Le travail qui a abouti à cette bande magnétique s'est échelonné sur une période d'environ quatre semaines précédant la fête scolaire.
L'atelier musique était d'installation récente dans la classe, à la suite de l'acquisition de quelques instruments proposés au catalogue C.E.L. : outre le cadre de piano, l'Ariel et le xylophone que nous possédions déjà, nous avions acheté deux carillons et des petites percussions. Chaque fois qu'un groupe d'enfants (le plus souvent deux, quelquefois davantage) avait élaboré une musique, il l'enregistrait tout en la présentant aux camarades.
La perspective de la fête scolaire et la création d'un jeu dramatique à représenter ce soir-là a bien sûr accru la motivation et par conséquent la production. De jour en jour s'est élaborée une «commande» de plus en plus précise. Alors que pour les premiers morceaux dont nous avions besoin, nous puisions dans des enregistrements antérieurs, nous nous mîmes à produire des «musiques de scène» en fonction de exigences du jeu. Les besoins étant variés, les productions le furent aussi : musique, chant individuel, chant à plusieurs sinon choral, chœur parlé.
J'assurais la partie technique, compte tenu du jeune âge des enfants (C.E.2). J'élaborais de jour en jour une «régie musique» à partir de laquelle je montais la bande magnétique. Les modifications étaient quotidiennes : introduction entre deux morceaux d'une séquence nouvelle, remplacement d'un morceau par un autre, raccourcissement d'un enregistrement jugé trop long, etc. C'était le jeu scénique qui commandait. Cependant, il était fortement conditionné par les musiques choisies. Un groupe d'enfants créait une musique en fonction du jeu qu'ils avaient créé, mais par la suite, ils adaptaient le jeu à la musique, celle-ci lui imprimant son rythme, influençant sa durée. Ainsi, la musique ne se contentait pas du rôle d'illustration sonore : elle était partie intégrante de la création, au même titre d'ailleurs que les costumes ou le dispositif scénique.
Le thème du jeu dramatique était issu d'un texte libre de Christine intitulé «L'inventeur des pantins». Dès qu'il fut décidé de le «monter» pour la fête, les enfants se mirent au travail : chacun créa son propre personnage, imagina son pantin, le dessina, en fit une petite marionnette. Par la suite, ces marionnettes furent refaites en grand par des papas et des mamans et constituèrent le décor, pendues à la devanture du magasin de jouets. C'est à partir du dessin et de la marionnette que les mamans conçurent les costumes, en coopération avec les enfants : un costume réalisé était essayé en présence des camarades, critiqué et perfectionné en fonction des suggestions faites. Quant au dispositif scénique, il fut exécuté par des papas d'après les maquettes réalisées par les enfants. C'est donc dans ce riche contexte de création que fut élaborée la partition musicale.
Bien sûr le spectacle eut beaucoup de succès. I1 était remarquablement mis en valeur par les éclairages et la sonorisation : spectacle de plein air, une minute et demi de dialogue entre un carillon et un Ariel suffit à créer, avec la complicité de la nuit venue, la magie du théâtre dans un coin d'école devenu lieu scénique d'un soir. Les enfants vivaient pleinement leur rôle : ils avaient tout créé ! Le mythe de Pinocchio revivait par eux : le menuisier marchand de jouets ne se contentait pas de fabriquer des pantins, il leur donnait la vie. C'est sur les notes hésitantes d'un carillon et d'un xylophone qu'il apprenait à marcher à son premier pantin. Les instruments de percussion rythmaient gestes et pas des pantins espiègles ou poètes. Quant au piano - ou plutôt au cadre de piano récupéré à la ferraille avec toutes ses cordes - il fut l'instrument des grands événements : il présidait à la naissance du pantin magique, il évoquait la tempête qu'affrontait Timid' le Marin et ses compagnons, il était l'orgue de la cathédrale d'Angoulême dont on admirait les vitraux, il était de nouveau la mer, mais cette fois paisible quand Timid' le Marin savourait sur les quais de La Rochelle une retraite bien gagnée, il accompagnait enfin le salut final des pantins revenus au pays pour l'anniversaire du menuisier, ce samedi 29 mai 1976, soir de la représentation...
Les chants ponctuaient l'action, des comptines du prologue au chant d'anniversaire, apportant une note moins grandiose mais combien fraîche, sensible et gracieuse. Mais le chef-d'oeuvre de cette création collective réside peut-être dans ce choeur parlé remarquablement rythmé qui donnait une dimension épique à l'arrivée pédestre de Melun à Paris. Nous nous sommes régalés en le créant : il est le résultat de nombreuses répétitions, fignolé au mot près et réalisé le soir de la fête en un play back sans bavures.
Si certains spectateurs adultes se sont déclarés un peu décontenancés par la diversité des aventures des pantins et l'absence apparente de logique, les enfants au contraire se sont pleinement investis dans un jeu à leur mesure, fait d'audace et de simplicité, d'insolite et d'ordinaire. Si on fait le tour du monde en passant par l'Australonde ou le Chilinimini, on conclut le voyage par une finale de football à Paris et on revient sagement au bercail fêter l'anniversaire du menuisier. Les enfants ont tout créé, même leur maquillage d'un soir. Mais on doit à la musique une mention toute particulière : elle était le vecteur privilégié du message, soutenant le jeu du corps, magnifiant le texte, enserrant les spectateurs dans une atmosphère de rêve, agent très subtil mais combien efficace de la fiction théâtrale.
