Dominique, 602,
Le Talhouet‑Hennebont, Loire‑Atlantique
(M. Pigeon)

L'Enfant révélé par son dessin

Lorsque Claparède écrivait dans l'avant‑propos de l'ouvrage « Dessins pour les petits » de Mlle Audemars et Lafendel (1913) :

«  Le dessin d'un enfant, n'est-ce pas un peu de son âme étalée sur du papier ? »

ou encore, dans sa « Psychologie de l'enfant » T. I. (1946) :

« Le dessin est un des moyens les plus propres à nous révéler ce qui préoccupe l'âme enfantine », il nous amène à penser à la psychologie des profondeurs qui exige des éléments issus des profondeurs. Le dessin spontané, tel qu'il naît dans nos classes, surgit effectivement des profondeurs, il est bien, comme le précise le Dr Françoise Dolto-Marette, psychanalyste freudienne :

« ... une expression, une manifestation de vie profonde. A travers le graphisme, le. sujet exprime ses difficultés ; ses troubles nous apparaissent non voilés ; le dessin nous livre, en effet, l'inconscient du sujet et nous révèle aussi son climat psychologique, il représente donc pour nous un instantané de l'état affectif.

Le dessin est aussi un auto-portrait inconscient ; il nous permet de voir comment le sujet se sent par rapport à l'objet qu'il veut dessiner, cet objet étant en quelque sorte une projection de lui-même... » (Revue « Psyché » n°17 - 1948, p. 324, 326).

Les appréciations, l'une d'un grand psychopédagogue, l'autre d'une savante psychanalyste peuvent-elles inquiéter les simples maîtres d'école que nous sommes ?

Oui et non.

Oui, parce que nous ne saurions sans ridicule et sans danger pour nos enfants et pour nous-mêmes nous assimiler à des psychologues, encore moins à des psychanalystes.

Non, parce que notre attitude devant toute manifestation d'expression libre se trouve être très simple dans le cadre et dans le climat de nos classes coopératives où nous cherchons à comprendre nos élèves aussi bien sur le plan intellectuel apparent que dans leurs réactions affectives et caractérielles cachées.

   

Dans une classe Freinet, le maître, dont l'une des qualités fondamentales doit être le tact, adopte toujours une attitude qui favorise l'expression libre. Il l'accueille donc de façon telle que l'enfant se sent à la fois admis et compris. Ainsi, dit Georges Mauco, l'enfant comprend cette discrétion comme tolérante et compréhensive, un peu à la manière d'un écran neutre. Dans le climat coopératif l'enfant s'adresse à la communauté. Les camarades ne sont plus des concurrents, mais des compagnons ayant un but commun. Ici, nous sommes sans doute au coeur même de la condition éducative, la relation humaine devient, comme nulle part ailleurs, authentique, sécurisante, socialisante,

Ce type de situation privilégiée, si naturel dans nos classes permet même à l'éducateur, à son insu, de jouer un rôle psychothérapique. Ce rôle, il n'aura pas tenté de le jouer car il connaît ses limites. Pourtant, le professeur Georges Heuyer, dont on sait la position irréductible en ce qui concerne les responsabilités respectives du pédagogue, du psychologue et du psychothérapeute, n'hésite pas à écrire, dans son ouvrage Introduction à la psychiatrie infantile (p.295) :

« ... Il n'est pas nécessaire d'être psychanalyste pour interpréter les dessins d'enfants et obtenir une guérison d'un accident psychogène. Chez l'enfant, la psychothérapie est plus facile que chez l'adulte, car les confits qui ont déterminé les troubles sont relativement récents, le refoulement n'existe presque pas ou n'est pas profond ».

S'il ne joue pas ce rôle consciemment, le maître, comme le souhaite Georges Mauco, lorsque l'enfant fait paraître dans ses productions libres des conflits familiaux perturbants « peut en profiter pour agir sur les parents s'il y a lieu et pour adapter son action éducative aux réalités qui pèsent sur l'élève ».

Mais nous aurons à revenir plus en détail sur cet aspect particulier du dessin dans nos classes, en nous appuyant sur des cas bien précis.

