Edith Piaf et Jean Cocteau

Ils sont entrés ensemble dans la mort comme en se donnant la main. Et pourtant rien ne les prédestinait à cet immense faire‑part qui, dans tous les journaux et toutes les revues du monde, associait leurs deux noms pour l'éternité.

Grandes furent en effet, les différences des événements qui marquèrent leur destinée respective : il y a loin de Belleville au Palais‑Royal et toute une culture sépare le Music-Hall de l'Académie Française, S'ils se rencontrèrent c'est à la manière des aigles qui ont pris de la hauteur : un battement d'ailes au passage, pour se saluer de loin. Rien qui marque une habitude d'intimité, tout qui signifie la totale compréhension dans ce monde si haut de l'héroïsme et du don de soi, dans ce royaume radieux de la poésie universelle.

L'Eglise qui, dans ses dogmes, a depuis tant de siècles circonscrit les limites précises du péché, les clercs nourris du sang bleu d'une poésie olympienne n'auront rien compris à cette prodigalité inouïe de la pensée et du coeur. Du moins d'en-bas, le peuple aura reçu leur message.

Et voici qu'en repensant les biens qu'ils nous ont légués, chacun offrant toujours ce qui revenait à tous et se signifiant dans son essence la plus racée, voici que nous ne savons plus bien les distinguer l'un de l'autre pour redire leurs dons personnels et faire l'inventaire de tout ce que nous leur devons.

Se sont-ils assez prodigués ? Dans les rouages fragiles de leur organisme vulnérable habité par une âme de géant, lequel savait mieux que l'autre niveler le suprême héroïsme au rang d'une simple vertu quotidienne ? Lequel arrivait le mieux à faire jaillir de sa souffrance l'invincible espoir des hommes ? Et surtout, surtout, lequel nous a avec plus de foi donné les mesures de l'immensité de la tendresse ?

Car c'est bien là où l'on s'arrête comme devant l'éclat du joyau sorti tout à coup de la gangue : la tendresse dite et redite par tant de lèvres du berceau à la tombe, si sûre d'elle et de ses pouvoirs que devant le cher visage glacé pour l'éternité, nous la croyons encore capable de faire le miracle de le ressusciter...

Par la magie du disque nous entendrons encore la voix pathétique vibrante comme un métal de belle trempe, redire sans fin les vertus insondables du bonheur. Par le livre et l'image, par tant de mots charmants semés au vent de l'esprit et de l'amitié nous retrouverons la clarté des eaux lustrales bruissantes des vérités qui sont au-delà des mots et des signes.

Heureux celui qui dans le dernier souffle de la chanson enregistrée, ou après le dernier vers du poème sentira monter à ses yeux la bienfaisante rosée des larmes.

Elise FREINET

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