J. et G. DELOBBE
Texte des enfants de la classe
Dans un atelier tout délabré vivait un vieux menuisier retraité. Il ne gagnait plus un sou. Sa maison était pleine de bois de toutes sortes.
Un jour, il voulut l'utiliser ; mais que faire ? des sabots ? des meubles ? Non, des pantins !
I1 tailla une tête, un nez, un corps et des membres. Il les assembla, les peignit et les fit jouer. Ce fut le premier pantin.
Comme il avait dans un coin de son atelier une planche magique, il en fit Christo, le pantin magicien.
À son tour, le pantin magicien fit apparaître beaucoup d'autres pantins.
Joily, Joyeux et Rigolo.
Rogade le journaliste.
Timid' le marin et Pantino Francisco.
Ringote qui tricote.
Goûteur, Samélie Châtaigne qui mange des châtaignes, Caramélie qui raffole des caramels et Nonos qui mange des os.
Certusse qui cueille des cactus, Gaston Naturel et Rosette.
Souplesse.
Les danseurs Fantamoé, Multicolore, Lila et Nila.
Le Français qui repeint sa maison en bleu, blanc, rouge.
Coléreux le riche et Diablo le pantin cornu.
Hiorro qui aime le gigot, les chevaux et la musique.
Jeunesse et Blondinette.
Et enfin Vives-Couleurs le pantin-vitrail.
Le menuisier rangea tous ses pantins dans une armoire et sur des lits, il ferma sa porte à clé
car il avait peur de se faire cambrioler et alla se coucher.
Mais bientôt les pantins se levèrent sur la pointe des pieds en faisant le moins de bruit possible. Il se mirent à faire les fous, joyeux de se retrouver tous ensemble.
Cartusse, Diablo et Caramélie vont se promener dans les bois. Ils rencontrent des fleurs.
Caramélie demande à Gaston Naturel s'il y a du caramel dans le coeur de ses fleurs. Caramélie prend une loupe pour mieux regarder dans le coeur des fleurs.
Cartusse remplit de terre un pot de fleur pour y planter un cactus avec du lilas autour.
Pendant ce temps, Nonos cherche des os en fouillant le sol et chante chaque fois qu'il en trouve un. Mais Gaston Naturel arrive à temps pour l'empêcher de piétiner les plantes et les fleurs.
Samélie Châtaigne ramasse des châtaignes en, se piquant les doigts, mais elle fait bien attention à ne pas piétiner les fleurs.
Pendant ce temps, Souplesse prend le porte-fleurs de Gaston Naturel pour en faire une balançoire.
Avant de partir pour le tour du monde, Pantino Francisco, Timid' le marin et Coléreux-le-riche apprennent à nager avec Goûteur comme moniteur.
Le bateau de Timid' le marin prend le large. Timid' le marin encourage ses compagnons : «Ohé, allez les gars, ramez, ramez ! »
Une heure après, la tempête se déchaîne et la mer devient vert foncé. Elle écume de rage. Elle fait des tourbillons, fabrique des rouleaux pour essayer de faire couler le bateau. Tout le monde a peur à bord, sauf Timid' le marin.
Il arrive à vaincre la force de la mer et accoste sur l’île de Pantino. Les marins sont affamés, épuisés.
Quatre heures plus tard, la tempête est calmée. Timid' le marin donne l'ordre du départ. Il fait un soleil splendide et Pantino Francisco amarre son chapeau-gondole derrière le bateau de Timid' le marin. Ils mettent le cap sur l'Australonde.
Les pantins partent sur le train d'été de Bordeaux à Paris : ils ont décidé d'aller à l'opéra voir danser Nila, Lila, Fantomoé et Multicolore. Après quoi, ils iront voir le match au stade Palcadet, entre l'équipe Vertige et l'équipe Tricolore.
Le chemin de fer passe par Angoulême, et les pantins admirent une cathédrale pleine de vitraux.
Ils vont à La Rochelle. Sur le vieux port, ils admirent le bateau de Timid' le marin et le chapeau qui flotte de Pantino Francisco que celui-ci a remis sur sa tête pour aller se promener en ville.
Le voyage est long et ils passent une nuit dans le train. Au petit matin, ils sont à Orléans : que c'est près de Paris !
Melun, plus que 25 km. Youpi ! Juste à ce moment, le train tombe en panne.
Ils s'arrêtent dans un restaurant. Quel bon repas! Ratibou à la sauce lilas.
Solaplitch.
Lima enrobée de chocolat et de crème Chantilly.
Les voici à l'opéra. Les artistes dansent sur une musique de Hiorro.
Ensuite, ils assistent au match Vertige - Tricolore au stade Palcadet.
De retour à la maison, les pantins fêtent l'anniversaire du menuisier : c'est le 29 mai et il a 75 ans.