MANIFESTE
Par décision ministérielle du 13 juillet 1976, nous avons été chargés par le Ministère de la Culture et de l'Environnement d'une mission de création, d'animation et de recherches dramatiques en direction de l'Enfance et de la Jeunesse.
Par décision ministérielle du 13 juillet 1976, nos six compagnies ont la responsabilité de préfigurer la mise en place d'un nouveau type d'établissement intitulé : CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL POUR L'ENFANCE ET LA JEUNESSE (C.D.N.E.J.).
Par décision ministérielle du 13 juillet 1976, le Ministère de la Culture et de l'Environnement prévoit la mise en place définitive de six premiers Centres Dramatiques Nationaux pour l'Enfance et la Jeunesse à la date du 1 ° juillet 1978.
Une première étape décisive
Nous vivons depuis trop longtemps la misère de l'absence de moyens décents, l'inexistence de structures appropriées et d'équipements adéquats pour ne pas souligner l'aspect positif d'une première décision que nous sommes parvenus à arracher collectivement à des pouvoirs « de tutelle » qui se sont toujours, obstinément et avec toute la vigueur d'une opposition idéologique fondamentale, refusés à la mise en oeuvre d'une effective politique culturelle répondant enfin directement aux droits et aux besoins des enfants et des adolescents.
Jamais en effet jusqu'à présent une équipe se consacrant prioritairement à l’enfance et la jeunesse n'a pu mener un travail de création et de recherche avec la garantie d'un subventionnement de l'État sur plusieurs années. Est-ce une exigence exorbitante que celle de la garantie de la permanence d'une action, assortie d'un financement adapté ? C'est cette garantie que procure le statut de « Centre Dramatique National pour l'Enfance et la Jeunesse », c'est ni plus ni moins ce que nous demandons.
Depuis plus de dix ans, nos six troupes n'ont cessé de créer des spectacles de théâtre destinés aux jeunes spectateurs, fruit d'un long travail de réflexion, de recherche, d'expérimentation, d'entraînement, occasions d'échanges avec les enfants, les parents, les enseignants, les animateurs, incitations au jeu et l'expression dramatique, à l'apprentissage des codes qui peuvent faciliter l'accès au symbole et en conséquence l'accès aux autres formes d'art.
Peu â peu, grâce à un travail acharné accompli dans des conditions toujours difficiles, s'est affirmée la nécessité de donner aux enfants la possibilité, le désir de connaître, et d'apprécier le théâtre considéré désormais non plus comme une séance récréative sans importance mais comme un élément essentiel de la formation de la personnalité.
La création des C.D.N.E.J. est pour nous le premier résultat d'une lutte âpre, longue, entêtée, pour que les enfants ne soient pas exclus du champ de la recherche et de la diffusion théâtrale, une première reconnaissance par l'État du rôle de service public joué par nos équipes, mues par la passion de la recherche autant que car le souci d'approfondissement des formes de communication avec le public, dans l'attachement à leur région d'implantation, dans la volonté de permanence des actions de création, d'animation et de formation,
Nous sommes conscients de la relativité de notre action par rapport aux besoins immenses de 13 millions d'enfants et de jeunes qui nécessiteraient la mise en place au minimum d'un C.D.N.E.J. par région et l'existence dans chacune de ces régions de plusieurs compagnies indépendantes subventionnées.
Nous venons de parler de reconnaissance. II est vrai que certains font mine d'y voir de la reconnaissance de la gratitude, bref un hommage rendu à un théâtre scolarisé, donc censuré, aseptisé et infantilisé. Dès lors, tout se passerait comme si l'État, pour mérites rendus, décernait les honneurs à quelques-uns, les figeant a tout jamais dans le garde-à-vous respectueux auquel est voué toute institution. Garde-à-vous, et du même coup éloge funèbre puisque la capitalisation des crédits par quelques centres provoquerait l'asphyxie financière du reste de ce secteur. Nous considérons pour notre part que les structures que nous revendiquons recèlent aujourd'hui encore de riches possibilités et qu'elles peuvent être élément moteur du développement d'une véritable politique culturelle en direction de l'enfance et de la jeunesse.
Un statut et des moyens égalitaires
La réalité, c'est que les paliers financiers fixés par l'État n'ont pas été respectés. En 1977, mêmes crédits d'insuffisance qu'en 1976. La parité du subventionnement avec les diverses entreprises culturelles s'adressant aux publics adultes ne nous est même pas encore dans les faits reconnue. En revendiquant ces paliers, ce rattrapage budgétaire, dans un esprit de parité, nous exigeons, sur des fonds publics qui appartiennent à tous, la satisfaction d'un juste dû pour une minorité culturellement opprimée.
Le théâtre pour l'enfance et !a jeunesse doit vivre dans des démarches, des aventures diverses, nombreuses, contradictoires, où la confrontation soit stimulante et productive. Avec le statut et les moyens ci un C.D.N E.J nous voulons obtenir au même titre que n'importe quel créateur, pour nos équipes de création, le droit et la liberté d'échapper au cycle infernal de l'obligation commerciale: produire pour vendre, vendre pour produire, qui a pour effet de transformer nos compagnies en machines à produire du théâtre, à niveler la qualité de nos créations et de traiter le jeune public comme une clientèle de consommateurs, de multiplier le nombre de spectacles dans le seul but défaire survivre nos équipes.
