Compte-rendu d’expérience à partir de l’Arbre-Sorcier
Par J.Caux – Ecole de Crouy-sur-Cosson (Loir et Cher)
Ce travail essaie de montrer ce que nous connaissons déjà, nous, c'est-à-dire les maîtres de l'Ecole Moderne qui laissons les enfants s'exprimer librement dans le domaine artistique comme dans bien d'autres domaines.
1°) L'expression plastique enfantine est d'abord un langage. Elle ne peut être autre chose qu'un langage. C'est même le fait d'être un langage qui lui confère ses lettres de noblesse, tant sur le plan du message psychologique que sur celui du message artistique.
2°) L'expression plastique dirigée est toujours en retrait esthétique par rapport à l'expression plastique libre.
3°) L'expression libre permet une libération plus rapide ; mais aussi une formation de stéréotypes qui peuvent être des techniques de vie valables. Pourtant elles peuvent être source de sclérose si l'individu ne trouve pas dans le contexte individuel ou social les pulsions ou les ordres qui lui permettent une saine remise en cause. Il semble donc nécessaire - vers 10-12 ans - à la période du soi-disant « dessèchement », d'apporter à l'enfant les éléments d'une culture artistique progressive, éclectique et adaptée à l'enfant et à ses créations.
Voici les conditions de l'expérience :
LES ENFANTS
Ils sont dans une classe rurale mixte (CE2 - FEP).
Ils sont en général moyens, sensibles, très à l'aise à l'école et s'exprimant facilement.
L'ECOLE
Elle fonctionne en Pédagogie Freinet depuis de nombreuses années. Tous les enfants n'ont connu que cette forme de travail (non figée d'ailleurs, évoluant au rythme de la vie coopérative). Ils sont habitués à une production plastique variée et de haute qualité.
LE MILIEU
Rural, agricole et forestier. Quelques ouvriers.
Assez en retard sur le plan de la prise de conscience individuelle ou collective.
L'IMPACT
Les enfants n'étaient jamais allés au théâtre.
Ils sont allés à Blois assister à la représentation de Jérôme et la Tortue, le 6 décembre 1968 dans l'après-midi. C'était le jour de la Saint-Nicolas, foire traditionnelle à Blois. Les enfants ont ensuite visité la ville illuminée et les magasins. Ce qui, pour certains, faussera la pureté de l'expérience : ils confondront le spectacle, les rues, Noël.
L'EXPERIENCE
Les enfants ont été à proprement parler ravis du spectacle.
Le lendemain matin, je leur ai demandé de dessiner ce qu'ils avaient vu au théâtre, sans être plus précis.
Je leur ai préparé du papier couché à profusion et des stylobilles. Cette « technique » leur a déplu.
Ils auraient voulu et ont demandé des peintures, des feutres, etc., « pour faire de belles choses ».
Je n'ai pas voulu.
A chaque fois qu'un dessin était terminé, l'enfant me l'apportait et me le racontait. Je notais nom, date, numéro. Je l'invitais à faire un nouveau dessin, sans forcer.
Le travail a duré 1 h 30.
LES RESULTATS
a) GENERAUX
C'était donc imposer aux enfants la technique et le sujet (le sujet, pourtant, fut très facilement accepté et permettait des projections faciles). Or, tous ont nettement régressé dans leur dessin. Les plus doués se sont acharnés et ont finalement dominé ces difficultés. Les plus perturbés n'ont pu sortir de leurs phantasmes.
L'importance des stéréotypes dans la plastique enfantine apparaît comme primordiale, à la fois comme barrières protectrices et comme tremplins pour de nouveaux départs.
Le procès fait souvent, aux tenants de l'expression libre, de laisser les enfants dans une position infantile sur le plan plastique (cf. bulletin de la société Binet-Simon) me semble tous les jours infirmés par l'expérience. Il suffirait d'abord de mettre en parallèle les productions enfantines habituelles et celles sortant de classes Freinet. Le résultat est sans appel. Enfin, nous ne cherchons pas à faire de nos enfants des artistes (ils le sont, mais à chaque âge correspond un type d'artiste enfantin). Nous cherchons simplement à leur faire acquérir un nouveau langage, un nouveau moyen d'expression. Je me rappelle cette conclusion d'un groupe d'études d'une faculté en révolution de mai 1968 : « Doter l'enfant - dès l'école maternelle - du plus grand nombre de langages possibles : oral, écrit, plastique, mathématique, etc. »
b) DETAILLES
Ils montrent la nécessité de la connaissance de l'enfant, car on ne peut dégager d'idées générales qu'à partir de l'étude des cas particuliers. 17 enfants ont assisté au spectacle, 14 enfants ont dessiné.
