Vue de Sirius, la Provence…
dites-moi où...

à Marie-Rose POGGIO, animatrice du Centre d'Etudes Occitanes, qui, avec sa sérénité, ses danses, son amour vrai était de PROVENCE

Les marées de touristes déferlent sur la Provence, avec l'ampleur des migrations (fallais dire... pardon... des grandes invasions !)

Il y a ceux qui, de derrière la vitre, rivent un oeil furax sur la plaque arrière de l'auto qui les jouxte... il y a ceux qui vont se répandre comme omelette sur les sables parcimonieux des plages et grésillent quart de tour par quart de tour au soleil, sans même savoir s'ils sont à Cassis ou à Béton-sur-Mer... il y a ceux qui sont friands du « tu-tu-pan-pan » d'un folklore à tous crins et qui râlent de ne pas trouver au coin des places, la Mireille de Mistral, la Fanny de Pagnol, ou le Marius-et-Olive, inventés à Paris...

... Il y a ceux qui aiment

et parce qu'ils aiment, quittent les autoroutes, les nationales, les départementales et montent vers les « Regains », les villages où les feux meurent et vers les quartiers des villes où les gosses glissent encore sur les rampes des vieux escaliers. Et parce qu'ils aiment, ils s'enrichissent au parler et au penser, simplement, de l'épicière, de la paysanne, du berger ou du, cordonnier...

Il y a ceux qui, de loin ou de près, face à notre terroir menacé, à notre langue battue en brèche, à nos terres ensoleillées, enfumées sous peu par la sacro-sainte sidérurgie, se posent la question

OÙ EN EST LA PROVENCE ?
OÙ SONT LES PROVENÇAUX ?

Vont-ils trouver la réponse dans ce recueil d'images de nos enfants témoins de leur temps ?

Vont-ils juger qu'il faut rire ou pleurer sur et qui s'en va, sur ceux qui restent ? Condamner, trancher ? prédire ?

Les enfants des Bouches-du-Rhône qui nous ont offert leur collecte venue des villages, des fermes, des villas ou des achelem n'ont pas plus besoin qu'ailleurs de la balance qu'agitent les censeurs de tous poils.

   

Nous coupons cheveux en quatre quand nous discourons sur les créations d'enfants.

Mais les enfants, eux, s'en donnent parfois à coeur joie de les commenter au fil de l'inspiration. Si les dessins de nos petits n'ont pas de légende, c'est que les maîtres ne connaissent pas la sténo, et pourquoi pas ? la sténo-électronique, tant il faudrait retraduire ici un éclat de rire, là une confidence... et si cela vous fait plaisir, imaginez-les avec l'accent !

L'accent ? mais lequel ?

« Vous parlez français, vous ? disait un garçon de bar marseillais, à un gars du Nord qui lui reprochait sa prononciation. Eh bien, nous, à Marseille, y a 2 600 ans qu'on parle cosmopolite ! »

Qu'est-ce qu'il faut faire, alors ?

... Tout simplement, oublier un peu que nous sommes adultes et entrer dans le vif de cette énergie quasi-solaire, de cet élan de vie qui démultiplie les sens de l'enfant à la conquête de son univers.

Dès lors, il sort de lui-même, il frotte ses jeunes antennes au monde qui l'entoure

la mer, la rue, les maisons, la télé, les bateaux...

Quel romancero se déroulerait si les enfants de notre pays, tous, avaient cette liberté de traduire ce que voient leurs yeux, ce qu'explorent leurs mains, à quel rythme bat leur coeur !

A la lumière de leurs témoignages contemporains, alors, on entendrait la drôle de voix qu'a prise la rue pour remplacer les

« Je suis belle, je suis fraîche... » de la poissonnière, alors on verrait les nouveaux dieux prendre la place du forgeron à sa forge, de l'athlète de foire à son tapis... les métiers disparaître, et la parade changer de clinquant.

Mais l'enfant à qui on ne coupe pas la parole, ni le geste, sous prétexte de droit d'aînesse que s'arrogent à son égard tant d'adultes, ne tourne pas toujours son regard vers l'extérieur.

l’éternel féminin…

Dès lors, il rentre en lui-même, pour se chercher, s'affirmer, se retrouver dans les grandes lignes de joie, de rêve, de force, même de peur qui ont tissé les millénaires de l'esprit et du coeur humains,

- l'éternel masculin... et l'éternel féminin, donc

Et c'est ce flux et ce reflux, ce ressac qui constamment bat les rivages de l'existence qui, alors, se fait jour, avec tendresse ou avec violence, avec timidité parfois, mais aussi avec le sourire...

pour peu que nous, adultes, qui prétendons l'éduquer, donnions à l'enfant la possibilité de s'exprimer naturellement, sans contrainte - comme sans exhibitionnisme.

l'univers

LA RUE
Dans mon quartier on entend
« Estrassaïre ! »
« Les bonnes glaces ! à la vanille ! au chocolat !
Venez vous rafraîchir la bouche ! »
« Les beaux loups !
Les rougets, les anguilles !
Les beaux merlans
Les belles raies ! »
« O ! lou pouli pei ! »
« Ma favouille !
Juste elle sort de l'eau ! »
Elle vous dit : « ma belle,
il est frais mon poisson ! »

