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D'une école
à l'autre
J'ai exercé
pendant sept ans dans une école où j'ai tout appris, où j'ai surtout appris
qu'il y avait Freinet et où les enfants m'ont appris, eux, ce qu'étaient
poésie et peinture. C'est dire toute la valeur que j'attache à cette école
que j'ai quittée ; elle n'a, par elle-même rien de spécial, si ce
n'est (et c'est peut-être son prestige) d'être une école d'enfants d'ouvriers
uniquement ; dans cette cité ouvrière, chaque famille ne possède
qu'une habitation souvent modeste, exiguë, peu confortable aussi, ce qui
explique que bien souvent l'on préfère à ces appartements peu luxueux,
les F 3, 4, ou 5 des modernes buildings de la ville. Autour de ces modestes
demeures chaque famille a la possibilité d'avoir son petit jardin et même
un petit élevage ; et partout s'étendent de grands terrains vagues,
remplis d'herbe, de petites fleurs, minuscules, au printemps; là, on voit
le soleil dans le ciel, on voit des arbres, des plantes et les enfants
peuvent courir et jouer dans ces champs incultes ou se promener simplement
sans qu'un interdit permanent vienne s'imposer à tout moment.
Qu'ai-je trouvé
à la ville ? D'abord des enfants de milieu assez différent, mais
surtout des enfants qui logent dans ces grands buildings si modernes et
si bien conçus, mais où l'on n'a souvent pour jouer que la cage de l'escalier,
un petit coin de cuisine ou de couloir dans l'appartement !
On m'a demandé, puisque j'ai changé de
poste, si j'avais noté des différences d'une école à l'autre et si l'expression
artistique elle-même avait subi quelque variation.
La première
différence est là : les enfants des villes sont coupés de la nature.
Je les crois moins sensibles à la Vie.
Sur les dessins
que j'ai recueillis jusqu'à présent, des maisons partout ; maisons
à plusieurs étages le plus souvent, aux nombreuses fenêtres, maisons où
les cheminées et les escaliers tiennent une grande place. Lorsque j'ai
le temps de noter les commentaires qui accompagnent ces graphismes, je
remarque que beaucoup de fillettes sont préoccupées par des tâches toutes
ménagères : le linge que l'on étend, la maman qui appelle la petite
fille pour aller faire les commissions ; je note aussi, au hasard :
« la petite fille qui joue avec sa poupée, tout à côté des petits
frères avec leur camion, le tout enfermé dans une maison qui occupe pratiquement
toute la page ».
La poésie n'est évidemment pas de ce côté.
Il y a aussi la classe. Et je me rends compte que ces
classes de ville, souvent surchargées, sont presque des classes « éteignoirs »,
en ce qui concerne tout au moins l'expression artistique. Nos classes
de ville nous condamnent à la paralysie : elles sont faites pour
des maîtres (je parle de local), d'école traditionnelle à qui le livre
et le crayon suffisent pour dispenser un enseignement dont le moins qu'on
puisse dire est qu'il est incomplet; ces maîtres-là n'ont besoin que d'un
banc pour faire asseoir leurs élèves ; les écoles toutes neuves aux
murs bien blanchis ou badigeonnés de teintes plus ou moins heureuses,
mais où l'on ne peut rien afficher, sont faites pour eux. Mais nous, qui
avons besoin de vie, d'espace, de liberté, nous qui avons besoin de nous
lever, de circuler, d'agir, plus que les autres, nous étouffons et les
enfants ne peuvent s'épanouir complètement dans cette atmosphère de cage.
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