Mais cette approbation que nous nous donnons dans l'instant où l'enfant nous prodigue ses oeuvres les plus méritoires, n'empêche pas les meilleurs d'entre nous d'être conscients de leurs particularismes quelque peu grégaires et limitatifs. Ils sont conscients que la voie de garage les guette chaque fois qu'ils perdent la piste légère et subtile qui les relie à l'enfant, car l'enfant est le pont jeté entre les puissances de la vie et l'adulte plus ou moins sclérosé, mutilé, immobile. Au-delà des sentiments très simples qui nous mettent à l'aise dans notre fonction éducative, il y a un autre aspect du monde qui exige autre compréhension, autre langage, autre imagination, Le sentimentalisme est un écueil et peut-être, par l'effet d'une sincérité qui donne le change, ne le savons-nous pas assez... C'est une grande faiblesse. Saurons-nous jamais la dominer ? Car c'est par elle que nous ne sommes jamais bien maîtres de nos pensées, jamais profondément attentifs à la pensée des autres, de ceux qui dans des sphères différentes de la nôtre honorent l'homme avec amplitude et respect. Il semble que l'Art Enfantin arrivé à une éclosion émouvante dans nos classes patientes et laborieuses, en même temps qu'il nous donne le sentiment de notre valeur d'éducateurs, soit venu nous éclairer sur notre destinée intellectuelle et morale. Soit venu nous mettre aussi en inquiétude devant les perspectives insondables d'un monde toujours enrichi et toujours changeant dans des contradictions créatrices. Et le moment est venu où notre rôle d'enseignants n'est que le moyen de nous faire prendre conscience d'une vocation plus large de notre destin d'homme. C'est une constatation qui nous engage. ELISE FREINET |
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