Réalisme et création
ou : Du voyage-échange à la tapisserie
Denise Poisson
ORGANISATION DE L'ESPACE
Je punaise la toile sur le tableau. Alors...
Le château d'eau de Philippe B. vient s'épingler d'emblée tout en haut à droite : « ça montait pour y aller ».
Le viaduc de Pédro cherche sa place à l'extrémité à gauche et se situe finalement un peu au-dessous de la médiane.
Après bien des tâtonnements, le château de Brou de Jean-Claude s'accroche en haut de la toile, entre le viaduc et le moulin : « le château en haut et le moulin en bas, parce que pour aller du moulin au château, le chemin monte ».
RECHERCHE DES TISSUS ET MISE AU POINT DE CHAQUE SÉQUENCE
Le beau porche de Philippe L. trouve une place de choix au tiers à droite. Recherches, essais, critiques, réflexion... nouveaux essais... peu à peu les enfants sont arrivés,, non à un plan rigoureux, mais à situer chaque élément du paysage à une place juste par rapport à chacun des autres et par rapport à l'ensemble.
Il s'agit maintenant de rechercher dans les caisses à chiffons les étoffes qui conviennent. A part Philippe B., les volontaires ne sont justement pas les auteurs des dessins qui préfèrent d'autres activités (fiches, bandes, etc.) Pourtant, ils participeront au choix quand on présentera les tissus sur la toile.
Deux tendances se font jour :
- les imaginatifs qui cherchent à créer pour le plaisir des yeux et jouent avec les couleurs,
- les réalistes qui veulent « faire vrai ».
Et c'est alors un continuel va-et-vient du réel à la fantaisie, de la création fantaisiste aux possibilités du réel, qui nous oblige à penser, à raisonner, à comprendre, à préciser, à approfondir. Que de recherches, d'essais, de discussions avant de se mettre d'accord sur le choix d'un tissu, les moyens figuratifs, la réalisation !
Tout de suite, un bleu clair est mis de côté pour la Manse, un quadrillé noir et blanc pour les murs du château, mais... comment représenter les jolies sculptures des fenêtres à meneaux dessinées par Jean-Claude ? Nathalie, qui sait faire le point de tige, se propose pour les broder avec de la laine bleu foncé. Un fin quadrillage bleu et blanc fera les toits d'ardoise.
LE CHATEAU D'EAU : Philippe B. a trouvé un gros écossais pour la tour, mais le choix est plus laborieux pour le réservoir. On s'arrête sur un bleu marine à fines rayures blanches qui, mises horizontalement, sont assez suggestives. Elles rappelleront à tous que, seul, le réservoir contient de l'eau. Pedro (9 ans) le plus réaliste, exige « la règle » et l'index qui renseignent sur la hauteur d'eau. Certains voudraient aussi voir figurer les nombres. Faute de mieux, un galon et un bouton rouges feront l'affaire. Peu avant les vacances, Philippe, radieux, apporte une bande de chiffres à marquer le linge pour remplacer le galon rouge, mais mi-désappointé pourtant, il déclare « c'est toujours le même nombre ». LE CHEVAL C'est en allant au château d'eau qu'on a vu le beau cheval blanc de Bruno. Le cheval blanc et aussi Bruno qui lui donne de l'herbe ! Tout le monde est d'accord. Bruno, qui aime tant les chevaux, qui en a tant dessiné toute l'année qu'il sait maintenant les faire courir, illustrera ainsi sa jolie poésie écrite au retour du voyage. Bruno découpe son cheval dans une soie blanche à pois rouges. Pour la queue et la crinière, il découvre un filet à oranges, rouge également. Il m'appelle à l'aide et je m'apprêtais à faire voler au vent la crinière quand Bruno m'arrête : « Pas comme ça. Elle tombe sur son cou, comme des cheveux ». Beau cheval blanc |
|
LE VIADUC ET LE TRAIN Tout
le coin supérieur gauche, au-dessus du viaduc, est vide. |
|
LE LIEN ENTRE LES SÉQUENCES : LA VIE
Les différentes séquences mises en place se sont réalisées indépendamment les unes des autres. Certaines (château d'eau, cheval, moulin) en quelques jours étaient terminées, mais d'autres étaient interminables : le porche si laborieux à ériger, les fenêtres du château qui n'en finissaient plus de se broder...
Je m'inquiétais aussi du manque de liaison.
D'abord, la Manse est venue relier le viaduc au moulin, puis une soierie tachiste évoquant les flaques d'eau devint le chemin montant au château, mais il restait de grands vides.
La tenture, à nouveau accrochée verticalement, les enfants en ont pris conscience et les idées sont venues. Tout ce que nous avions vécu pendant cette magnifique journée chez les correspondants a surgi encore une fois des mémoires, comblant les vides et suscitant un nouvel intérêt :
- les arbres autour du château,
- notre car arrêté sur la place devant le porche,
- les animaux qui nous avaient tant intéressés, à la ferme du moulin, - rappels réalistes, évocations de faits vécus, d'observations précises que l'on s'était intégrées dans la joie de la grande liberté de cette journée sensationnelle.
Puis, plantant là la réalité scientifique, chacun repartait vers la création, suivant sa fantaisie :
A deux petits cochons roses, Brigitte ajoutait une queue, en galon d'emballage rouge frisé avec les ciseaux « pour faire le tire-bouchon ».
Véronique apportant un pompon fait la veille avec sa maman ; « ça ferait bien un hérisson », suggérait Alain.
Tout ce mois de juin, nous l’avons vécu pour et par notre tenture. Chaque rentrée apportait de nouveaux matériaux ou de nouvelles idées qui faisaient naître des critiques prosaïques ou suggéraient des envolées créatrices. Nous faisant revivre non seulement le voyage, mais la plus grande partie de notre correspondance, la tenture semble avoir été une heureuse conclusion de notre travail de l’année.
Cours élémentaire – école Anatole France à Tours