DES CONDITIONS MATÉRIELLES DANS LESQUELLES NOUS TRAVAILLONS

OU NOUS EN PARLONS ENCORE UNE FOIS

On peut, à la rigueur, imaginer le professeur de français se déplaçant d'une salle à l'autre avec son attaché-case, limographe d'une main, magnétophone de l'autre et une dizaine de livres sous le bras, mais pouvez-vous imaginer le professeur de dessin transportant à chaque cours : seaux à eau, pinceaux, gouaches, feuilles de dessin, ciseaux à bois, à pierre, morceaux de bois, blocs de béton cellulaire, argile, plâtre, bouteilles d'encre de Chine, fil de fer, grillage ?... C'est difficile, n'est-ce pas ? Et pourtant d'après un petit sondage fait auprès de vingt professeurs de C.E.T., douze n'ont pas de salle attitrée. Ce qui veut dire dans ces cas-là qu'on s'en tient à une façon très très traditionnelle de travailler : les élèves amènent chacun leurs petites feuilles de papier, leurs gouaches. Le moyen de faire autrement ?

Moi, j'ai de la chance, j'ai une salle pour moi toute seule et mes élèves. II y fait seize ou dix-sept degrés pendant deux ou trois mois de l'année avant que l'intendant n'allume le chauffage et au printemps lorsque l'établissement n'est plus chauffé. Ce n'est pas grave, les élèves travaillent avec leurs manteaux et ont les mains un peu engourdies ! II faut dire que toute une moitié de la salle est vitrée (plafond et côté). C'est bien, ça donne de la lumière... quand la verrière est propre !!! Depuis huit ans que je suis là, ça n'a jamais été nettoyé, alors toute une moitié de la salle est pratiquement inutilisable parce que trop sombre.

Au sol il y a un linoléum, de ceux comme on en faisait jadis, bien absorbant quand il n'est pas ciré. Les moindres événements de la classe y restent imprimés, taches d'encre, de vernis, de plâtre... Ce lino est posé en plusieurs morceaux qui, d'années en années se soulèvent un peu plus sur notre passage. De temps à autre on voit un élève ou le professeur faire une sorte de saut périlleux. Ce n'est rien, il s'est simplement pris le pied dans le lino.

Jusqu'à présent tout le monde a réussi à reprendre son équilibre. A chaque fois un petit bout de lino s'en va, bientôt remplacé par la poussière; le plâtre... qui ne veulent pas s'en aller, eux.

Quant aux tables... je ne sais pas si vous connaissez le matériel agréé par l'Éducation Nationale pour les salles de dessin : tables en contreplaqué montées sur une tige coulissante. II y a deux vis, une pour monter la table, une pour basculer le plateau. Ces vis deviennent vite sans fin, ce qui fait que le plateau de temps en temps s'affaisse brutalement avec un claquement sec, projetant au sol ou sur l'élève, pot d'eau, bouteilles d'encre. Quant à les utiliser pour faire de la sculpture !!! Et pour des dessins un peu grands, au-dessus de 40/50 cm, c'est impossible. Vous direz que les grands dessins, ça peut se travailler au sol. C'est ce qu'on fait mais quand on n'est pas trop nombreux dans la classe ou trop nombreux à vouloir en faire des grands.

Et les travaux d'élèves en cours ou terminés, qu'en fait-on après le cours ? On les affiche, les expose ou les range. Cela semble logique pour vous mais pas pour l'intendant. En ce moment il y a dans ma classe 70 sculptures en plâtre ou en béton cellulaire commencées cette année. Je n'ai pas de placards ou d'étagères pour les ranger alors il y en a partout, par terre, dans tous les coins, sur des vieilles tables récupérées dans les sous-sols. Les dessins, j'en mets le plus possible sur les murs (il faut réenfoncer les punaises à chaque cours mais je ne peux pas me plaindre, on ne m'a pas interdit de «punaiser». Les murs sont dans un tel état que ça les améliore plutôt), mais avez-vous une idée de la production annuelle de dessins lorsqu'on a 250 élèves par semaine (ce qui est un petit nombre : beaucoup en ont le double ou le triple, eh oui !!!) ? Cela doit bien faire dans les deux à trois mille ; la plupart du temps de grand format, quelquefois non empilables parce que trop fragiles ou de formes bizarroïdes. Et tout le matériel qu'on doit accumuler pour avoir le plus de choix possible (morceaux de polystyrène, de bois, de tissus, de linos, fils de fer, clous, grillages, revues, journaux, papiers de toutes sortes, coquillages, laines, ficelles...). Vous connaissez certainement la silhouette du professeur de dessin s'amenant au C.E.S. chargé comme un baudet du matériel le plus hétéroclite. C'est le fouineur, celui qui ramène dans sa classe tout ce qu'il a pu récupérer à droite et à gauche parce que ses crédits sont tellement dérisoires qu'il ne peut et encore, acheter que les outils les plus indispensables mais absolument pas les matériaux à travailler. Peut-on imaginer un atelier de couture dans un C.E.T. n'ayant que des machines à coudre et pas de tissu, ou un labo de chimie sans produits à manipuler ? Impensable n'est-ce pas ? C'est pourtant ainsi que nous devons, nous, travailler en dessin et même pas, car l'outillage est fort sommaire et insuffisant et bien souvent apporté par le professeur lui-même ou les élèves. Demander un établi avec un étau, c'est une chose inconcevable et qui vraiment ne doit pas pouvoir se concevoir puisque depuis huit ans, j'en demande un et que je n'en ai toujours pas. Je me contente de deux tables un peu résistantes qui viennent du laboratoire de physique et qui allaient être mises au rebut.

Je crois que les autres collègues n'imaginent pas très bien tous ces problèmes-là, lorsqu'ils s'émerveillent sur les travaux que produisent les élèves pendant nos cours. Et comme je l'ai dit plus haut, je suis dans de bonnes conditions (relatives) de travail, mais que pourraient nous dire les collègues, et ils sont nombreux, qui ont des classes de vingt-quatre élèves et plus, pas de salle attitrée, pas de lavabo, rien...

Annie FRANCOIS

 
 
 

Télécharger ce texte en RTF

Retour au sommaire