CLASSEMENT DES DESSINS
Nombre de dessins |
Moyenne |
Nombre de dessins |
Moyenne |
Nombre de dessins |
Moyenne |
|||
Intelligents (7) |
32 |
4,6 |
Doués en dessin (6) |
27 |
4,5 |
Plus de 10 ans (6) |
18 |
3 |
Moyennement intelligents (5) |
17 |
3,4 |
Movennement doués (3) |
8 |
2,6 |
9-10 ans (2) |
5 |
2,5 |
Faiblement intelligents (3) |
8 |
2,6 |
Faiblement doués (6) |
21 |
3,5 |
- de 9 ans (7) |
34 |
4,9 |
ORDRE D'APPARITION DES DESSINS
La liste suivante indique l'ordre dans lequel les dessins ont été apportés au maître.
NOMS |
AGES |
NOMS |
AGES |
NOMS |
AGES |
|||
Madeleine |
11.02 |
1er |
Jeanny |
09.09 |
2e |
Martine |
08.11 |
3 e |
Jeanny |
09.09 |
1er |
Nathalie |
08.11 |
2e |
Pascal |
10.11 |
2e |
Martine |
08.11 |
1er |
Alain |
08.04 |
2e |
Linda |
10.01 |
3 e |
Dominique |
09.11 |
1er |
Martine |
08.11 |
2e |
Bruno |
08.02 |
3 e |
Maurice‑Henri |
10.09 |
1er |
Claudie |
09.02 |
2e |
Alain |
08.04 |
2e |
Alain |
08.04 |
1er |
Bruno |
08.02 |
2e |
Nathalie |
08.11 |
5 e |
Nathalie |
08.11 |
1er |
Jeanny |
09.09 |
3 e |
Madeleine |
11.02 |
2e |
Claudie |
09.02 |
1er |
Nathalie |
08.11 |
3e |
Brigitte |
09.09 |
3 e |
Linda |
10.01 |
1er |
Nathalie |
08.11 |
4e |
Claudie |
09.02 |
3 e |
Bruno |
08.02 |
1er |
Béric |
10.05 |
2e |
Maurice‑Henri |
10.09 |
4 e |
Brigitte |
09.09 |
1er |
Brigitte |
09.09 |
2e |
Pascal R. |
09.04 |
2e |
Pascal R. |
09.04 |
1er |
Dominique |
09.11 |
2e |
Nathalie |
08.11 |
6e |
Béric |
10.05 |
1er |
Jeanny |
09.09 |
4e |
Martine |
08.11 |
4e |
Pascal L. |
10.11 |
1er |
Maurice-Henri |
10.09 |
3e |
Madeleine |
11.02 |
3 e |
Analyse par enfant pages suivantes
Jeanny 9 ans Enfant intelligent, mais très perturbé. Totalement identifié au père, lui-même bien complexé et qui offre inconsciemment un mauvais modèle à l'enfant. Jeanny est aussi très sensible (à l'excès) et il subit des chocs affectifs qui sont très longs à s'effacer (depuis plusieurs mois, il ne peut se remettre de la mort d'un petit renard). Dans son premier dessin, son arbre est agressif, mais peu courageux et au regard fuyant (c'est l'image du père). Le garde a quatre bras, La tortue est pratiquement une pierre. C'est un dessin de qualité habituelle pour Jeanny, qualité qui est faible. Jeanny, qui est extrêmement rapide en tout mais ne peut rien terminer, apporte, le premier, un deuxième dessin, Il est déjà fatigué. Cela ne va pas l'empêche d'en apporter très vite un troisième Il s'amuse beaucoup à tout raconter et à vouloir briller à tout prix. Non écouté, il se mettra travailler seul à son français. |
|
Nathalie 8 ans 11 mois. Très intelligente, travailleuse. Pointe d'orgueil. Pleine de problèmes : n'arrive pas à liquider l'Oedipe. Sexualité prononcée. Dessine beaucoup et bien. Ce premier dessin marque une nette régression. Mais il serait très riche à analyser : problème du père, sexualité, fleurs, etc. Deuxième dessin : Dessin encore nettement en régression par rapport au travail en expression libre. L'oeil de la girafe ressemble nettement aux yeux des personnages habituels de Nathalie. Troisième dessin : Les gardes ont effrayé Nathalie. Elle rend sa frayeur d'une manière aberrante Est-ce aussi une transposition du problème paternel ? Quatrième dessin : Personnage en pantalon bleu du pays des médailleux. Au contraire, ici, le personnage est solide, logique, calme. Cinquième dessin : Nathalie, par ce thème plus féminin de la fleur du désert tintinnabulante, retrouve sa liberté de dessiner et de créer (voir page 1). Sixième dessin : Très belle réussite. Nathalie a dominé le sujet et rend ici tout le pathétique du personnage. Ce personnage de la tortue auquel les petites filles se sont tout de suite identifiées. Septième dessin : Nathalie maintenant retrouvé toute sa joie et sa rapidité de création. Elle revit l'histoire sans trop se préoccuper de ce qu'elle a vu : les bateaux de la pièce, créés par des garçons étaient pointus, criards, violents. Ici, on se croirait en gondole sur un rêve d'amour. Dessin un peu rapide néanmoins (cf. les bonhommes). Huitième dessin : La dame du pays des médailleux. Bon dessin Mais l'on est quand même loin de magnifiques créations libres de Nathalie. Neuvième dessin : Nathalie es fatiguée. C'est un dessin dans lequel il faut surtout noter l'importance du soleil, reflet des difficultés de la fillette avec son père. |
