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QUELQUES RÉFLEXIONS D’UNE-QUI-A-VÉCU-LA-CRÉATION DE LA REVUE ART ENFANTIN IL Y A QUINZE ANS :

Paulette QUARANTE

Depuis 15 ans ce qui me frappe,

- C'est que dans certaines écoles, les enfants ont la possibilité d'une interpénétration avec les courants contemporains - monde du théâtre, de la danse, des peintres, etc., etc. - ce qui donne une envolée certaine et une sorte de prescience des thèmes, des gammes d'expression, soit théâtre, soit peinture... qui parfois choque, heurte, mais charme le plus souvent, et donne le branle aux autres écoles, celles qui n'ont pas eu « le contact ».

- Le deuxième changement, me semble-t-il, c'est que se dissocie la création des enfants d'avec le monde des objets et des personnes, de l'environnement des travailleurs (je veux dire le monde du travail).

Je pense à mes anciens dessins de La Cabucelle - 1946-1959 - où les gosses transposaient leur vision du monde extérieur : le mendiant, la rue, le marchand de ceci ou de cela...

- Maintenant, ils me semblent davantage tournés vers eux-mêmes, vers les sentiments qui les agitent, ou les grandes idées (ou, peut-être seulement, les thèmes) qui agitent le monde : voir les titres qu'ils donnent à leurs créations, ou les Gerbes de textes des Adolescents. Parfois cela donne une dimension nouvelle aux créations, parfois cela fait un peu « perdre les pédales » et tourne à la gratuité, au facile.

Cela dépend de la richesse psychologique dans laquelle évolue l'enfant.

En ce qui concerne 1a revue

Il y avait, me semble-t-il, un appétit, un enthousiasme des maîtres à qui les créations enfantines ouvraient un monde soit insoupçonné, soit que l'on croyait interdit pour soi-même.

Il y avait le désir peut-être naïf, parfois généreux, parfois fait seulement d'autosatisfaction, de montrer «au monde extérieur » la « puissance de beauté » issue de l'enfance libérée à travers la pédagogie Freinet (une telle pédagogie qui pouvait ouvrir de telles vannes n'était-ellle pas capable d'en ouvrir d'autres capable d'accomplir en l'enfant ce qu'il y aurait de plus humain dans l'homme ?).

Il y avait pour beaucoup d'entre nous seulement la « réflexion première » de cette créativité vue à travers l'incroyable pauvreté matérielle des classes, leur surcharge (40 à 50 et plus ?), leur obligation démentielle de travail.

Cela n’est plus de mise : il y a « du dessin dans l'air », à toutes les sauces, pour le commerce, la publicité, la para-pédagogie et la psychologie galopante. Alors il est nécessaire d'apporter une réflexion au 2° degré », mais pour se le permettre, il faut du recul, il faut que les esprits se frottent les uns aux autres (aux festivals? aux Congres? À la faculté?), ou aux autres adultes préoccupés de création pour eux-mêmes. Gare au simple instituteur s'il parle seulement de « l'art des enfants juste à travers sa classe» Cela n'est plus guère de mise. C'est peut-être bien ainsi.

Pourtant, le chemin de 1a création me paraît être toujours le même dans une classe :

* la perméabilité du maître à tout  l’univers des enfants;

* ses essais, son tâtonnement dans le climat qu'il instaure, et l'accueil fait aux premières créations ;

* ses découvertes concernant la part du maître (dire ? ne pas dire ? faire ? ne pas  faire ? approuver ? encourager ? montrer ?...)

* son cheminement dans son action envers les autres : montrer ? garder pour soi? commenter? exposer? livrer au public... ?

* Cela pour beaucoup paraît plus important que la création elle-même : cette conception qui exclut à peu près complètement la coopération. Dans mon école (cinq classes), des choses belles, intéressantes, profondes, naissent : pas moyen de décider les cinq maîtres à donner, à exposer, à relater, à participer aux commissions de travail !

Il me faut mendier, faucher quelque chose pour l'ICEM (« Le gosse a créé : ça suffit »). Ce doit être pareil ailleurs, les circuits de dessins n'existent plus et que les Congrès se vident d’œuvres)

Autre point : même sans « écoles artistes » il me semblait qu'avec l'explosion de « créativité » dans tous les coins, courrait assister au recul, non pas de la laideur, car après tout «es bèu de qu'es lai... » (c'est beau de ce que c'est laid, disait-on chez moi), mais de la médiocrité, de la nullité, mais non ! La proportion de classes où naissent des poèmes, des dessins, des « créations », est aussi faible qu'avant.

