Desseins et Dessins

“A thing of beauty is a joy for ever…”

Un plateau à hors-d'oeuvre avec en relief, des tomates bien rouges et des poivrons bien verts... au diable l'avarice !

Une gondole porte parfum et un pique fleurs en plastique...

Un canard de plâtre peint plus vrai que nature et made in Hong-Kong...

Un cerf très cornu en relief sur faux bois, mais authentifié par étiquette dorée « plastique véritable »...

Un phare baromètre en cuivre et bois, clouté, reclouté, surclouté et un pique fleurs en plastique...

Un papillon indélébilement phosphorescent, et... et... et...

Je pourrais continuer longtemps cette série de « souvenirs » qui sont à la fois odieux à mes yeux et chers à mon coeur, pour en arriver toutes les 5 unités au pique fleurs en plastique.

   

De quoi je parle, sinon de l'inventaire de mes rayonnages « secrets », que je ne peux contempler sans hargne et pourtant sans émotion, et qui se sont remplis au long de mes années au service des enfants du peuple, de ces menus ou importants cadeaux, donnés par les mamans avec des mots touchants

« Parce que la petite veut vous faire plaisir » « Parce que vous avez su prendre le petit » ou « Parce que vous aimez la céramique. »

Cadeaux pour bazar, à l'usage des touristes béats - ou des voyages de noce, et qui se coupent de loin en loin - pourtant, d'une opaline délicate, ou du souvenir de la jonchée de carottes nouvelles et de petits pois fraîchement cueillis, seules notes de beauté dans cette collection laide à pleurer.

Et je ne mentionnerai que par un raffinement sadique l'urne violette et déjà funéraire, bordée d'or, qui pourra m'accompagner à ma dernière demeure !

Alors, pourquoi, pourquoi vais-je aujourd'hui partir en guerre contre cette bimbeloterie de luxe ou demi-luxe, qui miroite comme un trésor à conquérir dans les magasins de fantaisie ?

C'est qu'elle pose envers l'éducateur un problème plus grave que la simple critique aisée du mauvais goût de ces ménagères-mères de famille du peuple, qui ont mis là souvent une délicate pensée, et des deniers, après tout, qu'il ne faut pas négliger.

Car enfin, analysons d'un peu plus près ce qui se passe.

L'on ne peut faire à ces dons un procès d'intention : il y a le désir de faire plaisir, de choisir « ce qui fera bien » dans la maison de la maîtresse d'école, ce qui sera en rapport avec ses goûts, que l'on suppose les plus « dorés » possibles, puisqu'elle a de l'instruction, donc ne peut se contenter d'un objet usuel, ou trop sobre, ou trop discret, et que l'on a peur de se montrer trop modeste, ou trop pingre. Et puis le marchand a dit : « Ça fait bien ; ça se vend ; c'est mode, et même, c'est importé d'Italie !… et souvent encore, c'est le plus cher ! »

Donc, pas de procès d'intention, parce qu'il ne suffit pas de jeter la pierre pour supprimer l'erreur. Car il y a erreur. Bien que le canon de la beauté soit difficile à établir, il y a dans cette collection hétéroclite une sorte de crime de lèse-esthétique, et cela me suffit pour une levée de boucliers.

C'est que j'y vois le signe d'une laideur, d'une banalité, d'une médiocrité qui nous entourent, et dont il faut bien que peu ou prou, nous nous sentions responsables.

Bien sûr, nous ne sommes pas les artisans pratiques de cette laideur :

   

- nous ne l'avons pas façonnée de nos mains

- nous n'en moments pas les vendeurs, mais nous l'avons peut-être laissée s'épanouir en esprit, par omission, nous, les primaires de tous les pays, qui avons hiérarchisé les « valeurs » de certaines notions, plaçant très haut le grammaire et la liste des rois de France et considérant comme nulle, et même nuisible « pour les enfants du peuple », parce qu'ils auront bien autre chose à faire, la notion de beauté, d'art, d'harmonie.

La beauté, un luxe ?

L'esthétique nuisible ?

Pour qui ? et au nom de quoi ?

Nuisible pour l'homme des champs, parce que ses mains calleuses n'ont pas besoin de caresser des marbres ? Nuisible pour le vendeur de meubles, ou le fabricant d'assiettes, parce que « tout se vend, si on sait y faire » ? Nuisible pour la simple mère de famille, à qui revient depuis toujours le rôle d'accueillir sa nichée à l'ombre des dieux lares ?

Mais sous l'ouvrier, le vendeur, la ménagère, il y a l'être humain, et pourquoi depuis 100 ans laisser en friche son besoin de beauté ?

Car enfin, on assiste à ce processus choquant que plus l'instruction s'est répandue, plus il y a eu divorce entre le goût inné du peuple - qu'on admire aux musées des « arts » et des traditions populaires et la production qu'on lui offre sur les marchés et dans les magasins.

A peine maintenant se dessine-t-il un mouvement d'épuration, qui commence à gagner même les Prisunics.

Cela revenait donc à dire que le peuple « n'avait pas besoin » de belles choses, et puisqu'il ne les fabriquait plus, il n'avait pas droit à la parole, pour juger et pour choisir.

Eh ! cela serait-il si loin de nos programmes d'instruction et d'éducation, que d'élever nos élèves selon cette observation de Léo Larguier : « donner plus que son prix au plus humble du quotidien... rendre l'étonnement de vivre aux vivants blasés... rendre l'extraordinaire à l'ordinaire... »

   

L'art alors serait « une autre sorte de soleil » sans qui les choses ne seraient que ce qu'elles sont; et pour nos enfants, qui pourrait dire qu'ainsi envisagée il n'y ait là une source profonde d'enseignement, de méditation, de confrontation donc, de culture, qui pénétrerait patiemment mais tenacement les foyers.

L'enfant, neuf, ou réintégré dans le puissant courant de la vie, par la pédagogie Ecole Moderne, rejoint très vite la conception la meilleure de l' « artisan d'art » d'aujourd'hui, celui qui, comme le dit Paul Serant dans Planète « a la conviction que les sources anciennes ne sont pas taries, que certaines aspirations fondamentales persistent à travers les âges... L'objet d'art est ainsi réintroduit dans la quotidienneté, dans la vie courante… »

Et je ne sais personne qui ne sorte plus apaisé et plus heureux de la chaude intimité, de l'harmonie où l'on voudrait vivre qu'est dans nos Congrès faite pour les gosses, et par les gosses, la maison de l'enfant.

PAULETTE QUARANTE

 

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