Conversation autour d'une table Dans une des salles d'exposition de l'École d'Art Enfantin du VIe Stage de l'École Moderne Valdotaine. Paulette Quarante : L'atelier d'art enfantin de la Vallée d'Aoste nous a donné toute satisfaction, et surtout celle de voir les enfants de ce joli pays faire de si rapides progrès dans leur façon de s'exprimer avec des pinceaux et des couleurs. Mais je pense qu'il est maintenant bon de donner la parole à une Valdotaine, Perrina Blanc, car l'École de la Salle, qui nous accueillait était tapissée dans son hall, dans ses salles, dans ses escaliers de merveilleux dessins provenant de l'École Oyace. Pierina, peux-tu nous dire comment de telles richesses sont nées dans cette vallée éloignée ? Pierina Blanc : Voilà plusieurs années que j'enseigne, j'ai toujours fait dessiner mes élèves, mais je n'avais jamais donné au dessin l'importance qu'il fallait. C'est au Congrès de Niort, où j'ai été tellement éblouie par ce que j'ai vu de beau, où je me suis rempli les yeux de ces beautés, que je me suis promis de faire dessiner davantage. Paulette : Est-ce que les dessins que tu nous as apportés traduisent les émotions, les joies, les préoccupations des petits montagnards, tes élèves ? Pierina : Sûrement, tous ces dessins sont réalisés par des enfants qui vivent dans un milieu très pauvre, habitués à la vie rude de la montagne, leur amusement, c'est jouer, courir dans les prés. Un de ces dessins a été produit par une enfant du milieu le plus pauvre peut-être. Elle ne possède même pas une poupée. En faisant son dessin la petite Ida a presque fait son portrait. C'est une fille plutôt ronde avec des grosses joues, avec un air toujours étonné. On trouve dans son dessin cette stupeur d'enfant de la montagne qui voit quelque chose de nouveau. Paulette : Et tes petits garçons, comment se comportent-ils ? Pierina : Ils se comportent très bien aussi, toutes leurs productions se rapportent à leur vie. Ils mettent des vaches un peu partout, des vaches qui broûtent l'herbe au milieu des fleurs ; avec au-dessus d'eux, un ciel presque toujours bleu. C'est leur vie sereine, leur vie tranquille au milieu des montagnes. II y a le dessin du petit Narcisse, lui aussi d'une famille très pauvre, et très nombreuse, qui ne possède pas d'autres jouets que des vaches en bois, « les cornailles » qu'il avait sculptées avec son couteau. Il a eu 1a « chance » de recevoir une petite brouette. Pour lui, c'est devenu un chariot, c'est son amusement préféré, et dans ses textes, il nous raconte qu'avec son chariot, il a transporté des pierres, du sable. Et le premier texte était accompagné d'un dessin où son chariot était traîné par un petit mulet en bois, et sur son chariot il s'est dessiné debout. C'était son rêve à lui d'avoir un vrai chariot, un vrai mulet qui le promènerait et qu'il pourrait diriger en se tenant bien droit, les rênes bien serrées dans les mains. |
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Le ciel dans les montagnes, le soir, est très beau ; sur son dessin c'est un ciel plutôt rouge avec des petites taches bleues. Ce devrait être le contraire, un ciel bleu avec des nuances roses, mais l'enfant a peint la poésie du ciel rose. Paulette : Il a traduit merveilleusement la luminosité de vos sommets. Est-ce que les enfants ne racontent pas dans leurs dessins des fantaisies, des fêtes ? Pierina : Les fêtes dans nos montagnes sont assez rares. C'est la fête patronale, mais c'est surtout la période de carnaval, car nos jeunes ont l'habitude de se masquer. Leurs masques sont curieux, bien à eux, on ne les voit pas dans les autres vallées. Dans la vallée de Bionnaz, ils sont influencés par ceux de la Comba fredda vers le grand St-Bernard. Dans ces masques, il y a toujours un Arlequin ; la petite Loredana, a pensé peindre cet arlequin avec ses couleurs assez vives et assez vibrantes, avec son chapeau curieux aux rubans très longs et aux plumages bariolés. |
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Ecole de Pitoa, Cameroun |
