La deuxième face voit la fin de la farce et la création de nouvelles chansons. La troisième, celle qui se termine «comme une chanson bretonne» est un événement. En effet, c'est la première fois que Pierrot crée vocalement. L'absence de toute contrainte de signification a dû le sécuriser suffisamment. Il met dans sa chanson une sorte de véhémence vocale. II faut dire qu'il est très chargé : à sept ans, il est l'aîné de quatre enfants. Il s'interrompt un instant parce qu'une bouffée de conscience de la possibilité du ridicule lui remonte à l'esprit. Mais nulle trace de jugement dans l'environnement. Alors, il repart.
La quatrième chanson : "Com, com, com » est différente. Elle est presque uniquement consacrée à l'étude objective de ce qui se passe quand on tord sa langue ou ses lèvres. C'est dans cette même optique que se déroule le dialogue -A na ka na ona» en «japonais». Il a été créé l'année suivante par Patrice et Jacques, anciens C.P. devenus C.E.1. Il permet de prendre conscience du rôle de l'intonation dans l'interrogation, de la nécessaire alternance des voix...
- Mais, tout de
même, ce disque est plutôt farfelu. Toutes ces incongruités d'enfants ne méritent
vraiment pas d'être enseignées !
- Alors, écoutez Nanane,
petite fille de deux ans environ, qui, allongée sur une carpette, griffonne
sur un cahier de dessin. Et vous verrez que c'est peut-être de cette façon que
les enfants assimilent le langage.
Elle commence : «Pour qui, çui-là.
Pour la petite conteil » Pour qui celui-là ? Pour la petite conteil.)
Puis elle se lance dans une très longue
improvisation dont nous ne fournissons que quelques extraits, riches de multiples
éléments :
1.Absence
de toute signification.
2. Longues répétitions pour l'assimilation
des sons mouillés en ail, eil, oil et d'autres phonèmes, probablement
de découverte récente.
Cela fait penser à l'escalier de Freinet
: montée verticale vers la découverte, puis répétition pour intégration.
Mais , en
outre,. on peut distinguer également une expérimentation,
peur ne pas dire une recherche. qui concerne :
3. La longueur des vers ( nombre
de pieds).
4. La hauteur des sons : piku.
piku.
5. Leur intensité : piku.
piku.
6. Le rythme (jazz) : 2 - 2 - 2 et. 2.
7. Le timbre.
8. Le bercement par la mélopée.
On comprend combien la libre expression
des enfants peut être chargée de contenu. Elle doit être entièrement respectée.
Car elle recouvre des phases diverses de l'assimilation du langage.
On pourrait même dire : des langages.
En effet il semble que la saisie des phonèmes des langues étrangères est difficile,
surtout parce qu'on a interrompu l'exploration vocale. Ils étaient sans doute
tous présents au départ. Mais le milieu a poussé à l'élimination de tous les
phonèmes non utiles à la langue maternelle. La conservation de l'expérimentation
libre qui procure pourtant tant de jouissances, de connaissances, de plaisir
d'échange, de projection empêcherait une sélection aussi rigoureuse. Elle augmenterait
les capacités d'assimilation des sons étrangers (devenus étrangers à soi-même).
Et voilà pourquoi votre fille et votre
fils ne doivent pas rester muets.
Cela, il faut que l'adulte l'accepte.
Il doit comprendre que c'est sérieux.
Mais il pourrait le vérifier par lui-même.
Il y découvrirait d'ailleurs des joies nouvelles. Et, en particulier, celle
d'expulser enfin tout ce qui a été sauvagement réprimé en lui, depuis le fond
de son enfance.
Paul LE BOHEC