GENESE

Ce parti-pris de vouloir lier une œuvre à son histoire ou plutôt à sa GENÈSE en voici un exemple dans le cas de L…, 14 ans, dont nous vous présentons la production née de février à mai

Qu'est-ce qu'une expo ? Un moment de vie individuel ou collectif pris dans son histoire individuelle et collective. Les expos précédentes (art enfantin) montraient des créations nées au sein d'une attitude pédagogique et par là, aux yeux du public, ces créations pouvaient permettre à la Pédagogie Freinet de se démarquer des autres attitudes pédagogiques contemporaines qui ne favorisaient pas cette éclosion. Autrement dit, la Pédagogie Freinet se situait face à l'Éducation Nationale.

Le plaisir de voir ou d'entendre une réalisation n'est pas incompatible avec la connaissance de l'histoire de cette réalisation, surtout pour nous éducateurs, qui avons une part si déterminante dans la possibilité ou non d'éclosions de créations dans la classe.

Marie-France BIAGETTI et l'équipe du Congrès

Une étude beaucoup plus détaillée paraîtra dans le bulletin de la Commission de travail de l’ICEM. Nous vous tiendrons au courant.

CE QUE PERMET NOTRE RELATION AVEC L’ENFANT

Dans ce cheminement de quelques peintures, l'important n'est pas, nous semble-t-il, de nous attarder sur l'histoire de L..., 14 ans, enfant de 5° de transition.

L'important n'est pas de savoir qu'il est issu d'un milieu social défavorisé - selon la formule consacrée - que son intelligence est inférieure à la moyenne, qu'il est scolairement en retard, que son comportement n'est pas toujours « normal ».

L'important est que ce cheminement est le reflet d'une relation maître-élève, d'une relation unique, sans cesse recommencée dans le sens où, sans cette relation, rien de ce qui est ne serait. Relation comportant trois pôles immédiats : l'enfant - le maître - le groupe ; et bien d'autres pôles médiats.

En effet, à un moment, le maître a permis, a fourni en abondance la matière, a accueilli, a réagi, a émis un avis, a encouragé, a soutenu, a répondu favorablement au choix d'une activité et l'a ainsi privilégiée par sa réaction.

Et ce maître est présent avec toute « sa culture artistique », son sens « artistique », son sens du beau et du laid, sa sensibilité aux couleurs, sa propre imagination, avec « sa » pédagogie (Freinet bien sûr...), autant de valeurs variables d'individus à individus, qui orientent l'attitude et l'action du maître.

L'enfant, lui, arrive avec tout son passé, fait d'échecs et de réussites, de démarches affectives et logiques conscientes et inconscientes, avec des techniques de vie plus ou moins déterminées et fixées, certaines positives, d'autres négatives - et son besoin d'identification. Mais il arrive surtout avec son flou, sa malléabilité, sa bonne volonté, son espoir de grandir... autant de valeurs variables qui orientent son attitude et son action.

C'est donc cette relation qui est le levier de la démarche créative ici, de l'enfant dans le milieu scolaire. II reste que dans le cadre de cette relation, L...

a choisi ses matériaux, ses thèmes,

a donné libre cours à son imagination,

a décidé seul de sa palette en fonction de ce qui était disponible,

a ordonné les moments pour réaliser à l'intérieur de la grille scolaire.

Quant aux titres (voir p. 17) L... vous répondrait : « parce que j'avais envie... c'est comme ça, ça ne s'explique pas ».

Et si cela peut s'expliquer, ce n'est pas l'important ici.

Ce qui nous a semblé important, c'est de pointer le jeu dialectique constant et toujours présent entre l'enfant et son maître, jeu qui, seul, peut permettre l'éclosion de productions auxquelles on peut donner le nom d'œuvres.

   

Les peintures que vous voyez ici ont été faites de février à mai.

Les premiers dessins de L… étaient géométriques, inexpressifs, d’un rouge agressif (1 à 5)

Le maître a dit : « Tu cherches, L…., il faut que tu continues ».

PREMIÈRE RÉUSSITE : « Regardez – c’est bien – ça vient – L… a trouvé quelque chose » (n°6)

Puis suit une série semblable dans la facture (7 à 10)

DESSINS SUIVANTS : Facture unitaire remarquée. La palette, pour cette série, a changé. Il y a un mélange de gouache et d’encre dans des tons plus vifs : ocre, jaune, bleu turquoise. Les fleurs étoilées réapparaissent, mais traitées de façon différente. (11 à 14)

   
   

DEUXIÈME RÉUSSITE : les bleus (15 à 18). Le dessin le plus aimé du maître, très valorisé : le 16.

Les autres demandent : « Qu’est-ce que ça veut dire ? »

L. donne un titre ainsi qu’aux dessins antérieurs. Les titres sont tristes, car L… vit alors un amour malheureux.

Titres des dessins

1.                              Sans titre
2.                              Sans titre
3.                              Fleur d’hiver
4.                              Fleur amoureuse
5.                              Sans titre
6.                              Sans titre
7.                              Ciel étoilé
8.                              Amour désolé
9.                              Cœur blessé
10.                          Mort du Cygne
11.                          Vent du bonheur
12.                          Nuit d’amour
13.                          Ciel étoilé
14.                          Source de vie
15.                          Avalanche
16.                          Pleurs d’amour
17.                          Main aveugle
18.                          Soleil de nuit

   

LA FIN DU MONDE

La fin du monde est scientifique
Nos enfants seront déformés
Les hommes ne travailleront plus
Nous mangerons des pilules
Et un beau jour il n’y aura plus rien

Le village et le campanile (L… est issu d’une famille italienne, il a vécu sa première enfance en Italie, et y retourne en vacances, chez sa grand-mère).

Au long de ces peintures on lui demande : « Que fais-tu ? Qu’est-ce c’est ? »

L…. répond : « Je fais quelque chose. Attendez. »

Puis il présenta l’ensemble avec ce texte :
« La fin du monde est scientifique
Nos enfants seront déformés
Les hommes ne travailleront plus
Nous mangerons des pilules
Et un beau jour il n’y aura plus rien. »

LES DERNIÈRES PEINTURES : très différentes.

Elles ont été montrées à des artistes qui ont dit : « Ce sont des dessins ouverts, on pourrait continuer au-delà du cadre. »

C’est donc la première phase d’une reconstruction, seulement possible après la totale destruction ;

… Après cette désintégration du monde, sa démarche de fin d’année est abstraite. Il transforme la matière qui demeure disponible et la plie à son imagination.

Ce seront ses quatre dernières peintures.

Henri CASTEL

 

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