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Maurice-Henri 10 ans 9 mois. Enfant très intelligent. Equilibré. Déjà cultivé. Un an d'avance scolaire. N'aime pas la création artistique où il réussit pourtant assez bien mais il a été très vite confronté avec des recherches libres abstraites qui ont, me semble-t-il, asséché sa spontanéité de création (retrouvée quelques mois après). Se plaît dans le travail manuel, la recherche abstraite mathématique et historique. Sens logique développé. Sensible. Légèrement perturbé par un frère plus âgé auquel il voudrait s'identifier. Pour ce garçon, qui a pris un grand plaisir à la pièce et aux difficultés à vaincre pour la dessiner, le tracé général est bon et guère en retrait de ce qu'il fait habituellement. Premier dessin : Il choisit un des passages centraux de la pièce. Les décors sont bien équilibrés. Il y a une tentative vers un rendu de profondeur. Le dramatique de la situation est bien restitué. Les éléments décoratifs montrent bien le caractère « technisant » du garçon. Deuxième dessin : Dessin magnifique. Ce premier jet, repris ensuite dans une autre technique, comme nous le faisons faire souvent dans nos classes pour magnifier les productions, ferait merveille. La girafe à deux têtes de la pièce a étonné beaucoup d'enfants. Mais M.-H. est réaliste et il a vu « le truc ». Troisième dessin : L'arbre-sorcier : une belle mécanique. Quatrième dessin : Encore un très beau dessin, bien que le trait ne soit pas sûr. La maigreur, la grandeur, l'air absent du berger de la pièce sont bien rendus. |
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Linda 10 ans 1 mois. Enfant d'une intelligence passable. Gros retard scolaire. Famille nombreuse. Enfant très complexée : jalouse, accaparante, hypocrite. Dessine merveilleusement bien en expression libre. Premier dessin : très nette régression. Sans parler de l'inquiétude présente en ce dessin, on peut y déceler des détails intéressants : la spirale ; c'est une découverte que Linda utilisera beaucoup par la suite. Deuxième dessin : Bon dessin. Travestit le berger en femme. Remarquer la position incohérente de la deuxième tête de la girafe. Mais Linda ne s'est guère intéressée à ce travail. Pascal 9 ans 4 mois, Très intelligent, solide, orgueilleux, coléreux. Réussit scolairement très bien. Dessine peu. Attiré par bricolage et sport. Premier dessin : A d'abord admiré le singe et son agilité. Deuxième dessin : Un gros travail peu convaincant. Troisième dessin : Jérôme. En fait, le portrait dessiné habituellement par Pascal. |
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Brigitte 9 ans 9 mois. Enfant moyennement intelligente. Paresseuse. Rendement faible. Très sensible (crée souvent de très belles poésies). Enurétique. Sent mauvais. Dessine bien. Travaux pourtant souvent malpropres. Ses dessins sont très stéréotypés : elle ne possède que quelques techniques de représentations dont elle ne se détache pas, mais qui la sécurisent. Premier dessin : Très nette régression du trait. Marque nettement l'opposition arbre-tortue. Deuxième dessin : En net progrès. Il est vrai que Brigitte a choisi un thème qui lui est cher : personnage féminin de face, grosse tête, grands yeux, bras et jambes à peine formés. De fait c'est Jérôme qu'elle n'a pu transcrire en garçon. Troisième dessin : N'arrivant sans doute pas à exprimer ce qu'elle a vu au théâtre, elle se réfugie dans son thème familier légèrement transposé en poupée. |
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Conclusion Au terme de ces notes, voici ce que l'on peut avancer - La connaissance de l'enfant est indispensable pour pouvoir comprendre le dessin d'enfant. - Le dessin dirigé semble toujours en retrait esthétique et significatif par rapport à l'expression libre. - Les « projections » d'ordre psychologique se coulent plus malaisément dans un dessin dirigé et gênent donc la compréhension du dessin et par conséquent celle de l'enfant lui-même. - L'habituel argument : « à dix ans, les enfants ne dessinent plus » ne semble pas valable (cf. tableau ; l'étude de ce tableau est intéressante). Sur ce sujet, qui est très important, la Commission Art Enfantin entreprend une série d'études qui devrait, nous l'espérons, apporter quelques éclaircissements. C'est un problème très complexe. J.CAUX |
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