Marysia, 8 ans 1/2 , Ecole Freinet, Vence

Au coeur du Monde

- On est content - dit Eric - d'avoir des yeux : on voit les fleurs, les arbres et le ciel...

Par cette constatation joyeuse, notre petit Eric se situe au coeur du Monde. Il s'y continue dans toutes les dimensions à la fois, par la joie de ses regards. C'est là le secret du miroir que le poète porte en soi: s'enchanter de la jolie chose, se sentir participant de sa beauté, devenir, par une simple vision, substance de l'arbre, de la fleur et du ciel. Pas de solution de continuité entre ces éléments féeriques devenus don de soi-même ; si bien que l'enfant trouve normal de donner un visage à la fleur, au soleil, à la lune et d'enrichir les rayons des astres des feuillages généreux des ramures sylvestres.

Sommes-nous là en présence d'une sorte de loi de sympathie organique qui livre spontanément une information soudaine, celle-là même que chantent les poètes ? Ou devons-nous céder ce domaine d'instinctif enchantement aux fallacieuses recherches de la connaissance dont les errements des psychologues nous imposent les laborieux chemins ?

On a raconté, il faut le dire, beaucoup de sottises sur ce don d'accueil de l'enfant, démarche même de sa possession du monde ; sur sa désinvolture à mélanger les règnes de la Nature; à prêter des intentions à tout ce qui le surprend ; à croire à une bienveillance de la plante, de l'animal, de la matière, tous éléments d'une réalité cosmique dans laquelle il se sent à l'aise et rempli de bonheur.

Il faut relire les vrais poètes pour retrouver, avec une sorte d'ivresse, cette énergie initiale, toujours renaissante d'une Terre Juvénile : une Terre sans cesse en état de grâce, sans cesse en surtension biologique dans laquelle Teilhard va chercher les sources mêmes de la Vie.

L'enfant, de surcroît, ajoute le ciel à la Terre. Ils sont participants du même Univers et il lui semble tout naturel que le cosmonaute débarque sur la Lune et bientôt sur les étoiles. Pour voir simplement comment les choses se passent là-haut. Les rêves de l'homme sont toujours, au départ, nourris d'enfance et d'ingénuité.

Mais quelles que soient ses audaces, l'homme ne connaîtra jamais que ce qu'il a pu entrevoir dans son très petit domaine d'espace‑temps. Au long de cette inexorable fuite de l'Humanité vers cet insondable inconnu du Temps, les mêmes questions se poseront à la curiosité de l'homme. Face à un Univers qui, pour la majorité des humains, se résume aux visages de la Terre et à la splendeur du ciel étoilé, l'homme en sait-il bien plus long que l'enfant ?

   

C'est, sans doute, grâce à cette commune ignorance de l'adulte et de l'enfant que les réflexions orales ou les dessins de nos écoliers n'ont, semble-t-il, pas retenu l'attention des psychologues, pour ce qui regarde le ciel. Les psychanalystes eux-mêmes restent silencieux : on ne trouve pas de symboles phalliques dans le champ d'étoiles où Ruth posait ses regards angoissés, près de Booz endormi... Cependant le triangle Père‑mère‑fils, est bien ici de la partie puisque le soleil épouse la lune et qu'ils ont beaucoup d'enfants étoiles. Mais, n'en doutons pas, le complexe d'Oedipe et celui de la castration auraient du mal à se mettre en place : impossible de raisonner ici sur le cas exceptionnel susceptible de se hausser à l'abstraction valable pour la multitude... Le rêve poétique de l'enfant y est soustrait aux lois du freudisme...

Il faut s'en réjouir : voilà au moins un coin de prairie vierge dans lequel le Père Noël et le Petit Jésus échappent à une symbolique onirique pour devenir de rassurants compagnons dans un instant féerique. Ici, pas de signe défensif, pas de censure, pas de phantasme à pourchasser pour exorciser le subconscient de l'enfant.

Les soleils rient de toutes leurs dents, chevelure déployée aux quatre vents ; la Lune promène son visage serein « pour éclairer la route de celui qui s'est perdu ». Les étoiles innombrables attendent le petit cueilleur d'étoiles qui monte vers elles, la nuit, pour ramener « plein ses bras, plein ses mains, plein ses yeux, plein son coeur de ces fleurs du ciel » qui, depuis toujours, enchantent la Terre et les hommes devenus à leur tour « cueilleurs d'étoiles » pour de bon.

Elise FREINET

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