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En 1961,
pour la première fois, aux tréteaux de la Comédie de Saint-Étienne, nous
avons monté un spectacle pour enfants, les
musiques magiques, dont le scénario et les costumes avaient été confus
par les élèves de 12 à 14 ans de l'école de la Roseraie à Dieulefit.
Ensuite, les tréteaux ont joué Cycolème
le Triste qui avait été imaginé de la même façon.
Après ces
deux spectacles, j'avais envie de faire une expérience analogue avec des
enfants plus jeunes, et j'ai demandé à
Monsieur Freinet, dont j'admirais l'enseignement, si certains instituteurs
du mouvement seraient disposés à collaborer avec moi. Une circulaire
a été envoyée, à laquelle Jeanne Vrillon a répondu
avec beaucoup de sympathie. Elle me donnait l'adresse de Nicole Athon
à Sartrouville. Pendant plus de deux ans, Nicole et André Athon,
Michèle et Camille Delvallée m'ont reçue, environ
une fois par semaine, dans leurs classes. J'enregistrais sur mon petit
magnétophone les histoires que me racontaient les enfants. Au bout de
quelques semaines, nous choisissions ensemble celle qui nous plaisait
le mieux et nous la développions, chacun apportant son idée; en même temps
les enfants l'illustraient. Mon but était d'obtenir un jour un scénario
de théâtre, et d'en faire un spectacle pour enfants, mais en attendant
d'en avoir la possibilité, je me contentais d'enregistrer les histoires,
de recueillir les dessins, d'en faire des diapositives. Puis, en novembre
dernier, Ariane Mnouchhine m'a proposé de monter,
pour le mois de mars, un, spectacle pour enfants. Aucune des histoires
que j'avais recueillies ne me paraissant convenir pour une pièce de théâtre,
j'ai proposé aux élèves de Nicole Athon (C.E.2)
le thème suivant : « Dans un pays lointain, une créature
est devenue maître d'un village et oblige les gens à travailler pour elle ;
elle a chassé tous les animaux sauf un. »
En cinq
séances, les enfants ont inventé tout le scénario, chacun apportant son
idée et participant à l'élaboration de la pièce. La créature devenait
un arbre sorcier qui n'aime pas le bruit du vent dans les arbres, ni le
bruit des châtaignes qui tombent; L'animal qui avait échappé à
l'attention de l'arbre, c'était une tortue qui cachait sa tête et ses
pattes et ressemblait ainsi à une pierre. Pour tuer l'arbre sorcier,
un petit garçon proposa « une musique qui fait comme le vent »...
En même temps, les enfants dessinaient les personnages. Les trois autres
classes participaient aussi en apportant quelques idées, quelques dessins.
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Fin décembre,
j'ai proposé le scénario à la troupe du Théâtre du Soleil. Quelques comédiens sont venus discuter
avec les enfants, puis nous avons commencé à répéter en improvisant autour
des situations de l'histoire, essayant de rester fidèles à l'esprit d'invention
des enfants. Une équipe de couturières a réalisé les dessins des enfants
avec la plus grande exactitude. Le résultat de ce travail a été « L'Arbre Sorcier, Jérôme et la Tortue » que la troupe
du Théâtre du Soleil a joué tous les jeudis et
dimanches au cirque de Montmartre d'avril à juillet, et qui doit aller
à Moscou, puis en tournée en France.
Cette expérience
a été passionnante pour moi, et je tiens à exprimer ma réelle admiration
envers la pédagogie Freinet, grâce à laquelle ce spectacle a été conçu, et ma reconnaissance
à Ariane Mnouchkine et à sa troupe qui
ont couru le risque et nous ont fait confiance.
Le théâtre
pour enfants me paraît avoir pour rôle de bouleverser l'enchaînement de
la vérité reconnue, de mettre en question la vision adulte des choses,
d'interroger, d'ouvrir l'imagination à des réalisations inattendues. Et
cela, dans un langage qui n'est pas logique et explicatif.
Théâtre
de recherche où le contact avec les enfants, avec leur imagination, leur
invention poétique à l'état sauvage, leur audace, leur intransigeance,
nous empêchera de tomber dans les excès d'intellectualisme qui sont un
danger particulier pour les recherches du théâtre contemporain.
Seuls, à
mon sens, les poètes, et les enfants eux-mêmes, peuvent inventer les thèmes
des spectacles pour enfants, parce qu'ils savent découvrir une source
d'inspiration à un niveau
plus profond que celui qui est marqué par notre vision consciente du monde.
C'est à ce niveau profond que nous risquons de découvrir un monde
poétique dont la virulence brisera l'enchaînement de la vérité admise,
et ouvrira l'esprit à d'autres possibilités.
Catherine DASTÉ
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