PRESENCE Au départ, un parallélépipède banal, une pierre grossière issue d'un vieux mur démoli. A la fin, une stèle aux formes harmonieuses d'une remarquable sobriété. Les artisans de cette extraordinaire transformation : Jean-Marie et Joël ; deux gamins de treize ans qui n'auront ni l'un ni l'autre leur Certificat d'Etudes à 14 ans, mais chez qui les techniques d'expression libre ont permis l'éclosion de virtualités cachées. Du temps et de la patience, il leur en a fallu : deux séances de près de trois heures à manier le burin, le marteau, le « chemin de fer », tantôt avec force et décision, tantôt avec une hésitante délicatesse. Il ne leur était guère facile de dominer le matériau : le grain en était grossier, la résistance irrégulière. Un coup de marteau maladroit aurait suffi à compromettre l'équilibre de l'ouvrage. Que n'ai-je fixé sur la pellicule leurs visages attentifs, parfois jusqu'à l'anxiété, leurs gestes mesurés, malhabiles au début, tellement plus sûrs au fur et à mesure que l'entreprise professait. Et pourtant, quel inconfort dans l'installation : la pierre était posée à même le sol de la classe, protégée par une vieille toile, ce qui les obligeait à travailler à genoux ou accroupis ; quelle incommodité des outils : le burin était ébréché, le « chemin de fer » de tailleur de pierre beaucoup trop large ; un vulgaire balai-brosse non emmanché servait à enlever les débris. Est-ce que l'éclosion de cette oeuvre d'art tient du miracle ? Je ne le pense pas. Ce samedi après-midi-là, l'atmosphère était éminemment propice: quelques élèves peignaient autour d'une grande table, d'autres modelaient, d'autres encore émaillaient des personnages récemment sortis du four, d'autres dessinaient, Denis enregistrait un chant libre dans la pièce voisine. Et le maître, dans tout ça ? Il essayait de rester disponible. Allant d'un groupe à l'autre, il encourageait, il conseillait, il n'hésitait pas à passer l'index sur sa langue pour polir la surface d'un masque ou les parois d'un vase ; bref, il était présent... Combien de fois est-il allé converser avec les deux sculpteurs : « Ne crois-tu pas que tu pourrais adoucir cette ligne ?... Tu devrais accentuer ce sillon. » Il était de plein pied avec les enfants, il écoutait, il offrait son avis. Chacun donnait sa part avec la même foi, avec le même désir d'aboutir. Aboutir : tel doit être un de nos plus grands soucis. je n'ai pas oublié, lors d'un essai précédent, la déception de Denis essayant de sculpter son « arche », et fendant sa pierre trop salpêtreuse d'un malencontreux coup de marteau trop appuyé, presque à la fin ! Et lequel d'entre nous n'a pas présente à l'esprit quelque catastrophe ayant irrémédiablement compromis une oeuvre prometteuse : un pot de peinture renversé, une poterie cassée avant l'enfournement, que sais-je ? Là encore, le maître doit être présent pour prévenir l'irréparable. Une page de cahier du jour peut être arrachée, barrée d'un « à refaire » rageur : l'enfant docile recommencera. On ne retrouve pas une inspiration avortée, une veine qu'on n'a pas exploitée à temps. Un exercice peut être traité sans égards par un maître insensible ; une sculpture est une oeuvre d'art et mérite le respect de l'éducateur. Georges DELOBBE |
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Peinture de Fabienne, 9 ans – St-Rémy-sur- Creuse (Vienne) |