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Témoignage
Je ne suis
pas une habituée des Congrès. Aussi, malgré le nombre encombrant de mes
années, ai-je pu peut-être, dans ce grand rassemblement, éprouver, aussi
bien que les débutants, des impressions jeunes et neuves.
Peut-être pourrais-je
alors, me faire l'écho de ce grand dépassement né au sein même de la foule,
dépassement qui, privé de limites, permet d'oublier son propre « soi »
pour mieux se sentir « autre ».
Dans ce grand brassement
de gens, de paroles, de mouvements, de sons et de couleurs, il peut arriver
parfois qu'en un instant très bref, chacun retrouve intactes, la primitivité
et l'essence même et l'origine de la raison exacte qui nous a tous réunis
là et nous tient attentifs, en alerte, prêts à nous saisir du moindre
souffle qui monte de cette foule sans visage et nous rend tous proches
et semblables.
Oui, instant
très fugitif où l'on ne sait plus trop bien ce qu'il en est de soi ou
des autres, ce qui nous sépare, ce qui nous lie, ce qui nous désunit ;
où l'on ne sait plus bien quelles sont les différences, quels sont les
accords, quelles sont les dissonances.
Aussi, maintenant
que sont dispersés les rassemblements, maintenant que ce sont tues les
voix et que nous voilà rendus à nos solitudes respectives, maintenant
je voudrais pouvoir retrouver les mots simples, les mots sources, les
mots « anciens comme un bouquet de fleurs fânées »,
les mots imprononçables qui recréeraient d'un coup, la pensée impalpable
et claire, celle qui nous tenait tous, réunis dans le même exaltant besoin
de partage, de découverte, de liberté.
Je voudrais
pouvoir porter témoignage de tout ce qui n'a pas été exprimé et demeure
maintenant, dans l'éloignement, notre lien secret.
C'est alors
que se fait plus présent le souvenir de tout ce qui a rempli nos yeux
pendant ces jours de Congrès. Là, sur ce grand pavois accroché aux murs,
le voilà, ce merveilleux témoignage.
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Témoignage
d'une œuvre collective, obscure, anonyme, merveilleuse tapisserie marbrée
d'ors et de rouilles, éclaboussée de pourpres et d'indigos, oeuvrée par
des mains ignorées, éparpillées au creux de tous les chemins, au long
de toutes les rues - tapisserie tissée dessin à dessin, école à école
- école perdue du village oublié, classe noyée de la ville-caserne
- merveilleuse fresque née du vent et de l'eau et du ciel et jetée là,
livrée d'un même élan, avec la même insolente vérité, la même richesse
renouvelée à chaque pas.
Oui, oeuvre
étonnante qui porte l'empreinte de centaines de mains, bâtie pierre à
pierre, pierres également fraternelles, également offertes là chaque année,
et chaque année renouvelées, augmentées, pierres uniques du même édifice
dont chacune porte, gravés, sa marque, sa manière, son cachet. Chaque
dessin se veut témoin. Témoin de la seule beauté, de la seule passion
de vivre et d'être, la même passion qui se moque de l'appartenance, de
la connaissance, de la possession, la même passion qui nous habite nous
aussi, quand à la suite de nos enfants, nous fouillons les sentiers oubliés
de notre enfance perdue, pour y déchiffrer une vérité de vivre, une raison
de croire et d'espérer.
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Oui, tous ces
dessins sont témoignages, marée envahissante et débordante,
dessins pareils à l'étincellement-magie du feu
d'artifice et qui se veulent comme lui, fugaces, impalpables, irraisonnables,
tracés à longues gerbes, pour le seul émerveillement d'un moment, pour
la seule sanctification de la beauté, pour le seul éclatement parfait
d'un morceau de vivre.
Exposé là,
face à l'indifférence, à la routine, à l'acceptation, ce mur éclatant
livre d'un coup, à tous les regards, la richesse magnifiée de ce monde
où nous vivons et dont seuls les enfants possèdent encore le code secret
qui leur ouvre grandes les portes d'un univers dont ils sont les seigneurs,
rayonne intouchable, et dont en vain, nous essayons de prolonger en nous
le souvenir.
Puissions-nous
encore, nous aussi, pénétrer « au coeur de la ville magique »,
écouter longtemps « les rires sanglotés dans le fracas des roues »
et sentir que, longtemps encore, ce sera comme quand on rêve et que l'on
se rendort et que l'on s'éveille et que l'on rêve encore de la même féerie
et du même décor l'été dans l'herbe au bruit moiré d'un vol d'abeilles ».
JACQUELINE BERTRAND
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