FESTIVAL DE L’ENFANT De Lons-le-Saunier Juin 1975 |
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« Ce n'est pas le jeu qui est naturel à l'enfant, c'est le travail ! »
Nous avions tout de suite annoncé la couleur en rappelant à nos partenaires cette parole de Freinet : « Ce n'est pas le jeu qui est naturel à l'enfant, c'est le travail ». Cette affirmation n'avait pas toujours été accueillie avec enthousiasme. Certains hochaient la tête : « Si les gosses aperçoivent leurs instituteurs, ils vont foutre le camp illico ». Mais cependant, on nous fit confiance. Tous les espaces du théâtre avaient été aménagés en ateliers de travaux libres. Les vues qui illustrent ces pages vous en diront plus que des mots, cependant, citons les divers ateliers. Le G.J.E.M avait pris en charge les ateliers suivants : peinture sur papier, sur tissu, peinture au doigt, monotypes, alu gravé, diapos dessinées et projetées, broderie sur tapis, confection de marionnettes et essai d'animation en collaboration avec le T.P.J., travaux avec perles, fabrication de fleurs, constructions à partir de « déchets » des tourneries du haut-Jura (1), initiation à l'imprimerie, confection de cerfs-volants et enfin atelier expérimental d'expression libre. Nos amis assurèrent l'animation des ateliers suivants : fabrication de montgolfières, tissage, musique libre, grimage, danse, déguisement, canoë kayak, spéléologie et escalade.
Bien vite, les organisateurs et les « observateurs » s'aperçurent que Freinet avait raison, que les enfants totalement libres de leurs choix, libres de rester à un atelier tout 1e temps qu'ils voulaient, libres de papillonner, libres de ne rien faire, apportaient un véritable acharnement à leur travail, à tel point que la salle de cinéma permanent était pratiquement désertée, à tel point qu'il fallut prendre une mesure autoritaire (la seule durant tout le festival) : fermer les ateliers pour éviter que la troupe de marionnettistes jouât devant une salle vide. Tout le long de ce week-end l'ambiance fut chaleureuse, animée. C'était la fête, la fête par le travail. Les enfants interrogés disaient être tout surpris de l'accueil bienveillant des adultes-animateurs : « Ici, me confiait une fillette, tout le monde nous parle gentiment et nous répond sans brusquerie »
On nous avait dit :
« Vous allez vous casser la gueule, ça va être le bordel... Les gosses lâchés, débridés vont tout casser... », etc.
Les enfants « débridés ont senti qu'ils pénétraient dans un autre monde. Tout ce qu'ils ont entrepris, ils l'ont mené à bien avec sérieux et application. Ils avaient une véritable boulimie de travail libre.
Les adultes qui passaient devant le théâtre et jetaient un coup d'oeil à l'intérieur, étaient comme sidérés. La plupart ne comprenaient pas ce qui se passait. Ces enfants, qu'ils avaient l'habitude de voir défiler en colonnes deux par deux, qu'ils voyaient assis en rangs d'oignons, passifs, les voilà qu'ils allaient et venaient sans désordre, sans criailleries, sans disputes, sans tumultes, un peu comme des fourmis dont on ne peut comprendre l'activité créatrice que par une minutieuse observation.
A l'heure du bilan
Quand la fête fut finie, que les lampions furent éteints, à l'heure du bilan, on nous a fait d'amers reproches. Certes, personne n'a pu mettre en doute la qualité organisationnelle, pédagogique, relationnelle et pour tout dire éducative du festival, bien au contraire, mais c'est justement à partir de cette qualité que l'on nous a attaqués.
« Les enfants, nous a-t-on dit, ont vécu deux jours dans un monde idéal mais demain, mais après-demain, mais les jours suivants ? Ils vont retrouver l'ambiance morose, les contraintes, les tâches stériles et sans joie, la pression des adultes, de la vie de tous les jours... et finalement, après avoir vécu votre éphémère paradis, ils n'en seront que plus déçus. »
Eh bien ! nous acceptons ce reproche, simplement, mais sans humilité.
Eh bien ! oui, cet éphémère paradis, c'est bien ce que nous avons voulu ! Il est bon que l'individu humain quitte parfois le morne et monotone chemin bien droit que l'on a tracé pour lui et qu'il doit suivre bon gré mal gré, tiré par devant, poussé par derrière, il est bon qu'il quitte cette voie rectiligne et monotone pour s'ébrouer dans la campagne environnante, pour s'engager dans les prés fleuris et odorants et batifoler hors des sentiers battus.
Les étudiants, les lycéens, les collégiens, les travailleurs qui ont vécu mai 68, ont eu, durant quelques jours, une magnifique sensation de vraie vie faite de liberté, de contacts humains chaleureux et d'intense création. Les ouvriers de Lip, quelques années plus tard, au cours de l'éphémère prise en main collective de leur outil de travail, ont, selon la parole d'Edmond Maire « préparé la légalité de demain ». Si nous avons offert aux enfants de notre petit chef-lieu jurassien un éphémère paradis, on peut bien penser (ou rêver) que ces heures de liberté, ces heures de travail créateur et joyeux, ces heures de contacts chaleureux, pourraient bien être leur lot quotidien dans le monde de demain.
Roland BELPERRON
(1) Curieusement le « Groupe Freinet » souvent perçu comme une chapelle, renfermé sur lui-même, fut le seul mouvement éducatif à apporter sa totale, enthousiaste et avouons-le, précieuse, collaboration, à ce projet original.
(2) Voir pages 25-26 article de Norbert Martelet