Paulette : Elle a rénové ainsi la figure très traditionnelle, trop traditionnelle de l'Arlequin que nous connaissons - banal. Pierina : Banal, peut-être, mais pas banal pour nos montagnards, car c'est très rare de voir un arlequin parmi les masques de nos montagnes. Paulette : Tes enfants ont saisi la moindre parcelle d'originalité qui était à leur portée. Pierina : La petite Loredana était peut-être descendue pour la première fois à Aoste pour le carnaval. Paulette : En somme, l'Art Enfantin t'a apporté beaucoup. Pierina : Il m'a apporté beaucoup car le Congrès de Niort m'a appris à donner beaucoup plus de confiance aux enfants. Quand j'ai vu les belles peintures, j'ai pensé que je pourrais essayer de réussir moi aussi quelque chose de mieux à l'école. J'ai pensé qu'il fallait être beaucoup plus près de l'âme des enfants, qu'il fallait les suivre dans leurs rêves, dans leur émotion, dans leurs pensées, dans leurs petits chagrins de chaque jour, car ces enfants qui vivent dans un milieu très pauvre où les parents n'ont pas assez de temps à leur consacrer, doivent trouver à l'école le milieu propice à leurs confidences. Paulette : Un refuge qui a la douceur de l'aide maternelle, sans en avoir peut-être la rigueur, avec la vie plutôt rude de vos montagnes. Raoul Faure : Pierina, je suis allé dans ta classe, j'ai vu travailler tes enfants, je les ai vu peindre, mais je les ai vus aussi se livrer à de nombreuses activités - de calcul, d'écriture... Est-ce la peinture qui leur a permis de travailler plus profondément, plus utilement ? Pierina : Sûrement, surtout pour les enfants un peu retardés. J'avais une fillette très retardée qui arrivait difficilement à lire et ne réalisait que des gribouillages en guise d'écriture. Elle a exercé ses mains avec le dessin, et en deux ans elle a réussi à faire quelque chose de bon. Quelle joie pour elle de me présenter une phrase bien écrite. Raoul : Alors, ce dessin libre, cette peinture libre, cela s'insère très exactement dans cette pédagogie de la réussite dont nous avons parlé tout au long de ce stage. Pierina : Chaque peinture a été souvent précédé ou suivi d'un texte libre. Raoul: La peinture et le texte libre sont donc des moyens d'expression complémentaires. Les joies profondes, les tristesses aussi s'expriment peut-être plus aisément par la couleur chez les jeunes enfants. |
Pierina : Oui, les enfants commencent à faire leurs petits dessins que j'essaie de comprendre en les faisant parler et petit à petit ils arrivent à écrire un petit texte, puis un plus long et facilement des lettres d'une ou deux pages à leurs correspondants.
Raoul: L'influence de tes travaux, de tes réussites a été très grande auprès de tes camarades. Dans la vallée, tes réussites ont fait tache d'huile. Dans d'autres écoles, j'ai vu de beaux travaux, mais c'est bien à Oyace que j'ai trouvé dans les peintures l'éclat le plus pur, l'émotion la plus délicate.
A Oyace, ce petit pays de la Valepeline, où les enfants n'ont comme horizon que des montagnes rudes, des rochers escarpés, quelques prairies, et au-dessus de tout un ciel pur.
Pierina : La nature joue un grand rôle dans ma classe, parce que bien souvent nous sommes dehors à la découvrir : c'est la première fleur qui sort, aussitôt la neige disparue, c'est la forêt avec sa vie intense, c'est l'automne avec ses couleurs joyeuses et éclatantes ; ce sont les mouvements des travaux à travers les prés et les bois, qui créent le climat favorable à l'explosion des dessins, des peintures, des textes, et de tous les travaux que nous faisons.
Paulette : C'est merveilleux de constater combien l'Art Enfantin peut magnifier la réalité dans une école isolée dans la montagne, comme la tienne, Pierina, comme la mienne, isolée, perdue dans les grands ensembles des villes, en crise de croissance ; grands ensembles qui font tant de mal aux enfants.
La seule échappatoire, ou la seule fenêtre ouverte sur le ciel, c'est encore le dessin libre.
Pierina : Je remercie Paulette Quarante qui m'a tant apporté l'an dernier à Saint-Nicolas, et tant apporté cette année dans cette belle école de la Salle. Je la remercie de m'avoir fait comprendre ce qu'est l'Art Enfantin.
(Rapporteur: Mme Quarante)