Une plume blanche

Brigitte lit un texte libre :

« Dans la colline, sous un pin, j'ai ramassé une plume. J'ai pensé que je l'apporterais à la maîtresse. C'était une plume blanche. »

Le silence accueille le texte : Brigitte, un peu déçue, va s'asseoir. Une voix dit :

- Une plume blanche ? moi ça me fait rêver...

C'est la maîtresse, qui, affairée à quelque atelier, au fond de la classe, a relevé le pauvre petit texte qui tombait à plat.

- C'est là que ça commence, Brigitte... Une plume blanche, ça me fait rêver !...

- Moi aussi

- Moi aussi

- De qui elle était ?

- D'un « gabian » échappé du port, peut-être...

- D'une cigogne, peut-être...

- Ou d'une petite poule qui faisait son nid ?

Et les langues vont trottant... Or, cherche des plumes, on imprime des plumes, on dessine « des-plumes-qui-font-rêver ».

Ce n'est rien, un rien léger comme une plume blanche. Mais c'est la part du maître, qui, au gré des offrandes de l'enfant, fait lui aussi son texte libre, et raconte la belle légende du Narcisse grec quand Nicole lui offre la fleur nacrée qu'elle a cueillie le jeudi ; raconte son voyage en Caravelle, ou évoque le temps des joies ou des peines, selon les événements gais ou riants de la journée, anime ou s'étonne, questionne, s'extasie, pense à l'une et pense à l'autre, et distribue à chacune... eh bien ! oui, quoi ? une feuille de son coeur... d'artichaut.

Appelez cela, si vous voulez être dans les normes du langage des « psycho-je-ne-sais-quoi » qui nous guettent, être disponible...

En tout cas, engagez le dialogue.

Les enfants vous ont là, à leur portée : qu'ils en profitent. Vous êtes descendus de la chaire ? Cela ne vous empêche pas d'être « plus grand qu'eux » (je veux dire, « de ne pas tomber dans l'infantilisme ») mais de rester « dans leur azimut ».

Je n'aurais pas pensé à une si mince chose si, au long des pages des « Cahiers de Roulement » qu'à lancés cette année la Commission de Travail d'Art Enfantin, la grande misère des « maîtres de dessin » ne m'était apparue.

Tout le monde le sait : ils ont une heure tous les X jours, avec des élèves qu'ils ne connaissent pas autrement... et se trimballent de classe en classe, comme ça... Avec, au coeur, l'envie de voir naître « les belles choses » comme il en naît chez leurs collègues « du primaire », qui, cependant, ignorent sans doute les règles de la perspective cavalière ou cavalcadante, les nombres d'or avec lesquels se construit l'architecture plastique d'un tableau, et les rapports mathématiques du canon de la « figure » grecque. Autant dire, pour les Maîtres-Jacques que nous sommes, la quadrature du cercle.

Mais, 6 heures par jour, ces Maîtres-Jacques se mêlent à la ruche bourdonnante et l'aident à faire son miel non pas par des cours de dessin, mais par le dialogue.

N'y a-t-il pas dans les C.E.G., C.E.T., C.E.S., lycées, dans les murs ou hors les murs, quelque chose à voir, quelque chose à dire, quelque chose à commenter ?

N'y a-t-il pas tout simplement un courant humain qui peut se créer du maître à l'élève, ou plutôt, de l'enfant à l'homme ?

J'écrivais ceci (que Freinet a dit si souvent) aux marges des Cahiers de Roulement « On ne dira jamais assez que le climat de la classe, le dialogue avec les enfants à propos de tout ou rien, l'éveil des sensibilités, toutes à la fois, sont les plus sûrs facteurs de la reconquête de la liberté dans toutes les techniques de création. »

Et Jean Dubroca (C.E.G.) me répondait en écho : « Nous parlons de tout et de rien... du cheval (ici un nom abracadabrant que j'ai oublié après en avoir ri... sans doute un livre qu'ils avaient lu, a moins qu'ils ne l'aient inventé) et je les imagine, galopant dans le rêve ou dans la fiction, dans le rire ou dans l'émotion ; et naissent alors les graphismes, et les taches colorées, et les essais si nombreux, si nombreux que passe l'heure, et que toujours est plus grand le nombre des enfants qui ont quelque chose à dire.

L'enfant n'a rien à exprimer (à heure fixe) ?

Libérez-le. J'aimerais bien dire : « libérez-vous » de cette contrainte d'enseigner le dessin.

   

Le dessin ? la peinture ? ce ne sont que cruches vides. Trouvez votre moisson et vous verrez que pour la conserver, ou pour l'offrir, cette moisson, l'enfant trouvera l'amphore pure ou la corne d'abondance débordante de couleurs, de sensations, de sentiments, ou tout simplement de vie.

Après, vous chercherez ensemble les moyens, et s'ils en éprouvent le besoin, vous les guiderez dans le dédale du « point » et de la « ligne », les gammes dissonnantes ou harmoniques de la palette, l'alchimie des arts du feu...

Mais sans cette « Jam-session » que devraient être les premières heures (et les autres) du « Prof-de-dessin » et de ses élèves, rien ne se passera entre eux et vous.

Même pas l'envie, sur la feuille blanche, d'y mettre un point.

C'est tout.

P. QUARANTE

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