On avait laissé les pommes de terre à la vieille maison. Avec papa je suis allé les chercher. Hier papa a coupé du bois. A midi papa l'a rentré et je l'ai aidé à l'arranger dans la cave. Il fallait du bois pour faire cuire la soupe. Samedi papa est allé à Castres acheter des chaises et des figues. Une chaise pour chacun et une table pour tout le monde. Ensuite, vient le stade où l'individu veut se séparer du groupe, même aimant, où l'égocentrisme peut reprendre ses droits et s'affirmer même par écrit. Moi j'aime bien les oeufs à la poêle avec un petit bout de jambon. Maman soulève le « tindelou » avec la cuillère. Moi je dis : J'en voudrais trois, j'en voudrais six. Mais bientôt apparaît l'adjectif joli posé dans chaque texte en premier jalon vers un idéal confusément pressenti : Mon papa, dimanche il s'est rasé. Avant de se raser il pique beaucoup et après il ne pique pas. Quand il est rasé, il est tout blanc et il est joli. Ce dessin, c'est ma maman et les fleurs de son tablier ; il est très joli. C'est mon papa. Il a mis des fleurs sur la moto pour qu'elle soit jolie. Et puis, un jour du printemps dernier, c'est le grand bond, la victoire remportée sur l'inhibition, le refoulement ; c'est l'aveu, le cri d'amour. Triomphant, brandissant son papier où son texte, encore tiède de l'éclosion et hermétique comme un rébus, a déjà été mis au clair par sa maîtresse aussi fière que lui, Gonzalès junior entre dans la classe des grands, nous fait les témoins de sa joie créatrice et je peux lire tout haut, tout en m'appliquant bien... |
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Oh non, il ne sait pas, et surtout pas l'exprimer, mais il a les larmes aux yeux et fait oui-oui-oui de la tête. Déjà, il sent que le bouquet malhabile de papa sur le buffet de la cuisine, c'est de la poésie de papa pour maman. Que sa petite auto jaune, vous savez, celle qu'il prend au lit pour s'endormir et l'unique objet qu'il ait jamais aimé aussi, c'est la poésie qui la lui a offerte au dernier Noël, quand le rideau s'est enfin levé devant le sapin fleuri... Mon pépé de la montagne qui a une grande moustache et qui fait des chatouilles... Et la mémé-de-la-même-montagne qui vient en apportant deux petits chats si jolis que le tout petit frère veut boire son lait dans le même bol... |
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Et cette répétition monotone dont Michel heureux se gargarise, c'est une poésie, la première de Michel. Mon Dieu, si j'étais oiseau... Ici, il comprendra bientôt que c'est le premier vers qui a tout déclanché, car c'est lui qui, souvent, ouvre la porte d'or... Puis le vent soufflera ; il chantera avec les autres : 0 vent d'autan |
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Et puis viendra l'hiver et la neige. La neige est une magicienne : aucune sensibilité d'enfant ne lui résiste. Mais la pauvreté de leur vocabulaire ne leur permet souvent que des banalités... La neige tombe tombe (MADELEINE, 11 ans) Encore la neige... |
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Peintures et Dessins de l'Ecole d'Augmontel - Tarn |
Mais personne n'a écrit ce poème ce n'est qu'une recherche collective de vocabulaire, une chasse aux mots, pendant que dehors tombaient :
Des flocons Et puis, un jour, nous retrouverons ensemble le cheminement de la sensibilité enfantine qui peine pour avancer, avec les mots de tous les jours, mais nous conduit enfin jusqu'au Tunnel mystérieux qui a des lumières de rêve. Cette nuit il a neigé... (BERNARD, 13 ans) Enfin, le printemps. Tous les enfants du monde lui tressent des guirlandes... Il suffit de choisir avec eux la plus fraîche PRINTEMPS JOLI (ALAIN, 9 ans, et son cours) Alors on peut penser à une fleur, l'aimer, le lui dire tout simplement : Dis, petite rose, (CHRISTINE, 10 ans) |
Retrouver sous la rose la musique des mots français à la dernière syllabe muette :
Roses,
Jolies roses,
Jaunes
Et roses,
De pourpre
Et d'or
Ou blêmes
Et crèmes
Ou blanches
Et pâles...
(Coco, 11 ans)
Plus tard, ton poème naîtra, peut-être d'un premier jet et d'une sensation physique :
Plic, plo-ou, plo-ou,
C'est la pluie...
Elle arrive si vite
Que le dalhia rôti
Baisse sa tête jaune...
Oh, que j'aime la pluie fine
Qui court dans mes cheveux.
(ELIZABETH, 12 ans)
L'illustration, l'application écrite le transfigureront... L'imprimerie, en le magnifiant, l'éternisera pour que nous en prenions tous conscience.
A la maison, un bel et vieil objet vivant. On peut lui parler, il comprend...
VIEILLE PENDULE
Tu dors là
Dans un coin de la vieille cuisine
Et toujours ton refrain
Réveille la maison
Tic-tac, tic-tac.
Tu dates de mon arrière grand-mère
Tu as peut-être cent ans.
Même si tu as cent ans
Tu es belle
Avec ta grosse gerbe de fleurs
Sur ton balancier d'or...
Et c'est toi qui toujours réveille
La maison.
Tic-tac, tic-tac,
tic-tac, tic-tac.
(MARIE-JOSÉ, 10 ans)
Et enfin, petit Gonzalès, quand, plus tard, en automne, tu traîneras tes pieds vainqueurs dans les sous-bois de notre forêt, tu pourras murmurer tout bas, avec Pierrot.
Dans les sentiers du bois tout pleins de feuilles mortes, nos pas crissants les font tressaillir ; froissées, elles murmurent, craquent, gémissent ou pleurent, ou bien, avant de mourir, nous redisent le bruit soyeux, la fuite des lézards d'été dans la bruyère...
(PIERROT, 13 ans, et la classe)
Et tu sauras alors, petit Gonzalès, que cette belle poésie-là s'appelle... de la prose.
CÉCILE CAUQUIL