Disque I.C.E.M. n° 19
Expression musicale adulte : ON CRÉE À TOUT ÂGE
PREMIÈRE FACE:
École Normale
de Saint-Germain-en-Laye Classes de Cécile BERGER
Mes premiers pas furent entravés par «le» modèle donné
au cours de ma propre formation. Un cours d'éducation musicale, c'était,
à l'époque, c'est encore fréquemment aujourd'hui, un exemple assez extraordinaire
de découpage du temps : 5 minutes de culture vocale, 10 minutes de dictée
musicale, 10 minutes de solfège, 15 minutes de chant, 15 minutes d'histoire
de la musique illustrée par une audition, en tout 55 minutes programmées
d'avance, quadrillage du temps excluant tout tâtonnement, monstre engendré
par une certitude venue d'en haut, niant toute possibilité de création
musicale en dehors du sommet de la pyramide, au-delà du cercle restreint
des compositeurs.
Ces témoignages
d'une expression musicale adulte dans le cadre de la formation initiale
et continuée à l'école normale se situent le long d'un cheminement pédagogique
que je souhaite décrire brièvement.
«Les enfants
ne sont pas créateurs en musique.» Ainsi s'exprima Monsieur l'Inspecteur
Général lorsqu'il vint me rendre visite au cours de ma seconde année d'enseignement.
Dans le climat
de remise en question générale de l'après mai 68, beaucoup d'éléments
contribuèrent à tourner ces certitudes en dérision : information sur les
méthodes actives d'éducation musicale (Kodaly, Willems,
Orff) jusque-là assez méconnues en France, diffusion élargie de la musique
contemporaine, réactualisation de l'improvisation, désacralisation du
compositeur, du musicien professionnel, éclatement du langage musical
traditionnel, extension des possibilités d'écoute de musiques extra-européennes.
Au coeur de
ce mouvement, grâce à la présence d'un instituteur de l'I.C.E.M. dans un stage C.A.E.I.
(faut-il le nommer : il s'agit de J.-L. Maudrin),
il y eut un jalon essentiel, ce fut la première écoute de chants et de
musiques «libres». Disque C.E.L. 2003, les chansons
de Gérard l'Héron, Trégastel (C.-du-N.), classe
de Paul Le Bohec ; musiques libres à Buzet-sur-Baïse,
classe de Paul Delbasty.
« Les
enfants sont créateurs en musique. » La preuve était à. chargée d'une
grande émotion, à la surface de ce 45 tours.
Je la «vérifiai» en enregistrant moi-même des chants libres dans une classe
d'application puis chez des camarades de l'I.C.E.M.
Je diffusai largement ces découvertes auprès des normaliens et des instituteurs
en recyclage. Puis, très vite, vint la question : «Et pourquoi pas
les adultes ?»
Voici comment
ont été réalisées les productions de la face 1.
Plages 1
et 4 : deux créations par des
adultes.
La classe se scinde en plusieurs groupes (4-5
personnes). Chaque groupe choisit ses instruments, va travailler dans
n coin isolé (utilisation des escaliers, placard à balais, W.C...) pendant une durée définie à l'avance (une demi-heure
en général) pour inventer une musique qui sera re-jouée au grand groupe
et enregistrée. Les productions de tous les groupes sont ensuite réécoutées,
à la demande systématique des participants. Mon intervention se situe
uniquement au niveau de cette proposition de travail et de l'enregistrement,
pas du tout au niveau du matériau musical. Nous abordons cette pratique
après une ou deux improvisations collectives desquelles découle
le plus souvent le constat d'une grande difficulté à communiquer au sein
d'un groupe tournant autour de la vingtaine, avec des niveaux de culture
et de pratique musicale hétéroclites.
Plages 2
et 3 : improvisations sur succession
de fonds sonores (extraits). 2: voix, 3: embouchures de flûtes à bec.
La technique
de travail n° 3 que je vais décrire a démarré ainsi : en commençant l'apprentissage
de la flûte à bec dans une classe de FPl, je
me heurtai à la difficulté de produire un son juste, le même pour tout
le groupe, liée à la nécessité d'une maîtrise du souffle dont chaque variation
modifie la hauteur du son produit. Je proposai, dans un premier temps,
éludant temporairement les problèmes de doigté,
de n'utiliser que l'embouchure de l'instrument. Sur cette embouchure,
on chercha toutes les sonorités possibles. En voici quelques-unes qui
constituent les fonds sonores de la séquence du disque :
- Chuintements
en sifflant le plus doucement possible ;
- Effets de
sirène en variant l'intensité du souffle ;
- Imitation
de l'aller et retour d'une vague en inspirant et expirant dans la lumière
de l'embouchure ;
- Petites percussions
en frappant le bec dans la paume de la main.
Chaque fois
qu'un élément était proposé, il était repris en choeur par le groupe,
attentif au «fond sonore» ainsi obtenu. Puis la combinaison spontanée
de tous ces éléments, au cours de recherches individuelles, donna naissance
à des imitations de chants d'oiseaux, appels, sirènes de bateau. Je proposai
ensuite cette structure de travail : un «chef d'orchestre», après avoir
mis au point un code gestuel ou graphique, organise la succession des
fonds sonores. Des solistes, munis d'embouchures de flûte de tessitures
différentes (ténor, alto, sopranino) contrastant avec le choeur (soprani) improviseront
«librement» sans perdre d'écoute, les fonds sonores.
