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Y-A-T-IL UN ART DES ENFANTS ?
Des composantes de l’expression libre
L’art des enfants ?
Il semble que les productions libres,
qu’elles soient graphiques, picturales, sculpturales… aient de multiples
composantes et qu’il faille aller chercher leurs racines dans la complexité
des réseaux de relations dont les référentiels ne sont rien d’autres que
ceux de la vie
- liés à l’individu lui-même et à tout
son cheminement,
- à celui des groupes humains dans lesquels
il a vécu et vit encore,
- à la relation qui unit l’individu à
l’adulte, là, présent avec lui et dans un compagnonnage intime, elle-même
résultant en partie des diverses relations vécues, symboliques ou imaginaires,
par l’un ou l’autre,
- liés aussi à des composantes géographiques
climatiques, cosmiques, qui ont déterminé, déterminent un milieu de vie
matériel et humain spécifique.
Peut-être est-ce pour cela, et parce que
rien ne ressemble plus à un être humain créateur qu’un autre être humain
créateur, fût-il un enfant, que chaque « région » offre à la
revue « Art Enfantin et Créations », aux expositions de l’Ecole
Moderne, etc., des productions qui semblent être sous-tendues par une
« ambiance commune », comme ces vins rattachés à un terroir
et dont la seule prononciation du nom entraîne des associations incontrôlables
de nos cinq sens.
Mais il est une composante dont nous nous
sommes préoccupés durant l’année 72/73 et dont on ne parle pas souvent.
L’Ecole Moderne
est organisée en groupes départementaux dont les individus vivent, par
la recherche coopérative commune, des relations qui à notre avis ne doivent
pas être sans retentissements sur les productions enfantines des classes
de ces groupes.
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ECRIRE UN TEXTE
Je veux écrire un texte,
un texte sur qui ?
un texte sur quoi ?
Sur la mer ,
J’en ai déjà fait un !
JE VEUX ECRIRE UN TEXTE
QUI SOIT VRAI ;
UN TEXTE SUR LA NATURE,
MAIS JE N’Y
ARRIVE PAS.
Après tout, ce n’est pas moi
Qui dois aller le chercher !
C’est lui qui doit venir
et comme il ne vient pas,
je n’en écrirai pas !
Joséphine, 10 ans
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Mais l’enfant n’a-t-il rien qui lui appartienne ?
Non pas l’enfant avec un grand « E »,
cher aux théoriciens de la pédagogie, mais l’enfant de tous les jours,
celui qui arrive dans la classe sans l’avoir demandé, avec déjà tout un
passé qui compte.
On serait bien tenté, pour expliquer l’existence de classes « créatives »
et de classes « moins créatives », de relier la production
de l’enfant uniquement à des contingences humaines extérieures et en particulier
aux capacités créatives du maître.
Cela règlerait définitivement son compte
à ce débat infini autour de ce dénominatif de trois lettres : l’ART,
plaqué devant certaines productions d’enfants ou d’adolescents.
Les choses sont moins simples, heureusement.
Les rares instants où l’individu est en proie à un dépassement de lui-même,
instants insaisissables et intraduisibles où une synthèse mystérieusement
émouvante s’opère, sont là pour nous redonner du courage quand nous désespérons
et renions les capacités créatrices d’un être qui se construit.
Cela nous a amenés à nous intéresser non
à des explications, mais à ressentire – plus
qu’à rechercher – des processus…
… Ceux des enfants qui, à un certain moment
et ceci dans de multiples domaines, agencent des éléments puisés dans
leur milieu pour en réaliser une synthèse qui n’appartient qu’à eux et
qui colore indélébilement toutes manifestations futures de leur être.
Nous nous sommes
intéressés du même coup aux exigences de ces processus, conditions en
deçà desquelles l’enfant semblait devoir continuer de tourner en rond.
Bien sûr, nous sommes marqués par le fait
que nous cotoyons tous des enfants qui, pour
la plupart, n’ont jamais connu un climat de relations en classe, qui leur
aurait permis de jouir de la liberté de créer.
