Une présence au monde

 

 

 

 

Quel beau décor font à nos Congrès nos expositions d'Art enfantin de plus en plus riches, de plus en plus belles !

L'âme de l'enfance y est présente dans ce qu'elle a de plus innocent, de plus poétique, de plus naturel. C'est ce message qui va droit au coeur et qui nous rend, nous éducateurs, humbles et déférents, compréhensifs et généreux.

Quel meilleur plaidoyer apporter à la grande cause de l'enfant artiste ?

 

P.C.

   

En ces jours de Pâques 1964, pour le XXe Congrès de l’Ecole Moderne, l’art enfantin, ayant atteint sa majorité, entre en cette charmante ville d’Annecy dans l’histoire.

Il a franchi en effet les lourdes portes du château d’Annecy, grimpé allègrement les escaliers en colimaçon dont les marches portent la marque de tant de pas d’hommes et de femmes et est entré avec l’insouciance de l’innocence dans ces salles séculaires qui virent à leurs cimaises tant de chefs-d’œuvre au cours des temps.

Dans ce merveilleux cadre où l’an dernier les tapisseries du « Chant du monde » de Lurçat faisaient éclater à la fois l’angoisse de l’homme devant un avenir menacé par la bombe atomique et son espérance toujours vive et confiante devant la splendeur du monde naturel, notre exposition d’art enfantin vous invitera à entrer de plain-pied dans le monde merveilleux de la joie enfantine…

Avant d’essayer d’entrer avec vous dans cet éclatant chant du monde enfantin , je voudrais dire toute la reconnaissance que nous devons tous à la pionnière de cet art enfantin, notre chère Elise Freinet.

Elise n’est malheureusement pas parmi nous et n’assistera pas au triomphe d’une œuvre qu’elle a patiemment fait naître, nourrie, guidée, soutenue au cours d’une vie toute dévouée à l’enfance. Elle vous eût infiniment mieux que je ne puis le faire présenté ces chefs-d’œuvre que vous admirerez cet après-midi tant au château qu’au Parmelan.

Devant tant d’éclatants témoignages de la joie enfantine, dessins, tapisseries, céramiques, devant cette présence au monde, monde naturel des arbres, des oiseaux, de la terre et du ciel, monde des hommes et de leur projection dans l’avenir, devant ce message de liberté créatrice que nous apportent nos enfants vous resterez peut-être étonnés, admiratifs et inquiets.

En effet, l'art enfantin, parmi les contingences quotidiennes de nos classes et pour la majorité d'entre vous n'est sans doute encore qu'une réalité difficile à atteindre. Mais je voudrais simplement dire quelques mots pour rassurer ces jeunes et ces nouveaux venus qui abordent les nouveautés que nous - et nos enfants - leur offrons. Je voudrais simplement leur dire qu'il suffit de donner à leurs enfants des peintures, du papier et des pinceaux en aussi grande quantité que possible et aussi le temps et de laisser exprimer à leur mesure cette joie qu'ils ont à vivre : sans leur apporter les entraves d'une pensée adulte toujours plus ou moins conformiste, sans exiger d'eux qu'ils se soumettent à nos barrières d'adultes. Peu à peu si vous donnez et ces moyens matériels et ce temps qui est peut-être la chose la plus précieuse, cette chose que Rousseau nous conseillait de savoir perdre... si vous leur donnez tout cela vous arriverez vous aussi dans quelques années et je dirai même très rapidement à faire nourrir dans vos classes ces mêmes chefs-d'oeuvre que vous allez trouver cet après-midi dans toutes les salles.

Vous serez étonnés devant la profusion des chefs-d'oeuvre. Depuis vingt ans, depuis les débuts de cet art enfantin, depuis les premiers balbutiements, des quantités d'écoles sont venues rejoindre les rangs. Et c'est devant sept ou huit cents chefs-d'oeuvre que vous vous trouverez cet après-midi.

   

Photo Jean Ribière

On nous a quelquefois accusé de soutenir un peu trop cet art enfantin et d'y apporter tellement de soin qu'on se demandait quelle était la part du maître et quelle était la part de l'enfant... Eh bien, je voudrais simplement vous dire et c'est une simple question de bon sens, qu'il est impossible que ces dessins, que ces milliers de dessins qu'Elise Freinet reçoit chaque année soient l'oeuvre des maîtres. Et c'est d'autant plus impossible qu'il n'y a rien dans ces dessins qu'un adulte - et en particulier un adulte pédagogue - soit capable de faire ! Parce qu'hélas, nous sommes tellement bousculés par d'autres nécessités, par les nécessités pédagogiques, par les nécessités enseignantes que nous ne sommes plus capables de voir le monde avec cette fraîcheur qu'ont nos enfants, que nous ne sommes plus capables non plus d'avoir cette audace, créatrice qui leur permet de mettre un orange et un rouge côte à côte... Aucun artiste même n'a gardé, et tous le déplorent, cette innocence et cette facilité à lier non seulement les couleurs mais aussi les formes… Parce que l'artiste maître de son talent recherche toujours une perfection qui n'est pas le souci majeur de nos enfants. Nos enfants font éclater ce qu'ils ont en eux et je voudrais insister surtout sur ce message de liberté qui est celui du dessin d'enfant. Parce qu'enfin, au moment où vous leur donnez des pinceaux, des couleurs, du papier, vos enfants sont libres !

Et je voudrais encore une fois vous demander à tous ceux qui viennent pour la première fois dans nos Congrès ou à tous ceux qui se sentent encore un peu timorés, un peu inquiets, je voudrais leur demander de donner à leurs enfants, à la suite de tant d'autres, cette liberté créatrice qui en fera enfin des hommes. Parce que, en s'exprimant librement, ils deviendront responsables de l'oeuvre qu'ils ont entreprise. Vous le savez bien, aucune notion de liberté ne peut être valable si elle ne s'allie à cette notion de responsabilité. Ils seront responsables d'une oeuvre qui vous parait petite au premier abord, mais elle est à leur mesure ! Et parce qu'elle est à leur mesure, ils pourront la mener jusqu'au bout. Je crois qu'il n'y a pas de meilleur moyen de former des hommes.

Madeleine Porquet,

Inspectrice des Écoles Maternelles

YAYA - Ecole de Pitoa (Cameroun) -M.Brossard

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