Ca n’arrive qu’aux autres

COMMENT NOUS AVONS TRAVAILLE POUR ECRIRE CETTE GERBE… par le CET Jean-Bart à Grenoble

CONDITIONS GENERALES
Une classe de 35 élèves préparant un CAP d’aide-comptable en trois ans au CET. Il s’agit d’une classe de 2ème année.
La classe est dédoublée une heure par semaine. L’heure durant laquelle nous avons le plus souvent fait des jeux dramatiques.
Le lieu : une classe tout aussi impersonnelle et incommode que les autres avec comme seuls accessoires le mobilier scolaire et la contrainte de laisser chaises et tables « rangées ».
Des problèmes de voisinage en début d’année, les  collègues grincheux ont émigré, les collègues intéressés demandent à la fin de l’heure ce que signifiait tel ou tel bruit entendu au travers de la cloison et mal identifié.

LES ACTIVITES
En début d’année, du travail au magnétophone : enregistrement, montage d’interview.
Par la suite des exercices de déblocage centrés souvent sur l’expression orale (cf. Dossier de l’Educateur : Incitation à l’expression au second degré n° 76). Puis, progressivement, nous avons essayé, lentement, prudemment, d’introduire des exercices qui, s’appuyant sur l’expression orale finissaient par nous obliger à utiliser le geste, en plus.
Il y a eu alors toute une série de sketches plus ou moins drôles, plus ou moins originaux. Le point de départ était (bien que ce ne fût pas posé en principe) une situation concrète (le bal, le marchand de chaussures, le jeune ménage au bureau HLM…).
Il est rapidement apparu que le groupe que nous formions avait des difficultés à dramatiser ces choses simples. Le poids de la réalité ou plutôt de la routine nous écrasait totalement. Nous reprenions les rails sans pouvoir nous en dégager.
Nous avons alors décidé que nous fixerions le cadre « géographique » du jeu dramatique, puis qu’un événement imprévu pour la plupart se produirait. Celui d’entre nous qui le souhaite, provoque cet événement, les autres participants se déterminent alors. Advienne que pourra. Ainsi, un jour, nous avons décidé que nous étions Place Grenette (une place réservée aux piétons, très animée, du centre ville de Grenoble). Il y avait des promeneurs, des consommateurs aux terrasses des cafés, des gens chargés d’emplettes, seuls, en groupes… Soudain Bernadette s’écroulait dans la foule, évanouie semblait-il, plutôt, me semblait-il. Chacun apportait sa réponse du secouriste en quête de B.A. à l’indifférence affectée.

CA N’ARRIVE QU’AUX AUTRES
Nous en étions là de nos jeux dramatiques ou de nos travaux dramatiques. C’est alors que Paloma avec une singulière détermination nous a dit : « Avec Dominique on a une idée… on va faire quelque chose ». Dominique, reste sur place, Paloma se dirige, souriante, détendue vers la porte. Je fais préciser la règle du jeu. Elle est inchangée ; qui le souhaite, intervient de la façon qu’il souhaite. Paloma sort. Frappe aussitôt. Entre, visage bouleversé, elle est devenue Sylvie. Une Sylvie que personne ne conçoit, que nous regardons avec stupeur, presque avec angoisse. Dominique avec toute sa douceur est devenue une mère douce, si douce, trop douce, cela aussi apparaît à l’évidence.
La tension est vive. Il ne se passe rien. Il ne se dit rien, mais sous les banalités échangées chacun voit un drame, peut-être chacun le sien. C’est alors que la sonnette retentit… bien sûr.
La semaine suivante, il est décidé de poursuivre. L’improvisation continue donc. Il apparaît de plus en plus clairement que quelque chose de très important se passe entre nos personnages. Cette mère qui se veut si aidante et cette fille qui sollicite le secours, mais aussi entre nous. Des personnages moins importants apparaissent. C’est alors Que la sonnette retentit… bien sûr. Et nous ne savons pas beaucoup plus de chose que la fois précédente, si ce n’est que de « jeu » nous semble aller loin et qu’il faut le mener à son terme.
La semaine suivante, résumé de ce qui a été joué et noté la fois précédente et suite ; quant à la fin elle nous laisse insatisfaits. Nous laissons ce problème en suspens.
Par la suite nous procédons à une analyse assez sommaire de ce qui a été joué. Les grands moments sont notés au tableau, nous discutons de l’opportunité, de telle ou telle scène, de tel ou tel personnage.
Le scénario sommaire qui figure au tableau est alors découpé en scènes, des groupes de deux élèves prennent en charge chacune de ces scènes. Nous nous mettons d’accord sur le schéma suivant : le lieu, les personnages, l’action résumée en quelques lignes.
L’ensemble reconstitue un synopsis. Nous n’avons rien perdu et nous avons de ce que nous avons déjà fait une trace exigeante qui va nous pousser à poursuivre.
Partant de ce synopsis, l’ensemble est rejoué et enregistré au magnétophone cette fois, scène à scène, après que l’on ait rappelé pour chaque scène : personnages, lieu, action.
La bande magnétique a ensuite été décryptée, fidèlement transcrite avec ses imperfections, ses lapsus, ses hésitations, sa vie tant que faire se peut. C’était un travail long et fastidieux qui a été laissé au professeur. Ce texte parlé, brut, a été polycopié. Durant chacune des séances suivantes, de petits groupes, pendant la moitié du temps environ , corrigeaient, amélioraient le texte, la second partie de la séance étant consacrée à la mis en commun et à un effort d’harmonisation.
Un comité très restreint a alors repris le texte amendé et l’a survolé dans son ensemble pour éviter les incohérences, des contradictions, etc., rançon inévitable d’un travail fait par des groupes différents.
C’est ce texte qui est publié.
Pour nous il n’est pas un aboutissement, mais une étape. Le but étant de jouer ce que nous avons écrit, pratique du jeu remettant en cause le texte et inversement.
Ce travail nous a occupés plus d’un trimestre ; malgré les contraintes d’horaires, de lieu, il a été poursuivi. C’est assez dire que nous étions tous profondément accrochés par ce que nous faisions. Nous y avons bvu la vie, la nôtre, chaude, angoissante, heureuse, fraternelle.
Il est fréquent d’opposer nos CET à « la vie active ». Il est pourtant des occasions où les lieux que nous fréquentons, nos adolescents et nous, ne sont pas, à ce point voués à la mort et à l’inactivité : la preuve.

Michel MELLAN

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