Mais quand cette petite gitane (1) qui
n’avait jamais tenu de pinceau a étalé sur le papier, pendant son premier
jour de classe, au CP, son « personnage », cela nous a encouragés
davantage à penser que ces processus de tout à l’heure étaient à retrouver
en chacun des enfants, comme des circuits à désengluer, des mécanismes
à dégripper, des vides à recréer qui provoqueront un mouvement qui s’élancera
comme un irrésistible appel vers quelque chose qu’on n’atteindra jamais.
(1)Dessin page ci-contre, en bas à gauche.
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Je trouve
La vie belle,
Parce que
La mort est triste.
Florence, 7 ans
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Quand les tout petits s’éveillent et s’élancent,
il semble que rien ne pourra arrêter leur quête incessante d’un au-delà
toujours plus lointain.
Et pourtant, c’est cette précieuse qualité
qui n’est pas préservée. Si au départ elle ne demande rien d’autre que
d’avoir du champ libre, qu’on lui fournisse des occasions, du matériel,
des éléments toujours plus riches pour qu’elle se renforce et fructifie,
il est des marécages où elle s’embourbe inévitablement, il est des auberges
où l’on remplit des vides gênants, par une nourriture indigeste, souvent
parce que d’autres que l’enfant ont faim et que le nourrir, le combler,
comble un autre vide, imaginaire, si gênant pour la famille et la société.
L’Ecole est
un de ces marécages, l’Ecole est une de ces auberges.
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UNE VOITURE DE CLOWN
Elle est faite d’une haute caisse
D’un moteur … sans moteur
d’un réservoir à cheveux mûrs
d’un fauteuil tronc d’arbre
d’un volant de bicyclette
d’un e échelle en trompette…
… mais il manque le tuyau d’arrosage
Henri, 11 ans 09
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L’expression libre donnée plus tard…
… parfois trop tard, libère des forces
contenues depuis longtemps et qui, quand elles viennent au jour, sont
souvent fort éloignées de cet élan originel (1) qui existait en chacun
des enfants.
Cette force est souvent méconnaissable
et nous aurions tendance à la nier, à la censurer.
Mais dans le treillis complexe des relations
qu’imposent les outils et les activités de la classe Freinet, pour peu
que nous offrions, à temps et en quantité suffisante, de multiples matériaux
en pâture à ces élans désordonnés, la chape des exigences scolaires étant
levée, l’appétit de tout à l’heure peut renaître.
Et il est frappant que quel que soit l’âge
des enfants, quand ils retrouvent ces circuits, ils retournent aux étapes
premières.
Ces découpages et plâtres informes, ces
textes et dessins « fous » que l’on rencontre souvent, se ressemblent,
que ce soit à 6 ans ou à 14 ans, car ils sont les fondations premières,
peu ressemblantes avec l’édifice futur qui s’élèvera ici.
D’eux, l’édifice futur dépend.
C’est dans cette période de redécouverte
des circuits que se situe souvent une retrouvaille capitale, celle de
l’adulte libéré de son statut – ce personnage qui lui offrent « les
autres », à travers les « élèves » - avec l’enfant libéré
lui aussi.
Un être humain, avec ses « valeurs »,
ses qualités, ses défauts rencontre un autre être humain.
Ils peuvent parler ensemble, se comprendre
sans se parler ; l’un peut, s’il le veut, s’appuyer sur l’autre,
parce qu’il est plus solide.
Cette relation-là est capitale, indispensable.
C’est celle que l’Ecole rend souvent impossible.
Une autre retrouvaille est non moins capitale.
C’est la rencontre avec les autres, animaux humains eux aussi, mais avec
qui on peut échanger, voire communiquer.
Cette expression libre, qui a trouvé prise
dans la classe, amène au fil des jours des « réussites », qui
trouvent leurs appuis, en général sur « ces autres » :
- pendant les moments où chacun « porte »,
« montre » ce qu’il a « fait », moments qui sont riches
d’aide et de relations ;
- grâce aux « artistes » qui
entrent dans la classe par l’intermédiaire des documents ;
- … etc.
Ce n’est que plus tard, parfois, que l’on
aperçoit le « point zéro » d’où un enfant est parti pour arriver
à la facture de ses réalisations actuelles.
(1) « originel » : d’autres,
qui ne sont pas des pédagogues, parlent de Désir.
