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Vers
le geste fondamental
Dans
le complexe éducatif traumatisant que nous connaissons, tant au niveau
élémentaire qu'au secondaire, nous voici, à la période scolaire du redémarrage,
devant des difficultés accrues. Peu de nos camarades ont l'avantage de
pouvoir exercer le compagnonnage avec les enfants qu'exige une éducation
véritable, durant un temps suffisant, deux ou trois années successives.
De toute façon, vient toujours le moment où se constituent des équipes
nouvelles !
A
part les écoles maternelles qui ont l'avantage de recevoir de jeunes êtres
neufs et vierges (et encore ! le contexte familial, malheureusement,
a parfois déjà commis des ravages...), bien souvent, aux autres niveaux,
les arrivants sont déjà profondément marqués par la scolastique et par
ses suppôts (la publicité, les effets des mass media...).
Blocages
Les
premières semaines de classe se déroulent dans une atmosphère froide.
La classe se traîne comme un boulet. Les enfants sont attentifs parfois,
oui certes - ou curieux, mais en même temps, immobiles, le derrière rivé
à leur banc, alors que même un enfant et un adolescent sont des êtres
essentiellement moteurs ; ils sont muets, du moins en classe, comme
asphyxiés par le devoir d'écouter la parole du maître comme ils ont été
dressés à le faire ; ils sont aliénés par de mauvaises structures,
celles de la scolastique : agir tous ensemble portés par un groupe
anonyme, croiser les bras dans l'attente de la tâche commandée et imposée,
marcher en rangs, attendre la punition ou sa menace, réagir aux ordres,
subir l'autorité « sécurisante » (sic) qui apporte un certain
confort-haschisch dans une action jamais issue
d'un libre arbitre ; ils sont soumis aveuglément aux rites scolaires
ou au contraire, contraints par la force des choses à une révolte permanente,
à une action, ou plutôt une rétro-action négative
qui détruit l'être dans ses profondeurs, dans ses racines, bloquant toute
montée de sève (Pavlov parlait d'un « réflexe d'esclavage »
en 1917).
Aucune
expression authentique, aucune parole, aucun écrit, aucun dessin, aucun
chant, aucun geste, aucun regard même qui soit en accord avec les fibres
profondes de l'individu : il y a un écran, un mur, une gangue épaisse,
paralysante et impénétrable, que ce soit du côté de l'être qui la porte,
que ce soit du côté de l'éducateur !
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L'Enfant
ou l'Adolescent n'est pas là pour créer ou pour vivre : il est là
en vertu de la loi sur l'obligation scolaire, il est là pour apprendre
et mémoriser des connaissances : « Instruisons-nous ! »
comme il est écrit sur le fronton de nos écoles...
« Le
vieux pédagogue, le philosophe obstiné savent peut-être tout cela. Mais
ils objectent : dans la vie, on ne fait jamais ce qu'on veut... Qu'ils
apprennent d'abord à obéir !
« Et
ils ne se rendent pas compte que, ce faisant, ils sont aussi illogiques
que le menuisier qui s'obstinerait à travailler son bois à contre‑fil,
parce que c'est le bois, n'est‑ce pas, qui doit se plier à la volonté
de l'artisan... » (C. FREINET, Les Dits de Mathieu :
Eduquer ou domestiquer).
Hélas !
ils ont déjà trop bien « appris à obéir » nos élèves
de cette rentrée : même sous leurs dehors instables ou frondeurs,
sous leur immobilité bouillonnante dans ses profondeurs où l'école ne
parvient pas... Ils ont trop bien appris à obéir parce que la vie moderne
est aliénante et dure et obsédante dans l'application de ses règles mécaniques
qui contraignent tous les rythmes de vie à sa loi !
Et
les éducateurs attendent en vain, s'évertuent de la voix, grondent, s'énervent
et déjà désespèrent : les textes ne naissent pas, les dessins sont
rabougris et insipides, stéréotypés, les « histoires » sont
impersonnelles, empruntées ou inspirées par les évocations télévisées
largement diffusées : chacun prend conscience, dans sa classe, de
se trouver dans une situation bloquée.
C'est
que le bois est à contre‑fil !
Effectivement,
l'école et sa scolastique ont détruit les ressorts, les élans, coupé les
connexions, paralysé les circuits vitaux de l'expression et de la réaction
saine de tout être en devenir, interdit toute expansion : l'être
se rétrécit, il est diminué.
C'est
à contre‑fil que l'être se construit ; c'est par les circuits
extérieurs de la mémorisation que l'école insuffle ses fumées asphyxiantes.
L'enfant est mis à la diète de la vie, de sa vie. C'est une véritable
sclérose.
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La culture du poignet
Ainsi
l'école ne rétrécit‑elle pas l'apprentissage du dessin par exemple,
à celui de l'exercice du poignet ?
...
