Mais pourquoi
ne m'avait-on rien dit ? Pourquoi avait-on fait de moi un paria ?
Pourquoi personne ne m'avait-il pris par la main et offert ce monde des
plénitudes ?
Dans ma naïveté
incommensurable, j'ignorais que seuls les élus ont droit au plaisir artistique.
Il y a prédestination. Vous ne pouvez rien sans la grâce. Comme les mascottes,
on naît sensible, on ne le devient pas.
- Sans sensibilité,
rien à faire.
- Mais
comment l'acquérir ?
- Cela
ne se peut ; seuls, les privilégiés... Vous n'avez droit à rien.
- Même pas une petite miette ?
- Rien vous dis-je.
- Pourtant, il me semblait que Fernand Léger...
- Quoi, Fernand Léger, cette insensibilité, cette froideur,
cet intellectualisme...
- Mais, Picasso...
- Tut, tut,
vous n'y entendez rien.
Alors, c'est fini, vous n'osez plus parler ; vous décrochez
vos ailes. Vous n'osez plus ni voir, ni vous émouvoir, ni éprouver.
L'oreille basse, vous rejoignez le troupeau honteux des parias
non élus.
Et pourtant, pauvres primaires, mes frères, faut-il désespérer ?
Laissons aux oints du Seigneur, le merveilleux accès direct à l'oeuvre
d'art, aux hommes d'art.
Mais ne pourrions-nous avoir, nous aussi, quelques miettes
du festin. N'y aurait-il pas pour nous quelque chemin détourné qui nous
permettrait tout de même de participer un peu à la fête ? Plutôt
que rien, ne vaut-il pas mieux pour nous qui sommes si démunis, essayer
d'éprouver au moins les plaisirs de l'esprit.
- Les plaisirs de l'esprit... en dessin, en sculpture,
en peinture ?
- Mais oui, mais oui.
Et, par exemple, s'il y avait un rapport entre l'art et les
mathématiques. Et qu'y aurait-il de si étonnant à cela ? Einstein
ne disait-il pas que la Physique, c'était comme l'Art ?
- Certains tableaux, sinon tous, ne sont-ils pas composés,
c'est-à-dire construits, en se référant à la géométrie ?
- Le nombre d'or n'a-t-il pas séduit certains peintres ?
- Ne parle-t-on pas de rythmes ?
- Ne voyons-nous pas certains enfants s'emparer du dessin
non pour une projection, ou pour une anecdote, mais pour une recherche
d'équilibres dans la feuille ?
L'art est-il un monde interdit à ceux qui ne sont pas déséquilibrés
ou à ceux qui n'ont rien à dire par le dessin ou par la couleur ?
Non, il est ouvert à tous et à tous les aspects contradictoires des créateurs.
Mais qu'est-ce qu'un tempérament ? N'est-ce pas la fonction
par laquelle la variable qu'est le paysage donne l' « image »
ou, si l'on veut, le « transformé » de ce paysage ?
Le résultat, c'est l'arrangement des éléments sélectionnés
par tel ou tel sélecteur. Malheur ! Mais alors, l'oeuvre est une
abstraction ! Et l'abstraction n'est-elle pas l'essence même des
mathématiques ?
Et l'artiste ne révèle-t-il pas l'ordre des choses ?
Et n'est-ce pas le gauchissement fortuit ou voulu à partir d'un schéma
pur initial qui ouvre la porte à l'émotion, au plaisir ?
Art, émotion, anecdote, projection.... Mais aussi surfaces
harmonieuses, courbes pures. Appel à l'ordre parfait, à l'harmonie suprême,
auquel nous aspirons.
Et, ne pouvons-nous vraiment poser quelques questions ?
P. LE BOHEC Trégastel (C.-du-N.)
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