LA LÉGENDE DU BUISSON ARDENT

Depuis des mois et des mois, sans arrêt, nuit et jour, il pleuvait.

Les champs étaient inondés, les jardins dévastés, les chemins et les routes disparaissaient sous l'eau.

Personne n'osait plus sortir du village tant la boue, dans les alentours, était épaisse et lourde.

Dans la forêt les bûcherons ne pouvaient plus couper le bois. Dans les maisons, plus de bûches sèches, plus de feu, plus de braise... Les foyers étaient morts.

Les bêtes libres, les bêtes sauvages, les bêtes des champs et des bois étaient bien plus malheureuses encore. L'eau envahissait les terriers, détrempait les grottes, faisait s'effondrer les murs. Les feuilles ruisselaient et n'arrivaient plus à abriter les nids.

Toutes tristes, toutes tremblantes, les bêtes s'en sont allées en longues files frapper aux maisons du village.

Et les portes se sont ouvertes. Les gens ont eu pitié.

- Entrez, entrez, mes pauvres bêtes !

Et on les brosse, on les frotte, on sèche leur pelage avec de vieux linges. On les réchauffe, on les câline, on leur donne à manger.

- Mangez, mangez, mes pauvres bêtes !

Les bêtes se sont rassemblées pour venir en aide aux braves gens qui les ont secourues.

- Que pourrions-nous faire pour eux ?

- C'est le feu qu'il leur faut, dit le chat sauvage.

- Allons chercher le feu ! Mais où le trouverons-nous ?

- Il faut aller là où le soleil se lève, dit le renard.

Les bêtes sauvages foncent vers l'est : elles franchissent les fleuves, traversent les forêts, escaladent les montagnes, dégringolent dans les vallées, toujours courant, toujours courant...

Le sanglier le premier s'arrête au bord d'un précipice : il est trop lourd pour sauter. Le blaireau se débat dans une mare. La belette s'empêtre dans l'argile gluante, le lapin de garenne est pris dans un tourbillon de torrent... Toutes les petites bêtes fragiles restent en route... Non, on ne trouve pas le feu vers l'est.

Claquant des dents, agitées, fatiguées, les bêtes se rassemblent à nouveau.

- Où pourrions-nous trouver le feu ?

- Je crois, dit le lièvre, que le feu est dans la terre. L'hiver, quand il gèle dehors, une douce chaleur me vient des profondeurs de la terre. Il n'y a qu'à creuser profond et on le trouvera.

- Oui, dit l'ours, je connais une grotte très profonde, c'est presque la moitié du chemin de fait...

A la queue leu leu, la longue caravane se met en marche. C'est une drôle d'aventure qu'on ne peut raconter : il y en a des misères et des souffrances pour tous et ça dure des jours et des jours...

Enfin, tout à coup, là-bas, au fond d'une étroite galerie, une clarté apparaît puis une lumière resplendit : le feu... II est là, rouge comme une belle fleur.

Qui prendra le feu ?

II brûle le pelage et la chair... Mais quand même il faut le saisir ! La salamandre qui est leste comme l'éclair prend un beau charbon sur sa langue qui grésille, vite elle le passe au serpent qui le passe au hérisson qui le passe... qui le passe... c'est une chaîne interminable... La tortue reçoit la braise la dernière : elle seule peut la porter sur sa carapace, sans danger. Ça sent un peu la corne brûlée, mais tant pis... Mais que ça va lentement ! La braise se ternit et peut-être elle va mourir... Mais non, le canard la prend dans son bec et la fait rouler, la reprend et la lance enfin dans un buisson, juste à la sortie...

Le buisson se met à pétiller et le feu renaît tout beau, tout chaud. Les gens accourent... Chacun s'empare d'une brindille enflammée, d'un tison rouge et l'emporte à sa maison. Les cuisines retrouvent leur douce chaleur et leur joie.

Seul le petit enfant s'est attardé dehors près des braises. Tout à coup, on l'entend crier :

Venez voir, venez voir le beau buisson d’étoiles !

En effet le buisson qui reçut la braise venue du centre de la terre était tout illuminé comme un soleil et ses étoiles ne s’éteignaient pas…

Il dura des siècles et des milliers et des milliers d’années puisqu’aujourd’hui on parle encore du Buisson ardent.

École de garçons de Mérignac-Arlac (Gironde)

Dessins de Pierre Fournier 14 ans

1951 – la Gerbe

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