J’aime la
peinture parce que j’y arrive
Suite de
l’article paru dans le n°85 d’Art
enfantin et créations
Claude COUPÉ
ÉCOLE PUBLIQUE
DE Gosné (Ille-et-Vilaine)
Chez un
MAÎTRE non artiste : 3Je
me contente de fournir papiers, pinceaux, craies et peinture. »
Les ENFANTS
peignent et dessinent seuls dans une seconde salle : « C’est le seul moment où on soit vraiment libre ! »
Les PARENTS
disent encore : « C’est
très bien le dessin et la peinture, mais il faut avant tout que les enfants
sachent l’orthographe et le calcul ! Après, ils pourront faire du
dessin ! »
Écrire quelque
chose à propos de dessins qui ne sont plus en ma possession n'est pas
chose facile, aussi n'est-ce pas ce que je vais entreprendre ici. Je voudrais
plutôt exprimer dans quelles conditions sont réalisées les dessins publiés
dans ce numéro et ceux qui ne sont qu'affichés dans ma classe. Je ne reviens
pas sur le déclic qui a permis l'éclosion de toute cette peinture, vous
avez pu le lire dans le n°85.
Tout d'abord
j'ai interrogé mes enfants pour savoir ce qu'ils ressentent quand ils
peignent ou quand ils dessinent avec leurs feutres, leurs pastels. Je
leur ai demandé s'ils aiment peindre, dessiner et pourquoi ils l'aiment.
Voici quelques réponses qui, à mon avis, sont essentielles et dans lesquelles
réside une partie du résultat, l'autre partie résidant dans les conditions
matérielles qui sont également très importantes, car ce sont elles qui
permettent les premières.
Dominique. - J'aime peindre parce qu'il y a de belles couleurs.
Sylvie (élève
intellectuellement en difficulté). - J'aime bien la peinture parce
que j'y arrive.
Jean-Yves. - Parce que je trouve que ce que je fais est beau,
c'est pas comme les fiches où il y a toujours
des fautes.
Christine. - Quand on fait de la peinture, on fait vraiment
ce qu'on veut... On ne suit pas les indications comme sur une fiche.
Vincent.
- Moi je ne sais jamais quoi
faire, j'aime mieux les fiches.
Vincent aime
en effet qu'on lui dise ce qu'il faut faire, il a besoin qu'on le dirige.
Pourquoi?
Lydie. - Quand on fait de la peinture ou du dessin, le maître
n'est pas avec nous, alors on peut bavarder avec nos copines. On est seul,
on est bien, on se détend.
Valérie. - C'est le seul moment où on se sente vraiment libre.
Ce sont les
quatre idées qui ressortent de la bande que j'ai réécoutée avant d'écrire
ces lignes.
Les élèves
du cours élémentaire parlent souvent de la beauté des couleurs.
Les enfants
en difficulté sur le plan intellectuel parlent de réussite. Ils compensent
leurs échecs en réalisant de jolies choses. Un autre élève comme Vincent
veut savoir quoi faire. Je pense qu'il y aurait une étude intéressante
sur le comportement de ces deux enfants qui sont pourtant très différents.
Enfin les enfants
du C.M.2 parlent de détente, de bien-être, de liberté.
Je ne m'arrêterai
pas sur la première idée qui, bien qu'ayant son importance, ne me semble
pas primordiale. Les belles couleurs, on aime jouer avec, on aime les
étendre mais il faut les avoir. II suffit de les mettre à la disposition
des enfants.
La deuxième
raison, celle des enfants en difficulté, m'intéresse davantage. En effet
il faut avoir vu Sylvie (née en 1966) au C.M.1 qui ne parvient pas à prononcer
cinq mots à la suite sans bafouiller, sans accrocher, qui pleure car elle
ne peut écrire correctement ce qu'elle veut exprimer dans son texte, mais
rayonne de joie devant sa feuille de papier ou son morceau de toile de
jute, pour comprendre l'importance de la réussite. Là il n'y a pas d'échec.
Si j'avais écouté l'argument de ces parents qui en début d'année me disaient
: «C'est très beau le dessin et la peinture, mais il faut avant tout
que les enfants sachent l'orthographe et le calcul, après ils pourront
faire du dessin.» j'aurais continué à voir Sylvie peiner et pleurer
et je ne pense pas qu'elle aurait pu enfin réussir quelque chose.
- C'est
le seul moment où l'on soit vraiment libre » C'est là je pense
l'argument essentiel. En effet je n'interviens jamais dans les dessins
des enfants. Je ne m'en reconnais pas le droit car ils ont en eux toutes
les possibilités qui ont été peut-être étouffées en moi. Je ne connais
rien à la peinture. J'étais la négation de la carrière de mon prof de
dessin. Alors je les laisse, je me contente de fournir papier, pinceaux,
craies, peinture Ils coupent leurs feuilles, préparent leurs couleurs
et créent. Je n'interviens que pour le rangement du matériel.
J'ai eu la
visite de mon I.D.E.N. la semaine dernière Il
était ébahi par les dessins affichés au mur, mais ne voulait pas me croire
quand : lui disais : « Je n y connais rien en peinture et je n'interviens
pas. »" Il voulait me faire dire que le résultat je l'obtenais
par une sorte de forçage.
Mais il faut être honnête et faire connaître
les conditions dans lesquelles je travaille.
J’ai 3 cours
: C.E.2, C.M.1, C.M.2 et 18 élèves. J'organise ma classe de la façon suivante
:
Matin :
français, math, avec C.M.1 et C.M.2, travail libre avec les autres et
vice versa
Après-midi : activités d'éveil, éducation physique activités libres.
Pendant les
activités libres et le travail libre, les enfants disposent d'une salle
de classe libre supplémentaire à côté de la classe habituelle. Dans cette
salle sont aménagés en permanence : les ateliers de peinture, imprimerie,
linogravure etc., et là les enfants sont libres pour étaler leurs feuilles
sur le plancher, le mur. Ils disposent du papier, des peintures et ils
gaspillent pas mal. Le papier ne manque pas, je récupère les affiches.
Le mari d'une collègue, imprimeur de son métier, nous ravitaille quand
il faut. Il n'y a donc pas à se gêner. Les enfants peuvent faire le bruit
qu'ils veulent, ils ne dérangent pas ceux qui «travaillent». Je pense
que ce sont là des conditions excellentes pour permettre une véritable
expression.
Ce ne sont
évidemment des conditions que ne trouvent pas les camarades ayant trente
gosses dans une pièce exiguë. J'ai ces conditions, j'en profite.
C'est pourquoi
j'obtiens maintenant ces dessins, ces peintures dont mes enfants sont
fiers.
Une évolution
s'est faite cependant. Il y a moins de grattage, davantage de peinture.
On commence à peindre sur toile de jute. Les enfants commencent aussi
à mélanger les couleurs. Les tons pastels apparaissent.
Il y a aussi quelques essais de peinture sur du bois. On cherche de nouveaux
matériaux. C'est là tout un travail très lent mais qui se fait petit à
petit.
En guise de
conclusion je voudrais bien insister sur le fait qu'il n'y a pas de secret
pour réussir en art enfantin mais qu'il ne peut se faire pleinement que
dans de bonnes conditions de travail. C'est pourquoi je dis à chaque collègue
: bats-toi pour obtenir dans ton établissement une salle où les enfants
seront réellement libres. Ce n'est pas facile, mais il faudrait que nous
y parvenions.
Claude COUPE
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