C’ÉTAIT LA FÊTE !

C'était une fête, à Avignon, à la rencontre nationale d'Expression Dramatique : cent cinquante enfants adolescents, de 9 à 18 ans, vivant ensemble trois jours pour échanger leurs expériences, créer ensemble, découvrir le théâtre professionnel...

Et il fallait bien que cet article figure ici, tant nous avons senti, alors, combien l'Art Enfantin s'exprimait là, dans cette recherche globale sur le texte, mais aussi sur l'expression corporelle, la voix, la musique, le tissu, les couleurs, le maquillage, le dessin même.

Le premier jour fut consacré à l'échange des formes de travail : chaque groupe présentait, soit un produit, soit un moment de travail, et il s'en suivait une discussion. On peut évoquer par exemple, pour concrétiser cette démarche, le produit présenté par des enfants de C.M.2 (de Bouchemaine) : deux fillettes sortent d'un sac des dessins, faits par la classe, et les contemplent... mais à ces dessins, il manque quelque chose... la vie. Elles entreprennent alors de les faire vivre, et c'est une création du monde où tout renaît, prend sens et mouvement : l'eau, la terre et le soleil, les animaux et les plantes, dans une scène éclatée où tout vit d'un mouvement perpétuel, sous des tissus qui s'animent. La poésie, l'humour et le rythme de cette création collective ont immédiatement établi une communication entre ces petits, et les grands, impliqués dans la même recherche ; et jamais un moyen d'expression, une création, fut autant, aussi, un moyen de communication. Cela transparaît dans le journal du stage, symboliquement intitulé par les adolescents qui le prirent en charge : CRÉERELATION. Les enfants y écrivent :

Au début on avait peur parce que tout le monde nous regardait. Puis on s'est habitué. Dans la salle on nous entendait pas assez. Il y a une grande qui a appelé Élisabeth, pendant le jeu, pour lui dire que c'était intéressant. Il y a eu quelques ratures dans le jeu. Mais les autres nous ont dit que c'était drôlement bien, alors ils n'ont pas dû voir les ratures.

La fin du jeu n'avait pas été travaillée, ça se voyait.

Le jeu était moins bien qu'aux répétitions.

Le jeu de Cavaillon. C'était beau. « J'ai vraiment aimé quand ils se poussaient: c'était très très intéressant » (Cédric). « Ils ont cru qu'on n'avait rien senti, mais en fait c'était vraiment intéressant ». « Leur jeu était vraiment clair. On a tout compris » (Nathalie). « Moi j'aimais bien quand ils disaient : JULIETTE, ROMÉO. Ils le disaient de plus en plus fort » (Sylvie).

« D'après ce que ,j'ai compris, c'était la naissance de Roméo et Juliette » (Jean-François).

« C'était bien. Je trouve qu'ils ont aussi bien travaillé que nous » (Sophie).

« Ils ont pas fait une seule rature » (Emmanuel).

« Ils voulaient s'aimer, mais une force empêchait leur amour » (Cédric). « Leur jeu était moins long, mais beaucoup mieux que nous ».

C.M.2 Bouchemaine

évoquant le travail des adolescents (13/16 ans) de Cavaillon

Et de leur côté, des « grands » de Draguignan écrivent :

- Les différentes catégories d'âge ont amené des découvertes intéressantes : les grands ont été très surpris par le naturel et l’entrain des petits dans leur travail, mais aussi entre les séances - ces derniers ont entraîné certains ado hors de leur groupe.

La communication ne s'est pas faite qu'à partir de créations exprimant ce dynamisme, cette gaieté, cette fraîcheur d'une création du monde par le pouvoir de l'enfant ; elle naquit aussi du rire critique de certaines satires (relations enfants/parents par Draguignan, par ex.), ou de l'expression d'angoisses plus profondes, ainsi celles surgies lors d'une improvisation des adolescents de Cavaillon, où l'occupation de l'espace, les voix (des bourdonnements sourds et de plus en plus forts), le cri (un NON répété par une fille, qui ne comprend pas l'indifférence l'environnant), faisaient sentir bien au-delà des mots ce que peut être la tragédie de la solitude.

Lors de la seconde journée, éclatée sur la ville, les troupes de théâtre locales avaient ouvert leur porte et le Conseil Culturel prêté son aide. Ce contact avec des professionnels de théâtre, des responsables de l'organisation du Festival annuel d'Avignon, des animateurs de quartier, permit un enrichissement : découverte de techniques, mais aussi informations pratiques sur la vie d'un théâtre, son rôle... permettant de situer la création dramatique dans un contexte plus politique, comme moyen d'expression, mais aussi comme arme, comme « outil de rupture », pour reprendre un terme propre à l'I.C.E.M.

Le troisième jour, les groupes se mélangèrent pour créer ensemble, dans une ambiance de fête où petits et grands se maquillaient ensemble, laissaient sortir leurs peurs au jaillir leur rire.

Les participants se quittèrent à regret. Des correspondances naquirent de la rencontre. Elle permit à tous d'avancer, de ressentir plus encore la force de ce moyen d'expression, quel que soit l'âge, à condition que le produit créé ne soit pas un simple spectacle, un jeu, mais soit une expression profonde, née d'un travail collectif, en vue d'une communication.

Compte rendu de la rencontre

Expression Dramatique

par Mauricette RAYMOND

 

CRÉERELATION

Au club expression dramatique du C.E.S. Clovis-Hugues à Cavaillon, des adolescents de 13 à 16 ans se retrouvent tous les jours, de midi à une heure, avant le déjeuner. François (un surveillant) et moi-même, assurons l'animation. Voilà pour les conditions de travail.