Quand on longe un couloir d’une grande école quinze classes et plus- on ne voit que :

- la carte postale qui est reine,

- la reproduction,

- le « découvrir la France » ou la copie du dernier Pif !

Alors? Je l'ai tant écrit que je m'en suis lassée. Ce n'est pas dans la Commission A.E. seulement qu'il faut lutter, c'est dans «l'ouverture des esprits».

Refaire d'abord d'eux des êtres humains qui ont appétit, qui ont envie

- d'argile et de sculpture

- de couleurs et de lignes

- de mouvements et de gestes

en tout d'une vision du monde, hors des sentiers battus ! Sans cela il n'y aura toujours que des petits bouts de chemins éclairés, que des revues (y compris Art Enfantin et Création) qui ne sortent pas des cénacles.

Cela m'a emmenée dans mon école à amplifier les ateliers parents-enfants pour qu'au moins dans le milieu où l'enfant évolue, il trouve plus de compréhension, et qu'au moins on trouve normal son besoin de création.

La quinzaine de mamans qui y participent ont appris :

- à respecter les créations des enfants,

- à mieux concevoir la «part de l'adulte »,

- à respecter l'intégration de la créativité dans le contexte « scolaire ».

Un autre degré devrait être franchi :

* celui de la discussion autour des créations d'enfants et de revues (je prête souvent des Gerbes). Je tâcherai de remettre cela au programme des réunions parents-maîtres,

*  un autre pas : leurs propres créations au sein de l'école (si les parents le désirent),

* un autre encore : la sensibilisation des autres parents et de ce quartier de banlieue sans âme.

Quant à « l'équipe pédagogique », je suis prête à abandonner ; je pense que chacun doit avec ses élèves trouver sa propre expression « de classe ». Personnellement, n'ayant les enfants qu'à certains moments (en « soutien »), j'ai trouvé une autre forme de collaboration :

* avec des stagiaires bénévoles - étudiants des Beaux-Arts (section arts graphiques),

* et une fille OK qui prépare l'animation des musées pour enfants et qui a « des idées » ; nous nous rencontrons dans notre souci commun de l'extension « de l'art », de la place qu'on devrait lui donner dans le milieu social. On verra !

Car cela sera jusqu'au bout, mon espoir ou ma déception : car enfin, où, et comment, les retrouvons-nous ces générations qui s'accordent à dire que, quand ils étaient petits, ils faisaient chez nous « de belles choses » ?

Si notre lutte ne se situe pas sur ce plan d'un avenir, n'est-elle pas trop étriquée ?

Ne manque-t-elle pas son but ?

P. QUARANTE Les Fabrettes. Juillet 1974

RÉFLEXIONS A PROPOS DE L'EXISTENCE DE LA REVUE ART ENFANTIN & CRÉATIONS

Existence

I1 y a deux choses bien séparées.

Prouver, défendre, exposer l'Art des enfants et des adolescents.

Permettre aux enfants et aux ados d'accéder à d'autres langages, à d'autres possibilités de réalisations que l'oral, le scolaire et autres...

Être éducateur, être utile à se rendre inutile.

La première ne me touche que de loin. Je ne nie pas son utilité, voire sa nécessité, et je m'en explique plus loin.

Dans l'aventure quotidienne, ce qui compte, c'est de prouver, de clamer haut et fort, comment les enfants, avec des pinceaux, de la gouache, de la liberté de ne pas écrire, donc d'écrire, de la terre, du carton, des ciseaux, du fil de fer, des planches, et autres farfeluteries, arrivent à trouver des voies de salut, hors la morne acclimatation, l'abêtissement, la conformation à la norme.

L'Art des Enfants et des Adolescents, celui dont on peut parler sans avoir de critères, c'est celui qu'ils ont de se sortir grandis de l'aventure éducative, avec ces farfeluteries.

Notre art, à nous, c'est d'abord de montrer, de faire savoir que le calcul et le français deviennent de bien piètres difficultés pour quelqu'un qui a trouvé des assises dans de multiples voies de créations et d'expressions. De montrer d'ailleurs par le même coup, que ce qui compte, ce sont les appuis, les repères que prennent les enfants, quand ils peuvent projeter leur affection sur les choses, les concepts et les réalisations auxquels ils s'accrochent. Donc de montrer que calcul et français peuvent sans le savoir, être objets de créations, tout au moins de recherches.