DANY

Dans leur griffonnage sur un coin de feuille ou dans leurs fresques, les enfants de la Provence où se côtoient et souvent se fondent tant de visages de là et d'ailleurs - comme de tout autre village, de toutes les cités - les enfants posent aux adultes la seule grande question de cette fin de siècle

VIVRE OU SURVIVRE

SURVIVRE, avec une part de plus en plus réduite d'air et d'eau vive, avec une uniformité moutonnière imposée par les gadgets, la publicité - et les préfabriqués, les prédigérés, les précontraints - et les contraintes déversées d'on sait bien quels sommets du lucre et du pouvoir - avec une discrimination de plus en plus grande entre ceux qui ont permission et ceux qui n'ont pas droit ;

ou VIVRE, avec les appétits et les jeux, la force de création et les rêves de l'homme en accord avec les grands rythmes cosmiques des saisons du ciel et des saisons humaines faites de joie et d'amour, de peines, de luttes et de dépassements mais VIVRE, à plein épanouissement et VIVRE LIBRE.

Mais pour que l'homme décide lui-même de son choix, qu'il en prenne conscience dans la force et le désir de se réaliser, parfois en s'opposant, une condition est indispensable, c'est qu'il s'exprime et dès sa naissance dans le langage qui lui est propre

geste ou voix

danse et peinture

poème d'exister et de créer.

Quelle « part du maître » exaltante est encore à prendre, pour donner au plus grand nombre ce « recours » qui aidera l'enfant, puis l'adulte, à se situer dans un juste équilibre entre une évolution galopante qui risque de l'écraser et un éternel humain où il retrouvera ses racines

Quelle « part du maître » mais aussi quelle part des adultes qui l'entourent – penseurs ? travailleurs ? rêveurs ? - pour que l'enfant se familiarise avec « les éléments de son époque » !

le milieu…

Est-il suffisant qu'on le transporte en auto - c'est-à-dire en milieu fermé, de cohues en embouteillages ? Suffisant, qu'il passe ses jours sans école à dilapider sa force sur les barrières sans recours, autour des gazons des « blocs » ? Suffisant qu'on l'envoie à l'hypermarché acheter son berlingot de lait ou son fromage-portion ?

« Le beau fenouil, les beaux limaçons

A l'aïgo sau ! »

Mais aussi : Baou ! Baou !

Bataille de chiens. Miaou ! Miaou !

Vivent les petits chats

   

Avec quoi voulez-vous qu'il construise son monde, s'il n'a pas droit au marché - au vrai - où l'on parle, où l'on marchande, où l'on crie, où l'on se fait eng... dans l'odeur du basilic, de l'ail ou de la marée fraîche ?

S'il n'a pas droit, à ras de terre, à observer le lombric ou la « cacarinette » - mais aussi, s'il ne sait de la Ville, que les tours uniformes de sa banlieue ?

N'y a-t-il rien dans le monde des adultes qu'il puisse côtoyer, comprendre, aimer ?

l'anti ségrégation…

 

LA PLACE DES ENFANTS DANS LA SOCIÉTÉ

Qui le demande, trop souvent, qui l'impose de toutes parts ? Surtout « la production pour la consommation » - pardi ! Mais s'il fallait revoir « la place des adultes dans la vie des enfants » ? l'antiségrégation des trois générations pour que se recrée la vraie chaîne de vie ?... Quant à la place de l'école...

On dit que le rôle de l'instituteur est diminué. Ne serait-il pas plutôt à re-créer pour qu'il soit enfin du bon côté de la poêle : au manche de l'outil, - avec l'enfant - au bon côté de la caméra, au rôle de catalyseur des pensées et des actes ? A la pointe, toujours, des contacts avec la nature - des contacts humains aussi, de l'interpénétration, de la connaissance, donc de la sympathie - entre ceux des villes et ceux des campagnes, à la rencontre, autre que dans les livres, des grandes oeuvres humaines ?

C'est alors que les créations de l'enfant seront nourries de sève !

Pour qu'il construise au fil des jours son futur, fait des apports du monde moderne et des racines ancestrales retrouvées, l'enfant doit s'exprimer mais aussi agir, se confronter avec les autres et avec lui-même, dépasser le geste spontané pour accéder au geste librement choisi, dépasser la simple « permissibilité », comme ils disent, les gens savants, pour accéder à la fierté de celui qui sait reconnaître et faire siennes les qualités mêmes de la VIE.

Paulette QUARANTE

On voit les gens qui quêtent
dans des chapeaux ou dans des
mains ridées : il y en a qui
rient sur leur passage.
Mais le soleil se lève aussi pour eux.
Moi, je marche, et je ris,
je marche un peu plus loin
et j'ai le coeur triste.
La rue, c'est un grand bateau qui
me berce.

BRIGITTE PÈCHAUBÈS

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