Il
ne nous reste plus qu'à saisir la musique par le bout du nez qu'elle montre
à la porte presque fermée. C'est pourquoi nous préconisons la « musique
libre ».
Mais
quelle est-elle ?
Notre
préoccupation est de retrouver les voies de l'expression de la création
par lesquelles passe le tâtonnement expérimental, seule source d'apprentissage
réel.
Hors
de tout dressage, nous permettons à l'enfant de se familiariser avec les
sons, de jongler avec eux, comme et quand il le veut, de retrouver un
langage (2) - faute d'une langue -, de découvrir petit à petit par des
arrangements sonores gratuits, diversifiés et libres, un moyen de communiquer
des sentiments incommunicables par les autres moyens qui lui sont connus.
Cette
découverte reste, nous le croyons, bien supérieure aux résultats spectaculaires
du Professeur Suzuki. Elle est fondamentale.
Nous
pensons même que dans certains cas elle pourrait donner des résultats
indiscutablement plus prospectifs. En effet, la « musique libre »
dans le meilleur des cas, pratiquée sans discontinuité depuis le plus
jeune âge, à la maternelle, fournira à l'enfant des pistes de recherches
fécondes et diversifiées parmi lesquelles il pourra choisir le genre qui
lui convient pour exprimer ce qu'il ressent ; alors que les élèves
japonais demeurent fixés à l'instrument et au style classique qu'on a
choisis pour eux.
De
par son entraînement à la création, il pourra devenir un interprète sensible.
D'autant plus sensible qu'il aura été et sera un créateur nuancé ;
ceci à l'inverse de l'interprète servile, par trop dressé
à la reproduction qui aura du mal à devenir compositeur ou à changer de
genre. Or, comme nous l'avons dit, c'est le meilleur des cas.
Malheureusement
il est souvent bien tard et les maîtres soucieux de promouvoir une éducation
musicale digne de ce nom, doivent lutter contre les stéréotypes inconsciemment
engrammés par leurs élèves et par eux-mêmes. Pour cela, ils
mettent en place un atelier de musique libre et font apparaître le sonore par différents moyens. Tout ceci est louable en tant
que structure de déblocage de l'expression, mais se doit de déboucher
le plus vite possible sur la création expressive.
Le
danger serait de « faire de la musique » comme on « fait
de la grammaire » ou comme on « fait du calcul » sans que
cela corresponde à un besoin de l'enfant de communiquer un message personnel
profondément ressenti, ou de s'insérer dans un groupe qui a « quelque
chose à dire » et qui écoutera et vibrera à ses accents. Nous ne
nous posons pas en défenseurs d'une musique forcément et uniquement descriptive
ou concrète visant à illustrer un récit ou cherchant à raconter en notes
et en rythmes ce qui aurait pu être dit en mots afin de donner un relief
particulier. Nous reconnaissons le caractère « abstrait » que
peut avoir la musique et lui attribuons un statut autonome et original
parmi les moyens d'expression. Ce que nous dénonçons c'est le système
du bruit pour le bruit sans but ni raison, qui d'ailleurs lasserait l'enfant
- toujours à la recherche d'un auditoire critique - au point de déplacer
ses intérêts hors de l'école ou de les abandonner.
Ce
que nous blâmons c'est la scolastique de la musique.
J-P LIGNON
(1) Cf ; l’article de
N.H.Pronko paru dans Psychologie n°20 de septembre
1971 : A quatre ans le violon sans larmes dont les têtes de chapitres
sont : La théorie est venue après la pratique ; Un apprentissage
qui commence au berceau ; L’enfant doit lui même demander à jouer ;
Une musique doit s’apprendre comme une langue maternelle ; N’importe
quel enfant peut faire un bon musicien.
(2)
Voir l'article de Michel Barré : A la découverte de la musique
en tant que langage, dans l'Educateur 17-18 (1972).
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