Mais je m'aperçois que je parle d'aventure, avec un adjectif qui normalement est à couteaux tirés avec ce nom : pédagogique.

Il est évident que si un être qui grandit, c'est-à-dire devient grand, connaît une aventure, des aventures, ce n'est pas sur les bancs de la « gentille-école-publique-pour-son-bien », avec le « tituteur » ou la « titutrice » de service,..

L'ébéniste montre les meubles qu'il a façonnés, et à les regarder, lui et les autres peuvent juger dé l'efficience de son travail.

L'écrivain, tel un arbre, pousse quelques feuilles, et à lire ses pages, lui et les autres peuvent estimer la richesse de son vécu et de sa sensibilité.

Le bricoleur peut à loisir laisser découvrir à ses visiteurs l'astuce de ses aménagements.

Les maîtres d’école, comme leur nom ne l’indique pas, ne sont pas maîtres de grand-chose. Ne voilà-t-il pas que certains voudraient au-moins être maîtres de leur classe ?!!

Difficile et ingrate tâche que celle de maître d’école, qui  plus est s’il se veut synonyme d’éducateur.

Travailler à être inutile.

Travailler pour que sa matière première, le premier souffle venu, puisse se passer de lui, et s’envoler des propres ailes que lui confère son état d’enfance.

Et de rester là, seul, le plus important du travail accompli s’étant envolé …

Les seules choses qu’il lui reste, des dessins, des textes, des peintures et autres, étant à l’œuvre finale ce que les copeaux sont à la planche de l’ébéniste : le plus important dans mille vies absentes, disséminé.

Alors, il ne reste plus, pour témoigner du travail fait, que des copeaux !

Mais n’est-il pas vrai qu’on reconnaît l’ébéniste à ses copeaux ?

De leur aspect, de leur épaisseur, de leur odeur, on peut dédire de quels chemins d’aventures, d’espérances, de confiance ou de désespoirs, ils sont tombés. De leur aspect même, on peut déduire leur fonction.

Il faut bien compter avec eux, pour essayer d’améliorer les pratiques, pour estimer l’efficacité de l’œuvre accomplie. Car cette œuvre, en elle-même, est incommunicable, puisqu’elle se déploie, d’aventure en aventure, jusqu’à une séparation, un envol.

Plus nette est la séparation, plus majestueux est l’envol, plus l’œuvre est réussie.

Se satisfaire de l’absence, voilà le sort dévolu à l’éducateur.

Alors les seules présences, tombées en cours de routes, soigneusement balayées et ramassées par l’éducateur il se doit de les montrer à ses compagnons, car d’elles dépendent l’amélioration et la généralisation du travail (j’allais dire du métier) bien fait.

Que cette matière première d’où viennent ces copeaux soient des enfants, est une raison de plus pour que les restes de l’aventure soient montrés. Qui plus est, quand on prend le parti de croire qu’un enfant est capable d’autre chose que de se laisser raboter !

Des plumes d’un combat, d’une recherche, d’une aventure, n’est-ce pas ce qui, somme toute, a fait la culture, ce que d’aucuns appellent « héritage culturel » ? Ce ne sont que des restes, qui nous propulsent vers d’autres recherches, d’autres aventures.

Les dessins, les peintures, les textes, et autres échos, outre qu’ils témoignent, propulsent.

Propulsent enfants et éducateurs, qui se reconnaîtront à leurs copeaux …

Il ne saurait donc y avoir d’aventure, en éducation, que s’il y a, chez les intéressés (adultes et « élèves »), naissance, rencontre, re-naissance, et si possible permanentes.

Que ces rencontres, naissances, et re-naissances laissent des traces, comme ces cœurs gravés sur les arbres, dans d’autres aventures, ne nous empêche pas de trouver que ces traces ont quelque chose de bien particulier qui pourrait bien avoir quelque rapport avec le mot Art.

A quelqu’un pas trop emmitouflé dans sa prétendue culture artistique ou autre, quelqu’un qui n’a pas totalement perdu sa faculté de sentir les choses et les êtres, cela paraît on ne peut plus normal.

De quoi les œuvres dites d’art sont-elles les témoignages, si ce ne sont de rencontres, de naissances, de re-naissances ?

Évolution

Je disais, tout à l’heure, que la revue n’était faite, en définitive que de copeaux. Je me méfie de la tendance à faire de ces copeaux un enjeu de pari.

