a sa création : il a un minimum de perceptions, un minimum de moyens et je crois qu'il établit une cohérence très grande entre ces minimums de moyens. Ensuite l'enfant est pris dans l'engrenage des disciplines scolaires qui l'orientent dans des sens si divers, si contradictoires, qu'il arrive à perdre le fil de cette cohérence initiale, de cette unité et il arrive au prosaïsme, alors qu'il était parti de la poésie.

Mme Baconnier : La différence entre l'art adulte et l'art enfantin serait peut-être dans le fait que l'art adulte est élaboré, alors que l'art enfantin est spontané.

M. Chaudière : Je crois que ce qui caractérise l'art adulte, c'est une dialectique. Il y a un tableau qui sort de soi et qu'on juge et dont on essaie de se libérer, de se détacher pour en juger et pour - à partir de là, ou de la tradition - faire un bond nouveau, Il y a donc un échange. Chez l'enfant il n'y a pas cet échange : c'est son expression.

M. Bertrand : Les détracteurs du dessin libre vont poursuivre votre pensée et dire : « Pourquoi tant s'extasier ? Ils ne le font pas exprès ! »

Si au départ l'enfant lance spontanément son trait, l'éducateur - et c'est là tout le mérite des pionniers du dessin libre et de l'expression libre en général - sent la valeur globale, la richesse de cet élan qui libère sans cesse la joie et l'allégresse, En partant de ce rien, pas fait exprès, mais pourtant essentiel et nécessaire, il ouvre la voie royale qui est la seule qui délivre un pouvoir créateur sûr de lui‑même. C'est de la spontanéité. La spontanéité n'est‑elle plus valable pour l'adulte ? La dialectique est‑elle une démarche supérieure ?

M. Chaudière : Ce qu'il faut surtout c'est ne pas corriger les dessins d'enfants. L'enfant a tendance à imiter. Il imitera tout de suite le signe que vous avez créé. Il faut présenter la part du rêve. L'enfant a une logique qui échappe à la nôtre. Il faut la préserver et la réserver.

Mlle Mounier : Je suis un peu gênée, dans certains cas, quand je regarde les reproductions de l'Art Enfantin, par exemple. J'ai l'impression que les interventions de l'adulte sont nombreuses. Il y a trop de ressemblances dans les dessins d'enfants : pourquoi si souvent des cernes, des pointillés ? Ce n'est pas de la spontanéité.

M. Bertrand : A la base de la pédagogie Freinet, il y a le tâtonnement expérimental. Nous laissons l'enfant chercher et trouver son propre style. En apparence, on pourrait croire qu'il y a là perte de temps et gaspillage d'énergie, mais l'enfant, seul, peut découvrir sa voie personnelle : les résultats ne sont jamais décevants. Le mouvement de masse d'expression artistique de l'Ecole Moderne en est l'éclatante démonstration. Le livre d'Elise Freinet : L'Enfant Artiste est venu à son heure.

Ces idées essentielles touchant l'éducation artistique de l'enfant sont longuement développées dans le livre d'Elise Freinet sous l'angle des conceptions pédagogiques et culturelles de l'Ecole Moderne. Il est extrêmement intéressant d'élargir le débat en ouvrant ici une tribune de libre discussion. Pour donner à cette initiative l'ampleur qu'elle mérite, nous pourrions éditer un supplément à Art Enfantin qui serait inséré dans la revue et pourrait être diffusé à peu de frais dans le monde enseignant. Nous ouvrons donc, dès à présent, la Tribune libre d’Art Enfantin.

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