Soleil

Fontaine de Vie

Il n'est pas de sujet qui inspire plus les enfants que ce soleil éblouissant qui, au-dessus de leur tête, accomplit chaque jour sa ronde immuable. On lui suppose de loin un visage épanoui sous sa chevelure rayonnante et ces données élémentaires le rendent vivant et agissant au même titre qu'une créature qui suscite le rêve et exalte l'imagination.

D'un dossier très abondant où prennent place les mille et un visages de soleils sortis de la fantaisie de tant d'enfants, nous extrayons un ensemble très personnel de visages solaires réalisés par une élève de l'école de filles de Prunay - Cassereau (L.-et-C.). Chantal (10 ans) a laissé sa fantaisie et son pinceau errer sur ce thème fantastique : un soleil devenu prétexte à libération intérieure, pouvoir de charme et d'ironie. Sa compagne Joëlle (11 ans) a fait écho à son inspiration et il en est résulté un ensemble de belle tenue graphique, joyeuse et spirituelle et de commentaires laconiques, incisifs, significatifs d'une manière de sentir et de dire.

C'est sans préméditation et sans but que Chantal a jeté sur des feuilles volantes, ces étranges portraits d'astres qui prétendent ignorer tout ordre ne relevant pas d'un désir magique, d'une fantaisie sans bornes.

Et pourtant les voici inscrits sous le signe de la Culture qui, des premières civilisations solaires à un moderne ésotérisme cosmique, redit le pouvoir des symboles allégeant l'esprit des pesantes servitudes d'un réalisme trop fidèlement borné à un univers des trois dimensions. Et de fait avec ces soleils fantasques venus d'une petite école primaire, nous changeons de monde. Nous quittons un soleil-réalité-des-choses pour saisir, bien au-delà de l'objectivité, la légende et ses pouvoirs. Prenons bien garde à ce déracinement de la terre, car nous voici désormais dans cette notion des correspondances ineffables qui honorent la fonction la plus noble de l'esprit humain. L'art, la poésie, la science, la mathématique, ne vivent que par elles et de tous temps les rêves d'anticipation ont tracé les chemins de la plus haute connaissance sur le plan de l'être et de l'univers.

Chantal et Joëlle ignorent l'immensité des pouvoirs de l'esprit. Elles sont seulement deux joyeuses petites filles qui ont fait, par tâtonnement, une grande découverte celle du baroque le plus personnel, le plus spirituel, le plus lyrique. Un baroque qui, à l'encontre de celui de 1900, revient à la Nature - au lieu de s'en éloigner - pour y puiser dans l'intimité des protoplasmes, la verve décorative des structures vivantes fondamentales ; pour y saisir les mutations que la logique des faits de nature sera toujours impuissante à expliquer.

 

Aussi, c'est tout naturellement que les formes inventées par nos écolières évoluent vers un surréalisme où les choses cessent d'être ce qu'elles sont pour devenir choses neuves et inattendues ; comme si elles s'ingéniaient à jouer de vilains tours aux esprits trop sérieux et raisonnables. Nous ne sommes pas ici sur le méridien d’André Breton, lançant au monde ses postulats d'une pensée étrangère aux règles d'un esprit abusivement dictateur. Un optimisme frondeur et enfantin tient lieu de manifeste et se nourrit sans cesse à une vie souterraine pleine d'exubérance et d'illogisme, sans souci de ce qui peut en découler, sans engagement à assumer des responsabilités.

A vrai dire ce refus de suivre la règle, de se sentir engagé dans une tradition, ce refus du conformisme de la création et des sociétés, est en chacun de nous bien réel, bien vivant. Et c'est avec une sorte de plaisir complice que nous acceptons ici les irrégularités morphologiques de tous ces soleils d'écolières éclos dans de capricieuses naissances. Soleils potagers et sylvestres, vêtus de feuilles mortes et coiffés du chapeau du prestidigitateur ; soleil au fin sourire du Bouddha, soleil inscrit dans le triangle des Magistes, soleil à double message de joie et de douleur, Fontaine de vie éternelle... Peut-être faudrait-il avoir recours à un initié de la Kabbale pour saisir le sens ésotérique de ces deux soleils jumeaux, portant dans leur couronne les signes prophétiques dont devait tirer gloire deux mille ans de Christianisme...

Peut-être faudrait-il connaître les clés des symboles qui se cachent dans la chevelure de ce soleil portant à l'extrémité de ses rayons de petits bonshommes narquois pour saisir mieux encore la souriante allégorie de la petitesse de l'homme face à l'immensité sereine de l'univers ?

E.F.

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