Ces copeaux, s’ils nous enseignent sur le travail fait, nous enseignent aussi la vraie nature de la matière première.

Mais attention !

On ne connaît que peu, encore, cette matière. Il existe tant de variétés de planches !

Veillons au-moins à ce que notre enthousiasme spontané lorsqu’un enfant se met en marche, ne nous fasse pas croire que les seuls copeaux présentés constituent à eux seuls la planche.

Si des copeaux témoignent de l’innocence des enfants, d’autres témoignent de leur capacité (leur besoin ?) de détruire, de vaincre, de s’opposer. De l’aventure éducative, s’il ne reste à la mémoire que les bons souvenirs, il reste, par terre, les vestiges de toutes les composantes de la matière première. Il nous faut accepter et montrer, quand les choses changent, évoluent.

Les copeaux peuvent signifier le travail du maître d’école : et c’est pour cela qu’il doit les conserver ; mais ils signifient aussi la vraie nature de la planche ; et c’est pour cela qu’il doit les monter, tous ; et nous devons les recevoir tels quels.

A ce titre, j’applaudis, très fort, à l’idée que les enfants et les adolescents s’expriment directement dans la revue.

Il faut y parvenir !

Rôle

Il semble donc que le rôle de cette revue découle du fait même de son existence.

Et pourtant, il en est des « œuvres » d’enfants comme d’une pierre dans un trou noir. Nul ne sait où ça pourra retomber. Il faut se fier aux échos et s’en contenter.

Quand la revue arrive en classe, on ne sait pas très bien combien d’enfants au juste la regardent ; de regards dont on ne sait s’ils sont admiration, quête, ou amusement. Probablement le tout à la fois … Le fait est que bien des feuilles colorées ou non de la revue, sont à l’origine de certains « démarrages » d’enfants, à l’origine de mises en marche de mécanismes qui, de découvertes en découvertes, retourneront un jour, peut-être, dans la revue.

A l’orée d’enfants qui ne « silencent » ou ne s’y lancent plus de la même façon.

«  … J’ai écrit ce texte pour que d’autres enfants aient un jour envie d’en faire de pareils … »

écrit Élizabeth (12 ans)

«  … et j’aimerais en lire beaucoup d’autres, avec le nom de ceux qui les ont écrit. »

Ce texte ? le voici :

« Nous sommes enfantins

nous sommes autrement que les autres hommes,

nous mangeons pas,

nous parlons pas,

nous sommes sourds des oreilles,

mais cela nous empêche pas de travailler

pour gagner notre pain et notre vie. »

De la belle chose qui donne envie d’en faire autant, à la parole de l’enfant qui se construit et apprend à se passer des grands, jusqu’à l’approche de la réalité, de la vision enfantine et adolescente, la revue a un rôle à jouer. Mais en plus des enfants et des adolescents, il y a deux personnages qui peuvent parler dans A.E et Créations.

·           Celui qui montre simplement les restes d’une aventure, et celui-là aura tendance à ne pas les trier, ces restes, et à leur accorder à tous la même valeur.

·           Celui qui, mordicus, persiste à prélever parmi ces restes ceux qui montrent bien qu’entre création et « apprentissages » il n’y a aucun lien possible, si ce n’est que la création est en elle-même UN apprentissage, bien plus profond et plus solide que les autres, les « apprentissages ».

Celui-là aura tendance à les trier, ces restes, et à prendre ceux qui donnent le même « remuement », le même « dérangement », qu’un olivier de Van Gogh ou un gitan de Lorca, en dépit de l’âge qui institue enfants et adultes.

Celui-là tiendra à dire que l’être qui se construit, taille dans le bloc de ses difficultés, des éclats qui peuvent être aussi beaux à l’époque du babil qu’à celle de la méditation retraitée ; et ce depuis Lascaux, et même bien avant !

Les deux doivent avoir leur place, c’est absolument deux démarches complémentaires et indispensables car elles témoignent de l’impérieuse nécessité de permettre l’aventure, l’inattendu, le rencontre, pour que s’insère dans cet inattendu le surgissement de l’être que nous devrions avoir pour tâche de laisser passer, et non de faire passer.

…. Passons, quand sort le prochain numéro d’Art enfantin et Créations ?

De quoi sera-t-il fait ?

Il y a tant de copeaux d’aventures !

De belles aventures

René LAFFITTE

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