Nous refusons de nous épuiser à la recherche quantitative du public comme seule justification de notre subventionnement car nous considérons comme principal dans notre action de concentrer tous nos efforts pour faire avancer qualitativement la création dramatique pour les jeunes spectateurs et la communication avec les différents publics d'enfants.
De plus, chaque secteur (création, animation, recherche) appelle des moyens appropriés, des priorités momentanées et nous revendiquerons le droit de nous consacrer exclusivement à l’un d'eux selon les exigences de notre action. Nous ne possédons pas de recette ou de modèle, ni en matière de travail théâtral, ni en matière d'animation. Nos équipes-la notoriété de notre travail leur a donné une dimension de caractère national. voire international - n'ont pas l'ambition démesurée de prendre en charge toute l'animation culturelle d'une région ni même d'une ville, mais elles souhaitent continuer de participer, dans des conditions satisfaisantes, à la vie culturelle de leur zone d'implantation en ayant enfin les moyens d'une action qui s'est inscrite dans la réalité théâtrale depuis de longues années.
A partir d'une réflexion théorique déjà abondante, des directions de recherche multiples sont mises en oeuvre Une certitude : seule une pratique professionnelle de haut niveau permettra d'apporter des réponses vivantes aux interrogations qui naissent de la pratique.
Un travail théâtral spécifique pour un nouveau théâtre populaire
De théâtre et de création n avant tout, nous revendiquons la spécificité de notre travail pour les enfants et les jeunes parce que pour des raisons objectives, nous sommes différents de nos camarades des équipes créant pour les publics adultes : âge et composition socio-culturelle du public, durée et contenu des spectacles (il est clair que pour les très jeunes enfants la durée, le contenu d'un spectacle ne peuvent être les mêmes que pour des adolescents), etc...
Mais nous sommes a aussi différents parce que notre travail s'inscrit dans une réalité particulière : la relation avec l'école.
Le souci de s’adresser à tous les enfants sans discrimination de classes sociales, nous a conduits à une collaboration active avec les établissements scolaires, sans être un instrument pédagogique au service de l'école. La définition de la place et du rôle du théâtre par rapport à l'enseignement doit être questionnée de manière incessante et contradictoire, par l'invention de formes variées de mise en relation des créations avec les jeunes spectateurs, par l'organisation d'échanges suivis avec les enseignants, par différentes formes d'animations, etc .
Ainsi, la spécificité des équipes travaillant prioritairement pour les enfants et les jeunes, définit donc et seulement le champ dans lequel le théâtre pour les jeunes spectateurs, par l'existence par exemple de « Centres Dramatiques Nationaux pour l'Enfance et la Jeunesse » peut atteindre la plus haute qualité, parce que la création nécessite une réflexion, une recherche, une expérimentation constantes afin de découvrir le contenu et les formes théâtrales qui parient aux enfants d'aujourd'hui. Mais l'existence de telles structures, loin d'exclure la possibilité de créer des spectacles pour tous les publics, favorise au contraire les conditions de la renaissance d'un nouveau théâtre populaire. Parce qu'il serait dangereux de déduire de la spécificité de notre travail une ségrégation des publics que nous n'avons jamais souhaitée ni vécue, nous revendiquons également le droit non seulement de présenter notre travail théâtral aux publics adultes mais aussi de les choisir à l'occasion comme partenaires privilégiés de notre travail. Dans notre pratique de création, nous apprenons tous les jours des enfants, des jeunes et des adultes et eux aussi apprennent de nous. II est donc logique que les différents publics s'enrichissent mutuellement, et par conséquent. notre travail aussi.
Une exigence politique
Tant que la création, l'animation, le travail culturel en direction des enfants et des jeunes seront considérés comme secondaires, voire resteront inexistants dans la plupart des entreprises théâtrales et culturelles, le théâtre pour l'enfance et la jeunesse aura besoin de structures spécifiques. Les six premiers CDNEJ, différents des autres CDN, différents entre eux. manifestent la volonté politique d'existence d'un courant autonome de l'action culturelle. Nés d'un refus spontané à la centralisation de la création théâtrale pour les jeunes spectateurs, mûris par une lutte collective soutenue par l'ensemble des organisations techniques et syndicales de la profession artistique, les six premiers CDNEJ représentent la première étape décisive d'une politique culturelle dont la France n'a jamais voulu se donner les moyens jusqu'à présent. Au-delà des équipes et des individus qui les composent, il s'agit de lutter pour la mise en place irréversible d'outils de création théâtrale indispensables aux enfants et aux jeunes.
OCTOBRE 1977
THÉÂTRE DE LA
POMME VERTE CDNEJ en préfiguration,
SARTROUVILLE
Catherine DASTE COMPAGNIE
BAZILIER
CDNEJ en préfiguration, SAINT-DENIS
Daniel BAZILIER
COMÉDIE DE LORRAINE
CDNEJ en préfiguration, NANCY
Henri DEGOUTIN
THÉÂTRE DU GROS
CAILLOU
CDNEJ en préfiguration CAEN
Yves GRAFFEY
THÉÂTRE LA FONTAINE
CDNEJ en préfiguration LILLE
René PILLOT
THÉÂTRE DES JEUNES
ANNÉES CDNEJ en préfiguration LYON
Maurice YENDT - Michel DIEUAIDE