Dès le premier
essai, une grande qualité d'écoute se manifeste. C'est l'objectif fondamental
de toute improvisation musicale. Cette technique qui m'évoque certains
procédés graphiques (monotype) superpose deux styles d'expression : les
fonds, travaillés, construits, écrits, et les improvisations, libres,
mais en même temps stimulées et sécurisées par la présence des fonds jouant
le rôle de supports.
Le travail
du «chef d'orchestre» est aussi intéressant : découverte de la fonction
du geste dont chaque impulsion est traduite sur le plan sonore, impression
de modeler un matériau avec ses mains, sans le toucher directement.
La séquence
vocale précédente (n° 2) est construite sur la même technique. Vous pouvez
l'expérimenter avec d'autres matériaux sonores. Point n'est besoin d'être
professeur de musique pour le faire !
Cécile BERGER
DEUXIÉME
FACE
École Normale
de Tulle (Corrèze)
Les deux réalisations enregistrées sont issues de « l'option
musique » où nous travaillons par tranches de trois heures par semaine
en petits groupes ( 9). Bonnes conditions de
travail. Liberté dans le choix des activités. Normaliens sans aucune formation
musicale traditionnelle. Pas de solfigistes.
Des autodidactes débutants (guitare, mandoline, percussions).
Premier
morceau : Isabelle (Ariel) et
Christian (guitare). Morceaux présentés pour le C.F.E.N.
Isabelle s'était
fabriqué un grand Ariel et avait fait un travail assez long, individuel,
sur les «modes» (disons pour simplifier, les gammes) à l'aide d'une bande
enregistrée que j'avais préparée. Sur cette bande des musiques de divers
pays, utilisant différents modes. A la fin de chaque morceau je jouais
sur un Ariel le mode qui venait d'être entendu, lentement, afin que l'utilisateur
de la bande puisse accorder son instrument (grâce aux cales mobiles) dans
le même «mode», pour ensuite s'entraîner à jouer avec.
Christian était
arrivé à l'E.N. jouant déjà un peu de la guitare
d'accompagnement, puis au cours des deux années il s'est pas mal entraîné
par lui-même et a beaucoup progressé. (À ce propos nous avions décidé
de consacrer une heure en début de matinée à l'entraînement technique
sur un instrument dans lequel on avait décidé de se spécialiser.)
Isabelle commence
seule. Elle met au point un mode inventé, par tâtonnement (sol la .. si do ré .. mi fa sol) et s'entraîne en frappant les
cordes avec des baguettes, comme le cymbalum. Puis elle fait appel à Christian
et sa guitare pour l'accompagner. Celui-ci veut faire des accords mais
semble dérouté par ce mode inhabituel.
Ils m'appellent
à la rescousse. Je leur propose une méthode de travail : tâtonner avec
l'Ariel sur une région restreinte du mode (3 ou 4 cordes) et chercher
à la guitare, par tâtonnement des accords (Christian en fait beaucoup
grâce aux «barrés») qui sonnent bien avec telle ou telle note ou région
du mode. Noter les trouvailles, puis recommencer avec d'autres cordes.
Puis je ne
m'en suis plus occupé pendant un certain temps durant lequel les recherches
continuaient.
Un peu plus
tard Isabelle seule fait appel à moi : «Je fais toujours les mêmes
types de rythmes, j'en ai marre, je n'arrive pas à en sortir. » Je
lui montre alors que l'alternance régulière ou irrégulière des deux baguettes
engendre des rythmes différents que par tâtonnement on peut découvrir.
Il suffit alors de repérer le trajet et l'alternance des deux baguettes
et de s'entraîner à retenir ces gestes. Ce travail fut un peu l'origine
de la seconde partie du morceau où le rythme devient ternaire. Dans cette
deuxième partie la situation du début était inversée. Christian avait,
à la demande d'Isabelle, mis au point un passage en «arpèges » avec
certaines notes étrangères au mode (c'est-à-dire qu'Isabelle ne pouvait
jouer sur son Ariel). Par tâtonnement encore Isabelle a cherché les notes
de son mode pouvant accompagner, ponctuer ou renforcer la guitare (malheureusement
la place du micro durant l'enregistrement vous obligera à tendre l'oreille
pour discerner l'Ariel derrière la guitare).
Deuxième
morceau : «Pam padap».
Temps de préparation : 1 à 2 heures. C'est un morceau collectif (5 participants)
que j'ai eu le plaisir de voir -arriver prêt à enregistrer.
Il a été mis au point alors que j'étais pris par un petit groupe sur les
trucages au magnéto.
C'est un morceau
préparé par des improvisations successives dont on retient des éléments.
Au moment de l'enregistrement, les grandes lignes étaient prêtes, les
rôles répartis, ils avaient plus ou moins en tête les différentes improvisations,
chacun était habitué aux réactions des autres. Il y eut encore une part
d'improvisation.
Morceau mi-chanté,
mi-parlé-crié-chuchoté... Leitmotiv «pam padap». Notes tenues, pôles
d'attraction vers lesquels on revient après mille extravagances vocales.
Ce qui a pu
avoir une influence sur cette réalisation :
• L'année précédente,
travail de déblocage vocal, très directif.
• Deux séances
longues d'improvisation vocale et instrumentale (tout ce qui a pu sortir
de notre voix y est passé).
• Une amorce
de travail vocal en fin de cours (seconde année) : un groupe avait fini,
il restait un peu de temps, ils avaient branché un micro et s'entraînaient
vocalement. Je leur avais alors fait une bande avec des exemples de musiques
vocales collectives inhabituelles (musiques extra-européennes,
negro spirituals...).
• Nous avons
beaucoup chanté, pendant les cours, accompagnés au piano.
Gérard PINEAU
|