Pendant tout le premier trimestre, le travail porta surtout sur l'expression corporelle, la voix, et un thème : la communication. A la rentrée de Noël, le groupe (une trentaine)   exprima le désir de créer un produit, en vue de le jouer hors établissement (à la M.J.C.), surtout pour les adultes ; ce moyen d'expression étant alors choisi comme moyen de communiquer collectivement ce que la plupart des individus du groupe avaient du mal à dire directement, aux parents surtout.

À la rencontre nationale d'expression dramatique d'Avignon, ils arrivèrent avec une trame, qui, à force d'être improvisée, avait fini par plus ou moins se fixer dans un produit semi-fini. En gros, cela donnait ceci :

Au début, symbolisation de deux naissances : un garçon et une fille, au milieu de deux cercles qui s'ouvrent simultanément, sur la musique du film Love Story.

Mais les cercles deviennent vite possessifs : « Il sera médecin, comme son père », « elle a de beaux yeux, ceux de sa mère », etc., et les enfants passent de l'étape de la découverte des autres, à celle de la crainte. En chœur montent de chaque groupe, comme une agression, et en alternance accélérée, les phrases : « On l'appellera Roméo », « On l'appellera Juliette », « Roméo », « Juliette », « Roméo », « Juliette ».

- « NON » crie la fille en se levant, « non je ne m'appellerai pas Juliette, je m'appellerai Colombine, et je ferai ce qui me plaît », « Et moi, je ne m'appellerai pas Roméo, je m'appellerai Pierrot, et je serai moi », crie à son tour le garçon en se levant.

- Ils essayent alors de sortir du cercle pour se rejoindre (musique de P. Henry : Messe pour le temps présent), tandis que les autres s'y opposent.

- Mais sont interrompus : un groupe de « vieux » arrive et proteste : « Qu'est-ce que vous faites ici ? C'est à nous de jouer »... Confusion « Place aux vieux ». Ils installent leurs chaises. Les jeunes s'en vont.

- Scène comique : l'Assemblée des vieux réunis secouant l'économie mondiale : la jeunesse. Ils votent des lois et s’en vont en chantant La Marseillaise et sur les paroles « on les aura ».

Scène suivante : « ils les ont eus ». Ça se passe dans le musée archéologique de la Jeunesse des années 70.. Fin de la visite, 1e guide s'en va.

- Le musée s'anime. Éveil des statues de cire, les jeunes se rendent compte qu'ils sont dans un musée, sans comprendre pourquoi on vient les voir ainsi étiquetés (1). « Ah ! S'ils étaient là, on leur montrerait qui nous étions, qui nous sommes, nous qui savons aimer. - Mais comment comprendraient-ils ? - Et si on leur jouait une pièce de théâtre ? » Ils vont jouer...

Reprise du début, plus accélérée et sans parole - sans interruption cette fois -, le garçon et la fille partent main dans la main, au son de la chanson d'Anne Sylvestre : Lazare et Cécile. Tous quitteront la scène deux par deux.

A Avignon, les critiques ont porté sur la scène de l'Assemblée des vieux. Elle a été modifiée par la suite en fonction de ces critiques. Et puis, surtout, les adolescents ont voulu reprendre et intégrer l'improvisation sur voix évoquée dans le C.R. de la Rencontre ; ils ont rajouté des masques ; lui ont donné un sens précis par rapport à leur spectacle: cette scène s'est insérée après la sortie de l'Assemblée des vieux; quand ils partent en criant « on les aura », la fille arrive lentement sur scène en disant « non ».

Les vieux reviennent alors, masqués, reprennent l'improvisation symbolisant l'écrasement de la fille qui finit par terre, ils lui mettent l'étiquette « Hippie » sur le dos et s'en vont. Noir. La salle s'éclaire sur le musée, la fille hippie étant au milieu des autres.

Une autre improvisation lors de la rencontre, faite par quelques adolescents de Cavaillon et quelques enfants du C.M.2, avait pour thème : la Mort (ce sont eux qui avaient librement choisi) : une fille était atteinte d'un cancer, il ne lui restait que deux mois de vie. A part son amie, qui souffrait réellement, autour d'elle circulaient des gens symbolisant toutes les attitudes « sociales » face à la mort: pitié (« à son âge, si jeune ... »), banalités de formules, convoitise d'héritage, indifférence, etc. Les petits amenaient une note poignante d'authenticité, en venant demander à la malade de jouer. (« C'est parce que tu vas mourir que tu ne veux pas jouer avec nous ? »...).

Cette improvisation avait marqué. De retour au collège, après la rencontre, les élèves voulurent la reprendre. II manquait les petits, l'atmosphère n'y était plus, le rire s'installa (très sain d'ailleurs !). Nous (animateurs) proposons donc de laisser tomber. Ça dort comme ça une dizaine de jours, jusqu'à ce que Marlène, Anne et Éric s'amènent un jour avec des diapos et la proposition de reprendre sous forme de montage, en alternant des séquences, retravaillées, de l'improvisation d'Avignon, et des diapos avec textes mélangés d'auteurs (ils demandent que nous en apportions) et d'eux-mêmes (ils en écrivent la semaine suivante, à partir des diapos sélectionnées). Ça donne un montage réalisé en deux mois qui impressionna fort les adultes venus à la M.J.C. On y retrouvait : la révolte de l'amie contre l'indifférence, contre toutes les réactions de la société face à la mort, quelques séquences plus comiques de satire (partage de l'héritage), et une dimension poétique avec toute la série de diapos ; les petits d'Avignon manquaient. Ils furent remplacés par la projection d'une diapo avec, en voix off., les paroles de l'improvisation initiale.

La Rencontre avait fait plus, là, que donner un coup de pouce, elle avait permis tout le cheminement de l'improvisation au produit fini.

Mauricette Raymond

 
 

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