Monique, 509, Le Talhouet, Loire-Atlantique

   

Adressons-nous maintenant aux spécialistes. Selon eux, le tout simple et modeste gribouillis, émanation gestuelle et graphique d'une fonction profondément ancrée dans l'individu, permettrait une approche favorable de l'âme enfantine comme l'expression de cette proto-conscience, niveau d'activité créatrice « dans un jeu incessant et complexe de figures métaphoriques, riches de signification concrète » (Dr Roger Mucchielli), et nous informerait, selon Marthe Bernson « plus visiblement et durablement que tout autre manifestation humaine sur ces points névralgiques que sont la naissance, la prise de conscience et la formation du Moi chez le petit enfant ».

Sur le plan graphologique, Henri Wallon admet la valeur expérimentale de cette expression, tant il lui semble « indubitable que les rapports de l'écriture avec la main, notre plus vieil et notre plus instinctif instrument d'expression, font d'elle un enregistreur de nos dispositions intimes d'autant plus fidèles que ses notations échappent à notre contrôle » (cité par Guy Palmade in La Psychotechnique, P.U.F., Q.S. p. 91).

Le Dr Fusswerk et Mme S. Horinson, à propos de cette recherche du Moi de l'enfant, expriment sensiblement la même opinion :

« Avec la main qui est action, avec la main qui est fonction et instrument de création, l'enfant arrive dans une production spontanée à projeter la silhouette de sa personnalité. Dans ces projections, se reflètent aussi bien les éléments structuraux typologiques que les tendances instinctives affectives profondes ». (Revue Enfance, 1949-3, p.222).

Comme l'écrit Pierre Mesnard, dans la préface de l'oeuvre de Georges Rioux, Dessin et structure mentale.

« Le dessin apparaît comme l'aboutissement finalisé d'une attitude particulièr : le geste graphique et celui-ci, en se perfectionnant, établit les corrélations profondes avec toutes les grandes fonctions mentales au premier rang desquelles il faut ranger la perception, l'imagination, la mémoire.

Au niveau de synthèse, le dessin est assez intimement uni à toute la personnalité du sujet pour en exprimer et au besoin en révéler l'idiosyncrasie, aussi bien en ce qui concerne l'affectivité profonde qu'en ce qui touche l'intelligence ou l'action ».

Ombredane classe le dessin comme production à retenir avec certaines autres, comme se prêtant bien à « refléter cette activité d'imputation de caractères qui est au coeur du processus psychodynamique de la projection » (Bulletin de Psychologie, n° spécial. Tome VI, 1952, p. 61).

Didier Anzien, dans une remarquable étude critique sur les Problèmes posés par la validation des techniques projectives (communication faite à la Sté Française de Psychologie 8-11-52), admet le dessin libre comme instrument pratique dans l'arsenal du psychologue.

Une série d'articles parus dans la Revue du Comité de l'Enfance Déficiente de Marseille, tour à tour sous les signatures de M. Schachter, de Suzanne Cotte, de G. Roux et Aureille, affirment l'attachement que ces auteurs portent au dessin spontané comme au dessin thématique d'ailleurs, comme témoin du développement de l'enfant.

Maurice Merleau-Ponty, trop tôt disparu, envisageant les travaux des chercheurs exprimait ainsi, dans le Bulletin du groupe d'études de Psychologie de l'Université de Paris (Mai 1950, p. 8) son avis sur la valeur révélatrice du dessin enfan tin libre : « C'est dans ce sens que sont orientées les recherches de la plupart des auteurs modernes, Ils veulent démontrer que le dessin exprime la personnalité totale de l'enfant plutôt que son intelligence ».

   

Pour nous, simples instituteurs, d'un point de vue strictement pragmatique, nous pourrions tirer argument que les psychologues, les pédopsychiatres, les psychothérapeutes, les psychanalystes, les graphologues usent couramment et avec succès du dessin d'expression libre pour déceler la personnalité intime des enfants qui leur sont présentés.

Parmi ceux dont la notoriété est bien assise, nous pouvons citer le Dr Serge Lebovici, le Dr Françoise Dotto-Marette, le Dr Henriette Hoffer, Charles Baudouin, qui fut en rapport avec Freinet et qui le cite dans ses oeuvres, Madeleine Rambert, Raymond Trillat, le Dr Juliette Favez-Boutonier, pour nous en tenir seulement à quelques-uns.

Mais, dans cette quête, vous, nos camarades de l'Ecole Moderne, avec les maîtresses des Ecoles maternelles, vous apportez également témoignage des révélations que vous avez obtenues en interrogeant les merveilles de vos élèves.

Maurice PIGEON
Docteur en psychologie

 

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