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Cette expression libre va créer des « brèches »…
… dont Freinet nous a habitués à suivre
les déroulements futurs.
Quand Marion s’est engouffrée dans la
réalisation de ses « robots » (p. 22 et 23), il y avait un bon
moment déjà que, sans que personne ne le sache (pas même elle), elle cherchait.
Et c’est parce que cette expression libre
puise ses sources au plus profond de l’être qu’à travers elle passe tout
un flux qui engendre le nouveau, l’au-delà et découvre ainsi des « perspectives
dynamiques ».
Ces statuettes de plâtre (ci-dessus) sont
« nées » en décembre. Les naissances étaient au nœud des préoccupations
et celle attendue par la maîtresse n’y était pas étrangère.
Les pré-adolescents
avaient des questions à poser qui, pour diverses raisons, ne pouvaient
pas passer par le canal de la parole.
L’excitation, l’agressivité traduisaient
une inquiétude difficile à verbaliser (voir notre page 18).
Par la scie qui a découpé, par le couteau
qui a gratté, taillé dans le bloc, raclé le plâtre, quelque chose est
passé et ces statuettes qui décorèrent la classe ont engendré d’autres
recherches, dans d’autres domaines, en même temps que l’agressivité disparaissait.
Les carnets de croquis, les craies d’art, en ont bénéficié.
Mais il faut parfois attendre longtemps
(un an, deux ans, signaient certains maîtres qui gardent les enfants plusieurs
années) avant que l’enfant ait « trouvé » ou « re-trouvé »
ses voies.
… quelque soit l’âge des enfants, quand
ils retrouvent ces circuits, ils retournent aux étapes premières.
Quand Marion s’est engouffrée dans la
réalisation de ses robots…
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Une permanence retrouvée
Dès lors, les moments d’exaltation, de
dépassement de soi, seront toujours aussi fugaces, mais il y aura des
périodes de calme, de retour en arrière, d’apparente stagnation, une PERMANENCE
RETROUVEE, qui fera de l’enfant perdu, c’est-à-dire sans aucun repère
de soi et des autres, un enfant en recherche
Il sera plus ouvert aux autres, leur offrira
une part authentique de lui-même et s’affrontera avec la réalité humaine
et matérielle, avec une attitude faite d’humilité et de courage
Il se trempera et se renforcera au bain
de ses expériences.
Cette « permanence » se retrouve
alors dans toutes ses créations, elle affirme et signifie son créateur.
Un rien décidera de la voie qu’il choisira
définitivement mais ce sera une voie tournée vers l’avenir, qui défera
les liens, les attaches qui lui avaient permis de ne pas couler.
L’envol… la séparation… l’autonomie de
l’enfant, l’épreuve difficile pour « l’ éducateur ».
ONONIS
Strié d’aphyllante
bleu,
Parfumé d’hélianthème blanc,
Ononis et aphyllante,
C’est toi et moi,
Un couple.
Hélianthèmes,
C’est eux, les autres.
« Il faut me protéger ».
Implore Ononis.
« Moi, dit tendrement Aphyllante,
Je te défendrai ».
Tous
QUAND DE TELS ENFANTS CREENT, UNE EMOTION
ENVAHIT CELUI QUI REGARDE.
UNE RELATION S’ETABLIT D’EMBLEE AU VU DE LA CREATION.
PEUT-ON, A CE MOMENT-LA,
PARLER DE L’ART DES ENFANTS ?
J’ai fait du français.
TU AS FAIT DE LA GRAMMAIRE.
IL A FAIT DE LA CONJUGAISON.
ET SI ELLE AVAIT FAIT DE LA POESIE ?
SOLEIL,
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Je ne peux pas supporter
le sang
qui coule dans ma bouche
Je ne peux pas supporter
les éclats
incrustés dans ma chair
Je ne peux pas supporter
les balles
qui ont transpercé mon cœur
Je ne peux pas supporter
la douleur
de ma main déchiquetée
Je ne peux plus résister
aux blessures
et aux souffrances
et bientôt
Je mourrai
abandonné |
Tes rayons se sont fanés
Au passé composé
Et tu t’es caché
Au passé composé
Et le vent et la Pluie
t’ont remplacé…
Au présent
MARYSE
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