Écrire entre les deux petites lignes, dessiner au crayon sur un quart
de page de cahier, n'utiliser le pinceau qu'après une illusoire maîtrise
du crayon, ne colorier qu'après avoir cerné les contours : économie
ridicule et criminelle - quand la vie, elle, exige de dépenser. Progression
dictée par on ne sait quelle règle de droit divin. Et puis, n'est-ce pas ?
tout cela sous-entend que s'exprimer est sans
importance, c'est un jeu inutile - juste de quoi perdre son temps !
L'école
a courbé les dos pour faire franchir la porte étroite des connaissances,
porte verrouillée grâce aux notations obsédantes et aux examens, barrières
suprêmes.
Comment
faire briller le Soleil
Dans
ces conditions, comment retrouver en ce début d'année scolaire « les
réactions vitales qui sont la dignité de l'être » comme le dit C.
FREINET ?
Comment
saisir dans le bon sens, ce bois qui a toujours été manié à contre‑fil ?
Comment
lui rendre sa souplesse, sa «sympathie», son éclat et sa noblesse ?
Après
la diète, la richesse serait aussi traumatisante ! D'ailleurs, croire
possible le saut de l'une à l'autre est illusoire !
C'est
là qu'il faut introduire des « techniques de déblocage », qu'il
faut avoir recours à des « introducteurs ».
Puisque
l'être a été profondément imprégné par des stéréotypes extérieurs et puisqu'il
faut maintenant retrouver la voie royale qui fera vibrer jusqu'à la moelle
interne... il faut refaire le chemin à l'envers.
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Ces
réactions vitales n'ont jamais été tout à fait étranglée : il faut
seulement briser une gangue plus ou moins épaisse, une coquille plus ou
moins imperméable. Il faut à chaque instant faire en sorte que s'éclaire
l'intérieur : car la vérité est en chacun de soi !
Tout
processus d'éducation, en l'état actuel de nos structures, se doit de
passer par ce retournement : il faut commencer par désapprendre !
Avant de faire naître l'envie irrésistible des cimes, il faut oublier
le souvenir des promenades insipides et monotones. Il faut rendre ses
forces au convalescent avant de le lancer à l'assaut des sommets.
Il
faut retrouver une respiration, une amplitude des gestes - oublier le
poignet ! une intensité, une musculation nouvelle qui s'impose pour parvenir
à l'éclatement, à la conscience de son originalité, à la maîtrise de ses
propres forces.
Oh !
restons modestes, simples et réalistes, comme l'exige la méthode
naturelle et, en éducateurs que nous sommes, à même le travail quotidien
de la classe, recherchons les gestes qui feront à nouveau s'ouvrir les
poitrines et se redresser les regards !
Il ne s'agit pas - pas encore -, de cure psychothérapique,
ni bien sûr de psychanalyse à petite ou à longue semaine !
Il
s'agit d'adopter certaines techniques simples. Elles
sont très nombreuses. Nous ne prétendons pas en donner ici une liste exhaustive
et parfaite : car il faut laisser à chacun le soin de retrouver sa
voie libératrice.
Agrandir
un format. Faire un bonhomme. Un bonhomme qui tôt ou tard sera l'image
de soi-même. Alors, au lieu des relents culturels scolastiques, on pourra,
pour désapprendre dans un premier temps, à nouveau se remplir de soi !
La scolastique voulait, elle, et elle l'imposait ! qu'on
se remplisse des autres !
Les
autres ? On en retrouvera brillamment le chemin quand on pourra enfin
se présenter à eux, les mains pleines de nos peintures et vibrantes de
nos chants et de nos danses !
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Le
geste fondamental
Ce
qui importe, dès maintenant, c'est de prendre le départ, c'est de se retrouver
en construction : c'est d'adopter le geste qui construit et qui devient
fondamental.
L'enfant,
l'adolescent lui-même vous y aidera. Comment reconnaître comme à soi,
comme de soi, ce petit gribouillage du poignet, impersonnel et si semblable
à tous les autres ? Agrandi, il est ridicule Au soleil, il ternit !
Aucune signification ! Aucune résonance ! Alors qu'il faut aller
jusqu'au cri peut-être, jusqu'au dépouillement spontané, jusqu'à l'engagement
total qui vous projette dans le dépassement de soi.
Le
geste fondamental, c'est l'acte réussi, c'est celui qui d'emblée s'inscrit,
se fixe dans la répétition automatique de l'acte réflexe qui se transforme
en règle de vie ; il est la norme de comportement de toute vie organique.
Sa recherche, son accomplissement, c'est l'acte naturel qui crée la vie,
comme la démarche de l'être vers la lumière, du spermatozoïde vers l'ovule,
la rencontre du pollen et de l'ovaire ; il est l'acte générateur
emprunt d'une énergie naturelle mais irréversible.
Oui,
le geste fondamental, c'est le geste qui engage, celui qui jamais ne permettra
qu'un être puisse être détourné de sa détermination de vivre, ni coupé
de son humanité.
M.-E. Bertrand
J.-P. Lignon
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